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Elle se rappelle les prévenances du chevalier, pendant qu’il était avec elle au Cathay; elle l’appelle par son nom, ôte ses gantelets, lève sa visière, et lui tend les bras en lui faisant une grande fête, bien qu’elle soit plus fière que n’importe qui. De son côté, le paladin ne fait pas à la dame un accueil moins respectueux et moins affable.

Ils se demandent mutuellement où ils vont. Astolphe répond le premier; il lui dit qu’il s’en va à Damas, où le roi de Syrie a invité les chevaliers experts aux armes à venir montrer leur vaillance. Marphise, toujours disposée aux belles prouesses: «Je veux – dit-elle – tenter avec vous l’entreprise.»

En somme, Astolphe, ainsi que Sansonnet, sont charmés de l’avoir pour compagne d’armes. Ils arrivent tous trois à Damas la veille de la fête, et se logent dans le faubourg. Là, jusqu’à ce que l’Aurore ait tiré du sommeil son vieil amant, ils se reposent bien plus à leur aise que s’ils étaient descendus au palais du roi.

Dès que le soleil levant a répandu partout ses rayons de flamme, la belle dame et les deux guerriers endossent leurs armes, après avoir envoyé à la ville des messagers. Ceux-ci reviennent leur dire que Norandin s’est déjà rendu sur la place où a lieu la fête, pour voir rompre les lances.

Sans plus de retard, ils vont eux-mêmes à la ville, et, suivant la rue principale, ils parviennent à la grande place, où un grand nombre de chevaliers renommés, divisés en deux troupes, attendent que le roi donne le signal. Les prix qui doivent être distribués en ce jour au vainqueur consistent en une épée et une masse richement ornées, et en un destrier digne de la munificence d’un prince tel que Norandin.

Convaincu que Griffon le Blanc doit gagner le prix de cette seconde joute, comme il a gagné celui de la première, et que l’honneur des deux journées lui reviendra, voulant profiter de cette occasion pour lui offrir une récompense à la hauteur de son mérite, Norandin a fait ajouter aux armes formant le prix du premier tournoi, une épée, une masse et un destrier magnifique.

Les armes qui, dans la précédente joute, devaient échoir à Griffon, vainqueur de tous ses adversaires, et que Martan avait usurpées en se faisant passer pour Griffon, avaient été suspendues, par ordre du roi, devant son estrade, avec l’épée richement ornée. La masse pendait à l’arçon du destrier. Tout cela devait être donné en prix à Griffon.

Mais ses intentions ne furent pas remplies, grâce à la magnanime guerrière qui venait d’arriver sur la place avec Astolphe et le brave Sansonnet. Celle-ci, apercevant les armes dont je viens de vous parler, les reconnut aussitôt. Elle les avait en effet possédées jadis, et elle en faisait grand cas, comme d’une chose excellente et rare.

Cependant elle les avait un jour laissées sur la route, parce qu’elles l’empêchaient de courir après Brunel, ce larron digne de la corde, qui lui avait ravi sa bonne épée. Je ne crois pas avoir besoin de vous conter autrement cette histoire, et je me tais là-dessus; qu’il vous suffise de savoir que Marphise venait de retrouver là ses armes.

Sachez aussi qu’une fois qu’elle les eut reconnues à des marques non douteuses, elle ne les aurait pas laissées un jour de plus sans les reprendre. Elle ne se préoccupe pas de chercher quel est le meilleur moyen de les ravoir; mais elle s’en approche brusquement, étend la main, et sans plus de considération s’en empare.

La violence avec laquelle elle les a saisies en fait tomber une partie à terre, l’autre lui reste à la main. Le roi, qui se tient pour vivement offensé, lève un regard plein de courroux, et le peuple saisit les lances et les épées pour venger une injure qu’il ne saurait supporter, sans se rappeler ce qu’il lui en a coûté, quelques jours auparavant, de chercher querelle aux chevaliers errants.

L’enfant, à la saison nouvelle, ne court pas avec plus de plaisir parmi les fleurs vermeilles d’azur et d’or; une dame, brillante de parure, ne se plaît pas mieux au son des instruments invitant à la danse, que Marphise n’éprouve de plaisir et d’assurance au milieu du fracas des armes et des chevaux, des lances et des épées aux pointes aiguës, prêtes à répandre le sang et la mort.

Elle pousse son cheval, et fond, impétueuse, la lance basse, sur la foule insensée. Elle transperce l’un à la gorge, l’autre en pleine poitrine; elle jette à terre, au premier choc, tantôt celui-ci, tantôt celui-là. Puis elle frappe avec son épée sur tous à la fois, et tranche les têtes, perce les flancs, coupe les bras ou les mains.

L’ardent Astolphe et le vaillant Sansonnet, qui sont revêtus comme elle de leur cuirasse et de leur cotte de mailles, bien qu’ils ne soient pas venus pour une semblable besogne, voyant la bataille engagée, abaissent la visière de leur casque, et se précipitent la lance en arrêt sur cette canaille. Puis, taillant de droite et de gauche avec leurs épées tranchantes, ils s’ouvrent un chemin.

Les chevaliers de nations diverses, qui sont venus pour prendre part à des joutes, voient avec stupéfaction les armes employées à satisfaire une telle fureur, et les jeux auxquels ils croyaient assister se changer en luttes sanglantes – ils ignoraient le motif de la colère du peuple et l’injure grossière faite au roi – et restent indécis et stupéfaits.

Quelques-uns, ayant voulu venir en aide à la foule, ne tardent pas à s’en repentir; d’autres, qui se soucient peu de ce qui peut arriver à une ville où ils sont étrangers, se préparent à partir. Les plus sages tiennent leurs chevaux en bride, et attendent l’issue du combat. Griffon et Aquilant sont au nombre de ceux qui s’élancent pour venger l’injure faite aux armes du roi.

Tous deux avaient vu le roi, dont les yeux étaient injectés de sang et ivres de colère. Ils avaient appris, par ceux qui les entouraient, le motif de la querelle, et Griffon avait compris que l’injure ne s’adressait pas moins à lui qu’au roi Norandin. Son frère et lui s’étaient fait apporter en toute hâte leurs lances, et ils accouraient, furieux, à la vengeance.

D’un autre côté s’en venait Astolphe, devançant tous les autres, et éperonnant Rabican. Il tenait en main la lance d’or enchantée qui abattait sous le choc les plus fiers jouteurs. Il en frappe le premier Griffon qu’il jette à terre, puis il va à la rencontre d’Aquilant. À peine a-t-il touché le bord de son écu, qu’il le renverse dans la poussière.

Les chevaliers les plus renommés et les plus vaillants vident la selle sous la lance de Sansonnet; le peuple cède enfin la place, et le roi enrage de colère et de dépit. Pendant ce temps, Marphise, voyant tous ses adversaires en fuite, se retire tranquillement vers son logis, emportant l’ancienne et la nouvelle cuirasse, ainsi que l’un et l’autre casque.

Astolphe et Sansonnet s’empressent de la suivre, et s’en reviennent avec elle vers la porte qui conduit à l’hôtellerie où ils se sont arrêtés. Devant eux tous s’écartent. Aquilant et Griffon, tout dolents de s’être vus renversés au premier choc, tiennent la tête basse par grande vergogne, et n’osent se présenter devant Norandin.