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» Et pour un qui t’est aujourd’hui rebelle, il en naîtra cent par tout l’univers; de sorte que les fausses doctrines de Babel chasseront ta loi et la feront disparaître. Défends ces nations; ce sont elles qui ont délivré ton sépulcre des chiens immondes, et pris si souvent la défense de ta sainte Église et de ses vicaires.

» Je sais que nos mérites ne doivent pas peser une once en notre faveur, et que nous ne devons point espérer de pardon de toi, si nous considérons notre vie coupable; mais, si tu nous favorises du don de la grâce, notre raison sera purifiée et réconfortée. Nous ne pouvons désespérer de ton aide, quand nous nous souvenons de ta pitié.»

Ainsi disait le pieux empereur, dans l’humilité et la contrition de son cœur. Il ajouta encore d’autres prières, d’autres vœux commandés par la grandeur du péril et en rapport avec son rang de souverain. Sa chaleureuse supplique ne resta point sans effet, car son bon génie, qui tient la première place parmi les anges, les prit, déploya ses ailes vers le ciel et s’en vint les porter au Sauveur.

Une infinité d’autres prières furent également portées à Dieu par de semblables messagers. Les âmes bienheureuses, la pitié peinte sur le visage, se tournèrent toutes vers leur éternel amant, et lui témoignèrent même désir de voir accueillir la juste prière du peuple chrétien qui implorait secours.

Alors l’ineffable Bonté, qui ne fut jamais priée en vain par un cœur fidèle, leva ses yeux pleins de pitié, et fit signe à l’ange Michel de venir à lui: «Va – lui dit-elle – vers l’armée chrétienne qui vient de débarquer en Picardie, et fais-la approcher des murs de Paris, sans que le camp ennemi s’en aperçoive.

» Va trouver d’abord le Silence, et dis-lui de ma part de te seconder dans cette entreprise. Il saura bien comment procéder dans cette circonstance. Cela fait, va sur-le-champ à l’endroit où la Discorde a son séjour. Dis-lui de prendre avec elle son brandon et sa torche, et d’allumer le feu dans le camp des Maures;

» Et de répandre de telles divisions, de tels conflits entre ceux qu’on considère comme les plus vaillants, qu’ils se battent ensemble, jusqu’à ce que les uns soient morts, les autres prisonniers, d’autres blessés, d’autres entraînés par l’indignation hors du camp; de façon que leur roi puisse tirer d’eux le moins d’aide possible.» L’oiseau béni ne répond rien à ces paroles, et s’envole loin du ciel.

Partout où l’ange Michel dresse son aile, les nuées se dissipent et le ciel redevient serein. Un cercle d’or l’entoure, pareil à l’éclair que l’on voit briller pendant la nuit. Tout en poursuivant sa route, le messager céleste se demande où il doit descendre pour être sûr de trouver l’ennemi de la parole, auquel il doit faire sa première commission.

Il cherche à se rappeler les lieux où il habite, et où il a coutume de séjourner. Enfin toutes ses pensées le portent à croire qu’il le trouvera parmi les religieux et les moines enfermés dans les églises et dans les monastères. Là, en effet, les discours sont tellement interdits, que le mot silence est écrit sur la porte de l’endroit où l’on chante les psaumes, où l’on dort, où l’on mange, et finalement à l’entrée de toutes les cellules.

Croyant le trouver là, il agite plus vivement ses ailes dorées. Il pense y trouver aussi la Paix, le Repos et la Charité. Mais à peine a-t-il pénétré dans un cloître, qu’il est bien vite détrompé. Ce n’est pas là qu’est le Silence; on lui dit qu’il n’y habite plus, et que son nom seul y reste inscrit.

