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Il existe, en Arabie, une vallée agréable, loin des cités et des hameaux, qui s’étend à l’ombre de deux montagnes et est couverte de sapins antiques et de hêtres robustes. En vain le soleil y projette ses clairs rayons; il ne peut jamais y pénétrer, tellement les rameaux épais lui barrent le passage. Là s’ouvre une caverne souterraine.

Sous la forêt obscure, une vaste et spacieuse caverne s’ouvre dans le roc. Le lierre rampant en couvre l’entrée de ses replis tortueux. C’est dans cette demeure que repose le Sommeil pesant. L’Oisiveté, corpulente et grasse, est dans un coin; de l’autre, la Paresse est étendue sur le sol, car elle ne peut marcher et se tient difficilement sur ses pieds.

L’Oubli qui a perdu la mémoire se tient sur le seuil. Il ne laisse entrer et ne reconnaît personne. Il n’écoute aucun message et ne répond jamais. Il écarte indifféremment tout le monde. Le Silence veille tout autour; il a des chaussures en feutre et un manteau de couleur sombre. À tous ceux qu’il rencontre, il fait de loin signe avec la main de ne pas approcher.

L’ange s’approche de son oreille et lui dit doucement: «Dieu veut que tu conduises à Paris Renaud avec l’armée qu’il mène au secours de son prince. Mais il faut que tu le fasses si secrètement, que les Sarrasins n’entendent pas le moindre bruit, de façon qu’avant que la Renommée ait pu les aviser de l’arrivée de ces troupes, ils les aient sur les épaules.»

Le Silence ne répond pas autrement qu’en faisant signe de la tête qu’il obéira. Il se met docilement à la suite du messager, et, d’un premier vol, tous deux arrivent en Picardie. Michel excite les courageux escadrons; il leur fait franchir en peu de temps un long espace, et les mène en un jour devant Paris. Aucun d’eux ne s’aperçoit que c’est par un miracle.

Le Silence courait tout autour, les enveloppant d’une immense nuée, tandis que le reste de l’atmosphère était en pleine lumière. Et cette nuée épaisse ne permettait pas d’entendre en dehors d’elle le son des trompettes et des clairons. Puis le Silence se rendit au camp des païens, répandant après lui un je ne sais quoi qui rend chacun sourd et aveugle.

Pendant que Renaud – on voyait bien qu’il était conduit par l’ange – s’avançait avec tant de rapidité, et dans un tel silence qu’on n’entendait aucun bruit du camp sarrasin, le roi Agramant avait disposé son infanterie dans les faubourgs de Paris, sous les murailles et dans les fossés, pour tenter le jour même un suprême effort.

Celui qui pourrait compter l’armée que le roi Agramant a rassemblée contre Charles, pourrait aussi compter tous les arbres des forêts qui se dressent sur le dos ombreux de l’Apennin, les flots de la mer qui baigne les pieds de l’Atlas en Mauritanie, alors qu’elle est le plus en fureur, ou les étoiles que le ciel déploie à minuit sur les rendez-vous secrets des amoureux.

Les campagnes résonnent au bruit des coups répétés et lugubres des cloches. Une foule innombrable remplit toutes les églises, levant les mains et implorant le ciel. Si les trésors de la terre étaient aussi prisés de Dieu que des hommes aveugles, le saint consistoire aurait pu en ce jour obtenir une statue d’or pour chacun de ses membres.

On entend les vieillards vénérables se plaindre d’avoir été réservés pour de pareilles angoisses, et envier le bonheur de ceux qui reposent dans la terre depuis de nombreuses années. Mais les jeunes hommes, ardents et vigoureux, qui se soucient peu des dangers qu’ils vont affronter, et qui dédaignent les conseils des plus âgés, courent de toutes parts aux murailles.

