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Ainsi, loin d’apparaître comme un roman stéréotype cyniquement et astucieusement agencé pour exciter les pulsions phalliques des masses, comme tant d’autres romans d’anticipation, Le Seigneur du Svastika émerge comme le produit de l’obsession d’une personnalité perturbée mais puissante. Son pouvoir ne découle pas du talent de l’écrivain mais de la richesse de l’exhibition pathologique dont celui-ci le colore à un niveau entièrement inconscient. Il est notoire que l’art des psychotiques peut séduire et émouvoir l’esprit même le plus normal. Il nous donne un aperçu terrifiant sur une réalité sinistre, heureusement éloignée de notre expérience personnelle. Nous en sortons profondément remués et troublés par ce contact intime avec l’indicible.

Les lecteurs peu familiers de la S.F. commerciale s’étonneront d’apprendre que les productions pathologiques de ce genre ne sont pas si rares. La littérature de S.F. abonde d’histoires de surhommes phalliques tout-puissants, de créatures étranges présentées comme des substitutions fécales, de totems péniens, de symboles de castration vaginale (tel le monstre aux multiples bouches-suçoirs remplies de dents aiguisées comme des rasoirs dans le Svastika), de relations insidieusement homophiles, voire pédérastiques, et j’en passe. Tandis que quelques-uns parmi les écrivains du genre en font un usage consciemment dosé et judicieux, le gros de ces matériaux jaillit du subconscient des auteurs travaillant dans la superficialité, et imprègne leurs œuvres.

Le Seigneur du Svastika se distingue seulement par son intensité et, jusqu’à un certain point, par son contenu de la masse considérable de littérature pathologique publiée sous l’emblème de la science-fiction. Il faut s’attacher au passé un peu insolite de Hitler pour expliquer pleinement l’impact unique de ce livre particulier.

Adolf Hitler est né en Autriche et a émigré d’abord en Allemagne, où il a servi durant la Grande Guerre, puis à New York en 1919. Au cours de la période séparant la fin de la Grande Guerre de son départ vers l’Amérique, il se mêla à un petit parti radical, les Nationaux-socialistes. On sait fort peu de choses sur cet obscur groupuscule qui disparut aux alentours de 1923, sept ans avant que le coup de force communiste ne rendît le sujet académique. Cependant, il parait certain que les Nationaux-Socialistes, ou Nazis, comme on les appelait quelquefois, avaient prévu de longue date les machinations de l’Union soviétique et qu’ils étaient de fervents anticommunistes.

Hitler resta très chatouilleux tout au long de sa vie sur le sujet du National-Socialisme et de l’Allemagne : il n’en parlait qu’avec beaucoup de réticence et d’amertume, et, disons-le, quand il avait bu. Il rejetait les Nationaux-Socialistes, sans doute avec les meilleures raisons du monde, les accusant de n’avoir été qu’un pitoyable club de brasserie. Mais son dévouement ancien, féroce et constant à la cause de l’anticommunisme était bien connu, et lui valut souvent de chaudes discussions et des inimitiés au sein du petit monde de fans de S.F. dans lequel il évoluait, jusqu’à ce que l’invasion de la Grande-Bretagne en 1948 dessillât même les yeux du plus naïf des apologistes communistes sur les appétits impérialistes de la Grande Union Soviétique. Ainsi, alors que l’iconographie, la violence, le fétichisme et le symbolisme du Seigneur du Svastika expriment clairement les obsessions maladives de Hitler, on peut raisonnablement admettre que les éléments d’allégorie politique du roman ont été des créations conscientes, les produits d’un esprit profondément concerné par la politique mondiale et par le destin malheureux de son Europe ancestrale.