Il n’y voit non plus ni la Piété, ni le Repos, ni l’Humilité, ni l’Amour Divin, ni la Paix. Ils y furent autrefois, il est vrai, dans les temps antiques. Mais ils en ont été chassés par la Gourmandise, l’Avarice, la Colère, l’Orgueil, l’Envie, la Paresse et la Cruauté. L ’ange s’étonne d’une chose si insolite. Et comme il regarde plus attentivement cette troupe abrutie, il voit que la Discorde est aussi avec elle;

La Discorde vers laquelle le père Éternel lui avait ordonné d’aller, après qu’il aurait trouvé le Silence. Il avait pensé qu’il lui faudrait prendre le chemin de l’Averne, car il croyait qu’elle se tenait parmi les damnés, et voilà – qui le croirait! – qu’il la retrouve dans ce nouvel enfer, au milieu des saints sacrifices et des messes! Il paraît étrange à Michel de voir là celle qu’il ne comptait trouver qu’après un long voyage.

Il la reconnaît à ses vêtements de mille couleurs, formés de bandes inégales, multiples et toutes déchirées, qui, agitées par les vents, ou entr’ouvertes par sa marche, tantôt la couvrent et tantôt la montrent nue. Ses cheveux, noirs et gris, mêlés de filets d’or et d’argent, sont tout en désordre. Les uns sont réunis en tresse, les autres retenus par un galon. Une partie est éparse sur ses épaules, l’autre dénouée sur son sein.

Elle avait les mains et la poitrine couvertes d’assignations, de libelles, d’enquêtes, de papiers de procédure, et d’un grand tas de gloses, de consultations et d’écrits, au moyen desquels les biens des pauvres gens ne sont jamais en sûreté dans les villes. Devant, derrière, à ses côtés, elle était entourée de notaires, de procureurs et d’avocats.

Michel l’appelle à lui et lui ordonne de se transporter parmi les plus braves des chevaliers sarrasins, et de faire en sorte de les exciter à combattre les uns contre les autres pour leur plus grande ruine. Puis il lui demande des nouvelles du Silence. Elle peut facilement en avoir, puisqu’elle va de çà, de là, secouant partout ses feux.

La Discorde lui répond: «Je ne me souviens pas de l’avoir vu nulle part. Je l’ai entendu nommer bien souvent, et faire son éloge par les astucieux. Mais la Fraude, une de mes suivantes, l’accompagne quelquefois. Je pense qu’elle saura t’en donner des nouvelles.» Et étendant le doigt, elle dit: «La voilà!»

Cette dernière avait un visage agréable, un vêtement plein de décence, le regard humble, la démarche grave, le parler si doux et si modeste qu’elle ressemblait à l’ange Gabriel, disant: Ave! Tout le reste de sa personne était laid et hideux; mais elle cachait ses difformités sous un vêtement long et large, dans les plis duquel elle portait toujours un poignard empoisonné.

L’ange lui demande quel chemin il doit prendre pour trouver le Silence. La Fraude lui dit: «Jadis, il habitait ordinairement parmi les Vertus, près de saint Benoît, et non ailleurs, ou bien avec les disciples d’Élie, et dans les abbayes nouvellement fondées. Il résida longtemps dans les écoles, au temps de Pythagore et d’Architas.

» Après ces philosophes et ces saints, qui l’avaient retenu dans le droit chemin, il abandonna les mœurs honnêtes qu’il avait suivies jusque-là, pour se jeter dans des pratiques scélérates. Il commença par fréquenter pendant la nuit, les amants, puis les voleurs, et à se livrer à toute sorte de crimes. Longtemps il habita avec la Trahison, et je l’ai vu naguère avec l’Homicide.

» Avec ceux qui falsifient les monnaies, il se retire dans les lieux les plus secrets. Il change si souvent de compagnon et d’asile, que tu le trouverais difficilement. J’espère cependant te renseigner à cet égard. Si tu as soin d’arriver à minuit dans la demeure du Sommeil, tu pourras sans faute l’y retrouver, car c’est là qu’il dort.»

Bien que la Fraude ait l’habitude de tromper, ce qu’elle dit paraît si vraisemblable, que l’ange y croit. Il s’envole sans retard du monastère, ralentit le battement de ses ailes et calcule son chemin de façon à arriver à temps voulu à la demeure du Sommeil, où il savait bien trouver le Silence.