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A l'orée d'un bois de cèdres, une ligne bleue se montra à l'horizon. Les immenses dômes bariolés d'Alge moutonnaient en contre-bas jusqu'à la mer. Nira était trop surprise par tout ce qu'elle découvrait pour s'extérioriser autrement que par des «oh!» et des «ah!» et par de brèves curiosités que Jâ s'empressait de satisfaire, heureux de lui faire les honneurs de sa planète.

Cependant, à mesure qu'ils avançaient, une sourde inquiétude, une impression de malheur pénétrait Benal. Il s'aperçut que ce malaise était dû au silence total qui régnait sur la grande cité. Il connaissait bien Alge. Étant enfant, il y avait vécu cinq ans. Il en avait gardé le souvenir d'une vie assez bruyante. Or, pas un son ne s'élevait, on n'entendait que le murmure lointain de la mer.

Ils s'engagèrent dans les premières avenues. Tout était désert.

Nira fronça le nez.

– Quelle odeur désagréable! dit-elle.

La mine de Jâ devint grave, il entraîna Nira plus loin. Ils débouchèrent sur une vaste place où l'odeur était intenable sous le soleil ardent. Des cadavres s'entassaient partout, butinés par des nuages de mouches. Pénétrant plus loin au cœur de la ville, ils rencontrèrent partout des grappes de morts. Ils entrèrent dans les maisons: même spectacle macabre.

– C'est épouvantable, dit Jâ; quittons cette ville au plus tôt.

– De quoi sont-ils morts? murmura Nira.

– Sait-on? La Terre a été bouleversée par des phénomènes extraordinaires, presque impensables. Ce qui a donné lieu à des conséquences imprévisibles. Peut-être sont-ils morts d'embolie, de peur, d'asphyxie. Des vides se sont peut-être produits dans l'atmosphère, d'une façon passagère, ou des excès de pression. On peut tout imaginer. Si Kam était là, il pourrait peut-être nous le dire en examinant les victimes. Mais nous ne sommes pas médecins. Tiens, cherchons un hélic en état de marche et filons d'ici.

– Un hélic?

– C'est, comment dirais-je? une espèce d'antigé terrienne.

Ils n'eurent pas trop de mal à dénicher un appareil sur la terrasse d'une maison vide. Leur petite taille leur donna bien du mal pour effectuer les actions les plus banales. Jâ fut obligé de travailler plusieurs jours dans un petit atelier pour mettre au point un mécanisme permettant à un homme de dix centimètres de haut de piloter un hélic géant.

Jâ vérifia l'état de la pile atomique et fut rassuré. L'appareil pouvait fonctionner encore deux ans sans recharge.

Ils quittèrent Alge et visitèrent les unes après les autres toutes les villes importantes de l'Europe et de l'Afrique. Certaines étaient intactes, mais toujours bourrées de cadavres.

Des séismes avaient bouleversé les autres. Certaines avaient entièrement disparu; à leur place, ils ne trouvèrent que des champs immenses de grumeaux vitrifiés par une chaleur intense, venue Dieu sait d'où.

Ils survolèrent la nouvelle banquise polaire qui figeait le golfe du Mexique, explorèrent sans trouver une seule vie humaine les deux Amériques. Le Canada avait été écrasé sous d'énormes quartiers de Lune.

Ils s'envolèrent vers l'Asie immense, mais vide d'hommes. Chose étrange, tous les animaux ayant une taille inférieure en moyenne à vingt centimètres avaient été épargnés. Ils ne trouvèrent pas un seul tigre, un seul cheval, un seul éléphant vivant Par contre, les rats, les petits oiseaux, les insectes étaient légion. La végétation avait peu souffert

– Il faut nous faire à l'idée que nous sommes les seuls survivants, disait tristement Jâ. Cherchons une terre hospitalière, particulièrement favorable à notre installation définitive. As-tu entendu parler de l'Océanie?

– Ce sont des îles, je crois?