L’empire de Zind offre d’évidentes similitudes avec la Grande Union Soviétique. Zind représente l’aboutissement logique de l’idéologie communiste – une fourmilière d’esclaves sans cervelle présidée par une impitoyable oligarchie. De même que les Doms de Zind veulent un monde où chaque être pensant aura été réduit à l’état d’esclave sous-humain, de même les chefs communistes actuels veulent un monde où l’individualisme aura été annihilé et chaque homme réduit à la soumission au parti communiste. De même que la puissance de Zind réside dans son immensité et dans son gigantesque réservoir d’hommes que les Dominateurs n’ont aucun scrupule à sacrifier, de même la puissance de la Grande Union Soviétique découle de l’énormité de son territoire et de sa population, que les communistes pressurent avec un mépris absolu des besoins ou de la dignité de l’individu.

Heldon semblerait donc représenter une Allemagne renaissante qui n’a jamais existé, fantasme caressé par Hitler, ou peut-être le monde non communiste in toto.

Ce point admis, l’allégorie politique reste un fouillis désespérant. Les Dominateurs semblent figurer le mouvement communiste mondial ; le « Parti Universaliste » semble l’équivalent du parti communiste, avec son apologie basse et cynique de la paresse auprès des basses classes.

Mais quelque chose d’autre nous échappe, un lien avec les obsessions génétiques entièrement inexplicables du roman.

Il est impossible de dresser un parallèle viable entre les mutants dégénérés qui infestent le monde du Seigneur du Svastika et la réalité contemporaine. Bien sûr, le monde du Svastika est le produit d’une antique guerre atomique ; peut-être alors la description des descendants génétiquement infirmes de notre époque est-elle un avertissement que nous lance Hitler. Mais les Doms eux-mêmes apparaissent comme un authentique élément paranoïde. Il est difficile d’échapper à la conclusion selon laquelle ils représentent un groupe réel ou imaginaire, que Hitler craignait et haïssait.

Quelques vagues indices tendent à démontrer que le parti nazi était jusqu’à un certain point antisémite. Nous sommes donc tentés de conclure que les Dominateurs symbolisent d’une certaine manière les Juifs. Mais, comme Zind est de toute évidence censée représenter la Grande Union Soviétique, où l’antisémitisme a atteint de tels sommets de férocité au cours de la dernière décennie que cinq millions de Juifs en sont morts, et comme les Doms, loin d’être les victimes de Zind, y détiennent le pouvoir absolu, cette idée s’écroule d’elle-même.

Cependant, malgré la confusion des détails, l’allégorie politique fondamentale du Seigneur du Svastika est parfaitement claire : Heldon, représentant soit l’Allemagne, soit le monde non communiste, anéantit Zind, représentant la Grande Union Soviétique. Il va sans dire que ce fantasme politique fait vibrer une corde dans le cœur de tout Américain, à une époque où les États-Unis et le Japon sont le seul obstacle à l’hégémonie de la Grande Union Soviétique sur le globe. En outre, les modalités de la victoire flattent nos plus chers désirs. Heldon détruit Zind sans avoir recours aux armes nucléaires. L’individualisme héroïque de Heldon défait les hordes obtuses de Zind, lisez : les hommes libres du monde non communiste défont les foules esclaves de l’Eurasie communisée. Seuls les exécrables Dominateurs, équivalents des communistes, s’abaissent à faire usage des armes atomiques, et cela ne leur vaut rien. Bien qu’il semble impossible que la triste situation mondiale actuelle connaisse un semblable dénouement, on ne peut nier qu’il représente notre espoir le plus fou de paix mondiale dans la liberté. Ainsi l’immense pouvoir de séduction de ce roman d’anticipation plutôt mal écrit se révèle comme une combinaison unique de mythomanie politique, de fétichisme pathologique et d’obsession phallique, auxquels s’ajoute la fascination qu’exerce un esprit bizarre, morbide, presque étranger, entretenant inconsciemment l’illusion saugrenue que ses pulsions les plus violentes et les plus perverses, loin d’être honteuses, constituent des principes nobles et élevés auxquels adhère à juste titre le gros de l’humanité.