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«Tu dois savoir – répondit Andronique – que la mer entoure la terre de tous côtés, et que ses ondes, poussées l’une par l’autre, s’étendent sans discontinuité des climats où la mer est bouillante jusqu’à ceux où elle se glace. Mais parce que la terre d’Éthiopie s’avance considérablement au midi, on a prétendu que Neptune ne permettait pas d’aller plus avant.

» C’est pour ce motif qu’aucun vaisseau ne part de notre rivage oriental de l’Inde pour aller en Europe, et que pas un navigateur européen n’ose à son tour appareiller pour se rendre dans nos parages. Les uns et les autres, plutôt que de doubler ce cap, retournent sur leurs pas, et voyant qu’il s’étend si loin, s’imaginent qu’il va rejoindre l’autre hémisphère.

» Mais, les années se déroulant, je vois des extrémités du Ponant sortir de nouveaux Argonautes, de nouveaux Tiphys qui ouvrent la voie inconnue jusqu’à ce jour. Les uns, contournant l’Afrique, suivent la côte habitée par les nègres, jusqu’à ce qu’ils dépassent ce signe où entre le soleil quand il quitte le capricorne pour venir à nous.

» Ils découvrent la pointe de ce long continent qui semble diviser l’Océan en deux mers différentes, et parcourent tous les rivages, toutes les îles voisines de l’Inde, de l’Arabie et de la Perse. D ’autres, laissant à leur droite et à leur gauche les bords illustrés par les ouvrages d’Hercule, imitent le soleil dans sa course circulaire, et retrouvent de nouvelles terres et un nouveau monde.

» Je vois la Sainte Croix et l’étendard impérial se dresser sur une verte plage. Je vois les chefs nommés, les uns pour conduire les vaisseaux, les autres pour faire la conquête des pays découverts. Je vois dix de ces aventuriers mettre en fuite des milliers d’Indiens, et soumettre à l’Aragon toutes les terres qui s’étendent de ces contrées jusqu’aux Indes. Je vois les capitaines de Charles-Quint victorieux partout où ils portent leurs pas.

» Dieu veut que cette route ait été inconnue dans l’antiquité, et le soit encore longtemps. Il ne la laissera connaître que dans six ou sept siècles d’ici. Il réserve cette découverte à l’époque où le monde sera sous le sceptre du plus sage et du plus juste empereur qui ait existé depuis Auguste, et qui existera jamais.

» Du sang d’Autriche et d’Aragon, je vois naître sur la rive gauche du Rhin un prince qui n’aura point son pareil pour la valeur parmi ceux dont on parle ou sur lesquels on écrit. Je vois Astrée, par lui remise sur le trône, reparaître vivante et comme ressuscitée; je vois les vertus que le monde avait chassées lorsqu’il la chassa elle-même, rappelées par lui de l’exil.

» À cause de ses mérites, la Bonté suprême l’a désigné non seulement pour ceindre le diadème du vaste empire que possédèrent Auguste, Trajan, Marc-Aurèle et Sévère, mais pour régner sur une telle étendue de terres, que jamais le soleil ne puisse s’y coucher, ni les saisons s’y renouveler. Elle veut que, sous cet empereur, il n’y ait qu’un seul troupeau et qu’un seul pasteur.

» Et pour que les ordres écrits de toute éternité dans le ciel soient plus facilement exécutés, la souveraine Providence place près de lui, sur mer et sur terre, des capitaines invincibles. Je vois Fernand Cortez qui a soumis à l’autorité du nouveau César des cités et des royaumes tellement perdus au fond de l’Orient, qu’ils nous sont inconnus à nous qui habitons l’Inde.

» Je vois Prosper Colonna; je vois un marquis de Pescaire, et après eux, un jeune homme nommé du Guast, rendre la belle Italie chère aux lis d’or. Je vois le dernier des trois l’emporter sur les deux autres qui l’ont précédé; ainsi le bon coureur qui a quitté le dernier la barrière, rejoint ses concurrents et finit par les dépasser tous.

