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» Outre que les termes du ban sont précis, aucun autre guerrier ne saurait lui disputer Bradamante. Si elle doit être le prix de la vaillance, quel chevalier est plus digne d’elle que lui? Si elle doit appartenir à celui qui a le plus d’amour pour elle, il n’est personne qui l’aime plus ardemment. Il est, du reste, prêt à soutenir ses raisons par les armes, contre quiconque les contredira.»

Charles, ainsi que toute la cour, resta stupéfait en entendant ces paroles. Tout le monde avait cru que c’était Léon, et non pas ce chevalier inconnu, qui avait combattu contre Bradamante. Marphise, qui était au nombre des assistants, et qui avait eu grand’peine à se taire jusqu’à ce que Léon eût fini de parler, s’avança soudain, et dit:

«Quoique Roger ne soit pas ici pour disputer sa femme à ce nouveau venu, celle-ci n’en sera pas moins défendue, et on ne l’aura point sans tapage. Moi, qui suis sa sœur, je me charge de répondre à quiconque prétendra avoir des droits sur Bradamante, ou qui niera que Roger ait des droits antérieurs sur elle.»

Elle prononça ces paroles avec tant de colère, d’un air si hautain, que la plupart des assistants crurent qu’elle allait commencer l’attaque sans attendre l’autorisation de Charles. Ce voyant, Léon ne crut pas devoir cacher plus longtemps Roger. Il lui ôta son casque, et, se tournant vers Marphise: «Le voici – dit-il – tout prêt à vous tenir tête.»

Le vieil Égée, en reconnaissant à l’épée que portait Thésée, que c’était à son fils que son épouse criminelle avait versé le poison – et s’il eût tardé plus longtemps à le reconnaître il aurait été trop tard, – le vieil Égée, dis-je, ne fut pas plus stupéfait que Marphise, quand elle reconnut que le chevalier qu’elle haïssait était Roger.

Elle courut se jeter dans ses bras et ne pouvait se détacher de son cou. Renaud, Roland, et Charles tout le premier, l’embrassèrent avec effusion. Dudon, Olivier, le roi Sobrin ne pouvaient se rassasier de lui prodiguer leurs caresses. C’était à qui, des paladins et des barons, ferait le plus fête à Roger.

Quand les embrassements eurent cessé, Léon, très savant à bien dire, recommença, en présence de Charles, à rappeler à tous ceux qui l’écoutaient, comment la vaillance, l’audace, déployées par Roger à Belgrade, avaient effacé en lui le ressentiment qu’il eût dû éprouver du dommage souffert par son armée.

Il avait été pris d’une telle amitié pour Roger, qu’aussitôt qu’il eut appris que ce dernier avait été fait prisonnier et livré à sa plus cruelle ennemie, il l’avait tiré de prison malgré toute sa famille. Il dit comment le brave Roger, pour le récompenser de ce dévouement, avait déployé à son égard une générosité qui dépassait tout ce qu’on avait jamais vu, et tout ce qu’on verrait jamais.

Poursuivant, il narra de point en point ce que Roger avait fait pour lui, et comment, désespéré d’être obligé de renoncer à sa femme, il avait résolu de mourir. Il dit comment l’infortuné était près de rendre l’âme quand il put venir à son secours, et le détourner par ses affectueuses paroles de sa fatale résolution; et il exprima tout cela en termes si doux, si affectueux, qu’il n’y avait pas un œil qui restât sec.

Puis il s’adresse d’une manière si efficace à l’obstiné duc Aymon, que, non seulement il l’émeut, l’entraîne et le fait changer de sentiment, mais qu’il le fait consentir à aller lui-même supplier Roger de lui pardonner et de l’accepter pour beau-père, lui promettant enfin la main de Bradamante.

Pendant ce temps, celle-ci, doutant de sa propre existence, pleurait sur ses malheurs au fond de sa chambre la plus retirée. Soudain des cris joyeux se font entendre; on accourt en toute hâte lui annoncer l’heureuse nouvelle. Tout son sang, qui s’était porté au cœur sous le coup de sa douleur intense, reflue subitement aux extrémités, et la donzelle reste quasi morte de joie.