Là étaient les barons et les paladins, les rois, les ducs, les marquis et les comtes, les soldats étrangers et ceux de la ville, tous prêts à mourir pour le Christ et pour sa gloire. Ils prient l’Empereur de faire abaisser les ponts afin qu’ils puissent courir sus aux Sarrasins. Charles se réjouit de leur voir tant d’ardeur dans l’âme, mais il ne veut pas les laisser sortir.

Il les place aux endroits opportuns pour barrer le passage aux barbares. Là, il se contente de mettre peu de monde; ici une forte compagnie suffit à peine. Les uns sont chargés de manœuvrer les feux et les autres machines, suivant les besoins. Charles ne reste pas inactif. Il se porte çà et là, organisant partout la défense.

Paris s’étend dans une grande plaine, au centre de la France, presque au cœur. Le fleuve passe entre ses murs, la traverse et ressort de l’autre côté. Mais auparavant, il forme une île et protège ainsi une partie de la ville, la meilleure. Les deux autres – car la ville est divisée en trois parties – sont entourées, en dehors par un fossé, en dedans par le fleuve.

La ville, de plusieurs milles de tour, peut être attaquée par plusieurs points. Mais Agramant se décide à ne donner l’assaut que d’un côté, ne voulant pas éparpiller son armée. Il se retire derrière le fleuve, vers le Ponant. C’est de là qu’il attaquera, parce qu’il n’a derrière lui aucune ville, aucun pays qui ne lui appartienne jusqu’en Espagne.

Tout autour des remparts, Charles avait fait rassembler d’immenses munitions, fortifier les rives par des chaussées, élever des bastions, creuser des casemates. À l’entrée et à la sortie de la rivière dans la ville, de grosses chaînes avaient été tendues. Mais il avait surtout veillé à mettre en état les endroits où il craignait le plus.

Avec des yeux d’Argus, le fils de Pépin prévoit de quel côté Agramant doit donner l’assaut; le Sarrasin ne forme pas un projet sans qu’il ne soit immédiatement déjoué. Marsile, avec Ferragus, Isolier, Serpentin, Grandonio, Falsiron, Balugant et les guerriers qu’il a amenés d’Espagne, se tenaient dans la campagne tout armés.

Sobrin était à sa gauche, sur la rive de la Seine, avec Pulian, Dardinel d’Almonte et le roi d’Oran, à la stature de géant et long de six palmes des pieds à la tête. Mais pourquoi suis-je moins prompt à mouvoir ma plume que ces guerriers à se servir de leurs armes? Le roi de Sarse, plein de colère et d’indignation, crie et blasphème, et ne peut rester en place.

De même que, dans les jours chauds de l’été, les mouches importunes ont coutume de se jeter sur les vases rustiques ou sur les restes des convives, avec un bruit d’ailes rauque et strident; de même que les étourneaux s’abattent sur les treilles rouges de raisins mûrs, ainsi, remplissant le ciel de cris et de clameurs, les Maures se ruaient tumultueusement à l’assaut.

L’armée des chrétiens est sur les remparts; inaccessibles à la peur, et dédaignant l’orgueilleuse témérité des barbares, ils défendent la ville avec les épées, les lances, les pierres et le feu. Quand l’un d’eux est tué, un autre prend sa place. Il n’en est point qui, par lâcheté, quitte le lieu du combat. Sous la furie de leurs coups, ils rejettent les Sarrasins au fond des fossés.

Ils ne s’aident pas seulement du fer; ils emploient les gros quartiers de roches, les créneaux entiers, les murs ébranlés à grand’peine, les toits des tours. L’eau bouillante versée d’en haut fait aux Maures d’insupportables brûlures. Ils résistent difficilement à cette pluie horrible qui pénètre par les casques, brûle les yeux,

Et fait plus de ravages que le fer. Qu’on pense à ce que devaient produire tantôt les nuées de chaux, tantôt les vases ardents d’où pleuvent l’huile, le soufre, la poix et la térébenthine. Les cercles entourés d’une crinière de flammes ne restent pas inactifs. Lancés de tous côtés, ils décrivent de redoutables courbes sur les Sarrasins.