– Oui, des îles merveilleuses, aux paysages magnifiques. Si j'en juge d'après la façon dont la Terre a basculé, leur climat idéal n'a pas dû changer.

CHAPITRE XXXVI

Ils mirent le cap sur Tahiti l'heureuse, située au milieu du Pacifique. L'espoir de Jâ ne fut pas déçu. L'île n'avait pas changé. L'ardeur du soleil était toujours tempérée par la brise du large qui chantait dans les palmes. Les vagues bleues léchaient interminablement les plages dorées. Les monts orgueilleux se découpaient sur l'azur du ciel.

Évitant les villes malheureusement infestées de rats gorgés de cadavres, ils élurent domicile dans une petite vallée, à mi-hauteur entre mer et montagne. Une petite rivière coupée de cascades et de lacs miniatures chantait à proximité au fond d'un jardin naturel éclatant de bougainvilliers. Jâ découvrit une grotte à leur taille et en cerna l'entrée par des pieux acérés et un fossé semi-circulaire.

En effet, mille dangers étaient à craindre. Le petit couple se trouvait dans les mêmes conditions de vie qu'au temps de la lointaine préhistoire. Un simple rat était pour eux un fauve redoutable, la plupart des insectes: des ennemis à abattre sans pitié.

Au débat, ils furent obligés de se servir de leurs désintégrateurs pour parer aux dangers immédiats. Mais il fallut prévoir le moment où ceux-ci deviendraient hors d'usage. Jâ s'habitua à se débrouiller avec des armes qu'il pouvait fabriquer lui-même.

Naviguant sur la moitié évidée d'une noix de coprah, il restait des heures à guetter l'approche de poissons gros comme lui, qu'il harponnait avec des éclats de bois durcis au feu. Il dut un jour soutenir un combat acharné contre un crabe. Sautant de part et d'autre de la bête pour éviter les pinces meurtrières qui l'auraient coupé en deux, il réussit à le renverser sur le dos à l'aide d'un simple morceau de fil de fer comme levier. Ce jour-là, ils eurent de la viande pour une semaine.

Leur petite taille avait aussi ses avantages, en ce sens que le moindre fruit ou le moindre coquillage suffisait à assouvir leur faim. Les coquillages, notamment, servaient à toutes sortes d'usages; ils se constituèrent une rudimentaire vaisselle avec les écailles. Les grands pouvaient presque servir de baignoires. Brisés, on en tirait de armes ou des outils.

Ils avaient depuis longtemps jeté leurs maillots, inutiles sur la Terre. Leur peau prit une belle teinte dorée.

Nira s'amusait follement à fabriquer des pagnes d'herbes et des couronnes de fleurs minuscules. Quelquefois, à sa grande joie, un immense papillon se perchait sur son épaule.

A l'aide de minces fils métalliques ravis à l'appareillage électrique de l'hélic géant, Jâ confectionna un filet qu'il tendait le soir à 'entrée de la caverne. Ils restaient alors des heures, avant de s'endormir, à contempler la nuit barrée d'un immense arc lumineux, tendu entre la mer et les collines. Ils avaient du mal à admettre que cette chose était un mélange chaotique de tout ce qu'ils avaient connu sur la Lune.

Un jour, Jâ surprit Nira à tapisser d'herbes sèches un coquillage ovale.

– Que fais-tu donc? demanda-t-il.

– J'essaie de voir ce que ça peut donner comme berceau, avoua Nira toute rouge.

– Pourquoi? Tu crois que…

Nira inclina la tête affirmativement. Alors Jâ la serra dans ses bras. Il se sentit fort, plein de projets heureux.

– Adam et Eve…, rêva-t-il. Nos enfants peupleront l'île, nos arrière-petits-enfants se répandront dans l'archipel, puis couvriront la Terre entière. Une race de petits hommes intelligents et courageux va reconquérir la nature. Et tout cela viendra de nous deux.