La force l’abandonne tellement, qu’elle ne peut se tenir debout, elle, si renommée pour sa vigueur corporelle et pour son énergie. Elle n’éprouve pas plus de joie que le criminel condamné au gibet ou à la roue, et qui, ayant déjà les yeux recouverts du bandeau fatal, entend proclamer sa grâce.

Les maisons de Montgraine et de Clermont se réjouissent de voir deux de leurs rameaux s’unir dans de nouveaux liens. Par contre, Ganelon, le comte Anselme, Falcon, Gini et Ginarni en sont fort marris. Mais ils cachent sous un front joyeux leurs pensées d’envie et de haine. Ils attendent l’occasion de se venger, comme le renard attend le lièvre au passage.

Renaud et Roland avaient déjà, à plusieurs reprises, occis un grand nombre de ces traîtres. Bien que leurs querelles eussent été sagement assoupies par le roi, elles s’étaient de nouveau réveillées depuis la mort de Pinabel et de Bertolas. Mais les traîtres dissimulaient leurs projets félons, et faisaient semblant d’ignorer la vérité.

Les ambassadeurs bulgares, venus, comme je l’ai dit, à la cour de Charles, dans l’espoir d’y trouver le brave chevalier de la Licorne, auquel ils avaient donné la couronne, apprenant qu’il y était en effet, s’applaudirent de l’heureux destin qui avait réalisé leur espoir, et, courant se jeter respectueusement à ses pieds, ils le supplièrent de revenir en Bulgarie,

Où étaient conservés dans Andrinople le sceptre et la couronne royale. Ils le pressèrent de venir défendre ses États, menacés d’une nouvelle invasion plus nombreuse que la première, et conduite par Constantin en personne; ajoutant que, s’ils avaient leur roi avec eux, ils étaient certains d’enlever l’empire grec à ce dernier.

Roger accepta le trône et consentit à leurs prières; il promit de se rendre en Bulgarie dans trois mois au plus tard, si la Fortune n’avait pas autrement disposé de lui. Léon Auguste, ayant appris cette résolution, dit à Roger qu’il pouvait se fier à sa parole, et que, puisqu’il était roi des Bulgares, la paix était faite entre eux et Constantin.

Il n’aurait donc pas besoin de se hâter de quitter la France pour aller se mettre à la tête de ses troupes, car Léon s’engageait à faire renoncer son père à toutes les terres des Bulgares déjà conquises. Aucune des qualités qu’on admirait chez Roger n’avait pu émouvoir l’ambitieuse mère de Bradamante, et lui faire aimer le généreux chevalier; il n’en fut pas de même quand elle l’entendit appeler du titre de roi.

Les noces furent splendides et royales, et comme il convenait à celui qui s’en était chargé. C’était Charles qui avait voulu en faire les apprêts, et il n’aurait pas mieux fait les choses, s’il eût marié sa propre fille. Les services de Bradamante étaient tels, sans compter ceux de toute sa famille, que l’empereur n’aurait pas cru faire trop s’il avait dépensé la moitié des trésors de son royaume.

Il fit publier dans tous les environs que chacun pouvait venir librement à sa cour, accordant toute sûreté pendant neuf jours francs à quiconque voudrait s’y rendre. Par ses ordres, on dressa dans la campagne des tentes ornées de feuillage et de fleurs, tapissées d’or et de soie, et plus agréables à voir que n’importe quel lieu du monde.

Jamais Paris n’aurait pu contenir l’innombrable quantité d’étrangers, pauvres ou riches, de tous rangs, Grecs, Barbares, Latins, qui y étaient accourus. Les grands seigneurs et les ambassades venues de toutes les parties du globe, ne cessaient d’affluer. Tous ces hôtes furent très commodément logés sous les pavillons et sous les tentes de verdure.