» Je vois Alphonse – c’est son nom – montrer tant de valeur, tant de fidélité, que, malgré son jeune âge qui ne dépasse pas encore vingt-six ans, l’empereur lui confie son armée. Avec un tel capitaine, Charles-Quint conservera non seulement ses conquêtes, mais soumettra le monde entier à sa loi.

» Avec de pareils hommes, il accroîtra l’antique empire romain de tous les pays où l’on peut aller par terre. De même, il sera victorieux sur la mer que l’Europe enserre, et sur celle qui s’étend au delà des plaines d’Afrique, dès qu’il se sera fait l’ami d’André Doria. C’est ce Doria qui doit mettre tous vos rivages à l’abri des pirates.

» Pompée ne fut pas aussi digne de gloire que ce dernier, bien qu’il ait vaincu et détruit aussi tous les corsaires, attendu que ceux-ci ne pouvaient résister au plus puissant empire qui exista jamais. Mais ce Doria, par son seul génie, avec ses seules forces, purgera ces mers, de sorte que des rives de Calpé à l’embouchure du Nil, son nom, où qu’il s’entende, fera trembler tout navire.

» Je vois Charles, conduit par le capitaine dont je te parle, et protégé par sa parole, entrer en Italie dont il lui a ouvert la porte, et ceindre la couronne. Je vois que le prix de cet immense service, Doria le réclame non pour lui, mais pour sa patrie. Par ses prières, il obtient qu’elle soit laissée en liberté, alors que bien d’autres l’auraient sans doute asservie.

» Ce respect touchant qu’il montre pour sa patrie est plus glorieux que toutes les victoires remportées par Jules César en France, en Espagne, dans ton pays, en Afrique ou en Thessalie. Le grand Octave, ni son rival Antoine, ne méritent non plus d’être autant honorés pour leurs exploits, car toute leur gloire est ternie par l’usage qu’ils en firent pour asservir leur patrie.

» Que ceux-ci, et tous ceux qui tentent de rendre esclave leur patrie libre, rougissent au seul nom de Doria, et n’osent plus lever les yeux sur un visage d’homme. Je vois Charles, désireux de le récompenser plus largement, outre les honneurs qu’il lui fait partager avec ses compagnons, lui donner cette riche terre de la Pouille, où les Normands poseront la base de leur grandeur.

» Ce n’est pas seulement envers ce capitaine que le magnanime Charles se montrera généreux; il s’acquittera envers tous ceux qu’il aura vus peu avares de leur sang pour le succès des armes impériales. Je le vois plus joyeux de pouvoir donner une ville ou toute une province à un de ses fidèles et à tous ceux qui en sont dignes, que de l’acquisition de nouveaux empires ou de nouveaux royaumes.»

Ainsi, par ses paroles, Andronique révélait au duc les victoires qu’un grand nombre d’années après, devaient donner à Charles ses grands capitaines. Pendant ce temps, la flotte s’en allait, ralentissant ou précipitant sa marche aux vents d’est, dont elle augmentait ou diminuait la force, selon qu’ils lui étaient ou non propices.

Les voyageurs, après avoir vu le vaste espace où s’étend la mer de Perse, arrivèrent en peu de jours dans le golfe auquel les anciens mages ont donné leur nom. Là, tournant vers le rivage la poupe ornée de leurs navires, ils entrèrent au port. À l’abri désormais d’Alcine et de ses entreprises, Astolphe continua sa route par terre.

Il passa par plus d’une plaine et plus d’un bois; il franchit plus d’une montagne et plus d’une vallée, ayant souvent, soit de jour, soit de nuit, des brigands devant lui ou derrière ses épaules. Il vit des lions, des dragons pleins de venin, et d’autres bêtes féroces traverser son chemin. Mais aussitôt qu’il avait porté le cor à sa bouche, ils s’enfuyaient épouvantés.

Il marcha à travers l’Arabie qu’on appelle Heureuse, riche en myrrhe et en encens parfumé, et que le phénix sans pareil a choisi pour séjour de préférence au reste de l’univers, jusqu’à ce qu’il découvrît la mer où, pour venger Israël, Dieu permit que Pharaon et tous les siens fussent submergés. Puis il arriva à la terre des héros.