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Son maître abandonne le cheval, et cherche à s’échapper en se traînant sur les pieds et sur les mains; mais cela lui réussit peu. Le duc de Trason passe par hasard sur lui et l’écrase sous le poids. Ariodant et Lurcanio accourent à l’endroit où Zerbin est entouré d’une foule d’ennemis. Ils amènent avec eux d’autres chevaliers qui prêtent leur aide à Zerbin, jusqu’à ce qu’il ait pu remonter à cheval.

Ariodant faisait tournoyer son glaive, et Artalique et Margan s’en aperçurent trop bien. Étéarque et Casimir sentirent encore davantage la puissance de son bras. Les deux premiers s’enfuirent blessés; les deux autres restèrent morts sur place. Lurcanio montre sa force; il frappe, heurte, renverse et tue.

Ne croyez pas, seigneur, que dans la plaine le combat soit moins acharné que près du fleuve, ni que l’armée conduite par le brave duc de Lancastre reste en arrière. Ses troupes attaquent les Espagnols, et de part et d’autre la lutte est pareille; fantassins, cavaliers et capitaines savent des deux côtés se servir de leurs mains.

En première ligne viennent Oldrade et Fiéramont; l’un est duc de Glocester, l’autre duc d’York. Avec eux est Richard, comte de Warwick, et l’audacieux Henri, duc de Clarence. Ils ont pour adversaires Mataliste, Follicon, Baricondo et leur suite. Le premier possède Alméria, le second tient Grenade, et Baricondo est maître de Majorque.

Le combat opiniâtre présenta longtemps des chances égales, et l’on n’aurait pu y discerner le moindre avantage d’un côté ou d’autre. On voyait les deux armées avancer et reculer comme les moissons à la brise de mai, ou comme les vagues mobiles qui vont et viennent sur le rivage, sans suivre une même direction. Puis, après s’être quelque temps réjouie de ce jeu sanglant, la Fortune redevint à la fin contraire aux Maures.

Le duc de Glocester fait vider les arçons à Mataliste; en même temps, Fiéramont renverse Follicon après l’avoir blessé à l’épaule droite; les deux païens sont faits prisonniers des Anglais. De son côté, Baricondo est tué de la main du duc de Clarence.

Les païens en conçoivent tant d’épouvante et les fidèles tant d’ardeur, que les premiers ne songent qu’à battre en retraite et à fuir en désordre, tandis que les autres gagnent toujours du terrain et ne pensent qu’à tuer et à poursuivre les ennemis. S’il ne leur était pas venu du secours, les Sarrasins auraient été anéantis sur ce point.

Mais Ferragus qui, jusque-là ne s’était pas trop écarté du roi Marsile, voyant fuir les bannières, et l’armée sarrasine à moitié détruite, éperonne son cheval et le pousse à l’endroit où la bataille était le plus acharnée. Il arrive juste à temps pour voir tomber de son destrier, avec la tête fendue, Olympe de la Serre.

C’était un jouvenceau qui, par les doux sons de sa lyre à deux cornes, se faisait fort d’attendrir les cœurs, fussent-ils plus durs que la pierre. Heureux s’il avait su se contenter d’un tel pouvoir, et s’il avait eu en horreur, les boucliers, les arcs, les flèches, les cimeterres et les lances qui le firent mourir si jeune sur la terre de France!

Quand Ferragus le voit tomber, lui qui l’aimait et qui le tenait en grande estime, il ressent de sa perte plus de douleur que de celle de mille autres tués avant lui. Il frappe son meurtrier avec une telle force, qu’il le partage en deux depuis la cime du casque, lui fend le front, les yeux, la figure, jusqu’au milieu de la poitrine, et le jette mort à terre.

Il ne s’arrête pas là; il brandit son épée en cercle, rompt les casques, brise les cottes de mailles; marque celui-ci au front, cet autre à la joue; coupe à l’un la tête, à l’autre le bras; il répand tant de sang, il tue tant de monde, que la bataille est suspendue en cet endroit, et que la vile multitude épouvantée fuit sans ordre, massacrée et rompue.

Le roi Agramant, désireux de faire preuve de vaillance et de prendre part au carnage, se jette dans la mêlée. Il a près de lui Balivers, Farulant, Prusion, Soridan et Bambirague. Puis vient une multitude de guerriers sans nom, qui feront en ce jour un lac de leur sang répandu. On compterait plus facilement chaque feuille qui tombe quand l’automne dépouille les arbres.

Agramant ayant fait venir des remparts un grand nombre de cavaliers et de fantassins, les envoie en toute hâte, sous les ordres du roi de Fez, sur les derrières de l’armée, pour s’opposer aux gens d’Irlande dont on voyait les bataillons accourir tumultueusement dans le but d’occuper les logements des Sarrasins.

Le roi de Fez exécute promptement cet ordre, car tout retard aurait été funeste. Pendant ce temps, le roi Agramant rassemble le reste de ses troupes et les entraîne à la bataille. Il se dirige vers le fleuve, car il lui semble qu’en cet endroit on a besoin de sa présence, un messager du roi Sobrin étant venu demander du secours.

Il conduisait, réunie en une seule troupe, plus de la moitié de son armée. À la seule rumeur produite par cette masse, les Écossais sont terrifiés, et leur frayeur est telle, qu’ils n’écoutent plus la voix de l’honneur et rompent leurs rangs. Zerbin, Lurcanio et Ariodant, restent seuls au milieu de la débâcle pour arrêter l’attaque furieuse des ennemis. Zerbin, qui était à pied, y eût probablement péri, si le brave Renaud ne s’en était aperçu à temps.

Le paladin combattait d’un autre côté, et avait vu fuir devant lui plus de cent bannières. Dès que lui parvient la fâcheuse nouvelle du grand péril que courait Zerbin, démonté et abandonné par les siens au milieu des gens de Cyrène, il fait faire volte face à son cheval, et il se dirige rapidement vers l’endroit où il aperçoit les fuyards.

Il arrive à l’endroit où il voit les Écossais revenir en fuyant; il leur crie: «Où allez-vous? Êtes-vous donc assez lâches pour laisser le champ de bataille à une si vile canaille? Où sont les dépouilles dont je croyais que vous deviez orner vos églises? Quelle gloire, quels éloges pensez-vous mériter en abandonnant le fils de votre roi seul et à pied?»

Il prend des mains de son écuyer une énorme lance, et voyant non loin de là Prusion, roi d’Alfarache, il fond sur lui, lui fait vider les arçons et le jette mort sur la plaine. Il couche à terre Agricalte et Bambirague; puis il blesse grièvement Soridan; et il l’aurait occis comme les autres, si sa lance avait été plus forte.

Il saisit Flamberge, sa lance s’étant rompue. Il en frappe Serpentin, le chevalier aux étoiles, dont les armes étaient enchantées; néanmoins le coup l’envoie évanoui hors de selle. C’est ainsi que Renaud fait une place belle et spacieuse autour du prince d’Écosse, ce qui permet à ce dernier de saisir au passage un destrier dont la selle est vide, et d’y monter.

Il était temps, et s’il avait un peu plus tardé, il n’aurait probablement pas pu le faire, car Agramant, Dardinel, Sobrin et le roi Balastro arrivaient tous à la fois. Mais Zerbin, qui a pu se mettre auparavant en selle, fait tournoyer son glaive, envoyant tantôt celui-ci, tantôt celui-là porter en enfer des nouvelles des vivants.

Le brave Renaud, qui s’attaquait toujours de préférence aux plus redoutables, dirige son épée contre le roi Agramant, qui lui paraît beaucoup trop vaillant et hardi – il faisait, en effet, plus de besogne à lui seul que mille autres guerriers – et se précipite sur lui avec Bayard. Il le frappe et le heurte tout à la fois en plein flanc, et le renverse ainsi que son destrier.