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La nuit qui précéda les noces, la magicienne Mélisse avait fait superbement et très originalement orner l’appartement nuptial. Elle avait du reste tout préparé de longue main, car, dans sa science de l’avenir, elle avait depuis longtemps prévu que ce beau couple serait enfin uni; elle savait que leurs douloureuses épreuves se termineraient heureusement.

Elle avait fait placer le lit nuptial, – ce lit qui devait être si fécond – au milieu d’un vaste pavillon, le plus riche, le plus orné, le plus agréable qu’on eût jamais élevé pour faire la guerre ou pour célébrer la paix. On n’en vit plus de pareil depuis, dans tout l’univers. Mélisse l’avait fait transporter des rivages de Thrace, après l’avoir enlevé à Constantin qui en avait fait sa tente sur le bord de la mer.

Mélisse, du consentement de Léon, ou plutôt pour jouir de son étonnement et lui montrer à quel point elle avait dompté les esprits infernaux et comment elle pouvait commander à son gré à la grande famille ennemie de Dieu, avait fait transporter le pavillon, de Constantinople à Paris, par des messagers du Styx.

Elle l’avait enlevé à l’empereur grec Constantin, en plein jour, avec les cordes et les filets et tous ses ornements extérieurs et intérieurs. Elle l’avait fait transporter par les airs, et en avait fait la chambre de Roger. Une fois les noces terminées, elle le renvoya de la même façon là où elle l’avait pris.

Il y avait près de deux mille ans que ce riche pavillon avait été construit. Une damoiselle du royaume d’Ilion, qui joignait à la fureur prophétique une science acquise dans de longues veillées, l’avait fait tout entier de sa main. Elle s’appelait Cassandre, et elle avait donné ce pavillon à son frère, l’illustre Hector.

Elle y avait retracé en riches broderies de soie et d’or, l’histoire du plus généreux chevalier qui dût jamais sortir de la race de son frère, bien qu’elle sût que ce chevalier naîtrait sur des rameaux fort éloignés de leur tige. Pendant tout le temps qu’il vécut, Hector conserva précieusement ce pavillon, auquel il tenait beaucoup à cause de son beau travail et de celle qui l’avait fait.

Mais, après sa mort, arrivée par trahison; après que les Grecs se furent emparés de Troie, dont le traître Sinon leur ouvrit la porte, et eurent fait un carnage de la nation troyenne, le pavillon échut à Ménélas qui l’emporta en Égypte, où il le céda au roi Prothée, en échange de sa femme que ce tyran retenait captive.

La dame, en échange de laquelle le pavillon fut cédé à Prothée, s’appelait Hélène. Le pavillon passa plus tard entre les mains de Ptolémée, pour arriver à Cléopâtre. Il fut enlevé à cette dernière avec d’autres richesses, par les gens d’Agrippa, dans la mer de Leucade. Puis il tomba entre les mains d’Auguste et de Tibère, et resta à Rome jusqu’à Constantin.

Je veux parler de ce Constantin dont la belle Italie aura à se plaindre tant que les cieux tourneront sur eux-mêmes. Constantin, lassé d’habiter les bords du Tibre, emporta le précieux pavillon à Byzance. Mélisse l’enleva à un autre Constantin. Les cordes étaient en or, et le mât en ivoire. Les parois étaient ornées de belles peintures, belles, comme jamais le pinceau d’Apelles n’en produisit.

Ici les Grâces aux vêtements légers, venaient en aide à une reine sur le point d’accoucher. Un enfant recevait le jour, si beau, qu’on n’en vit point un pareil du premier au quatrième siècle. On voyait Jupiter, l’éloquent Mercure, Vénus et Mars répandre à pleines mains sur son berceau les fleurs éthérées, l’ambroisie céleste et les célestes parfums.

Le nom d’Hippolyte était inscrit au-dessous en lettres minuscules. Plus loin, ce même enfant, parvenu à un âge plus avancé, était conduit par la Fortune, précédée de la Vertu. La peinture montrait une nouvelle troupe de gens aux longs habits et aux longs cheveux, et qui étaient venus de la part de Corvin demander le tendre bambin à son père.

On voyait l’enfant prendre respectueusement congé d’Hercule et de sa mère Léonora, et arriver sur les bords du Danube, où les habitants accouraient pour le voir et l’adoraient comme un dieu. On voyait le sage roi des Hongrois admirer un savoir précoce dans un âge si tendre, et l’élever au-dessus de tous ses barons.

On le voyait remettre entre ses mains d’enfant le sceptre de Strigonie. Le jeune Hippolyte le suivait partout, dans le palais, comme sous la tente. Dans toutes les expéditions entreprises par ce roi puissant contre les Turcs ou les Allemands, Hippolyte était toujours à ses côtés, attentif aux moindres gestes de ce héros magnanime, et s’inspirant de ses vertus.

Là, on le voyait passer dans la discipline et l’étude la fleur de ses premières années. Il avait près de lui Fusco, chargé de lui expliquer le sens des chefs-d’œuvre de l’antiquité, et qui semblait lui dire: «Voici ce qu’il faut éviter, voici ce qu’il faut faire pour acquérir la gloire et l’immortalité,» tant on avait bien rendu les gestes des personnages qui y étaient peints.

Puis il allait s’asseoir, quoique bien jeune encore, au Vatican, en qualité de cardinal. Il y révélait son éloquence et son intelligence hors ligne. Autour de lui ce n’était qu’un cri: que sera-t-il dans l’âge mûr? semblaient se dire entre eux ses collègues remplis d’étonnement. Oh! si jamais il met sur ses épaules le manteau de Pierre, quelle ère fortunée, quel siècle de merveilles!

D’un autre côté, étaient retracés les récréations libérales et les jeux de l’illustre jeune homme. Tantôt il affrontait les ours terribles des cimes alpestres, tantôt il chassait les sangliers au sein des marais, des vallées profondes. Ici, monté sur un genêt, il semblait dépasser les vents, à la poursuite du chevreuil ou du cerf antique, qu’il atteignait sans peine et partageait en deux d’un seul coup d’épée.

Ailleurs, on le voyait au milieu d’une illustre compagnie de philosophes et de poètes. Les uns lui démontraient le cours des planètes; les autres lui dépeignaient la surface de la terre; d’autres lui dévoilaient les mystères des cieux. Ceux-ci lui faisaient entendre de plaintives élégies, ceux-là des strophes joyeuses, des chants héroïques ou quelque ode sublime. Ici, il prêtait l’oreille aux accords variés de la musique; là, il exécutait, non sans grâce, un pas de danse.

Dans cette première partie, Cassandre avait peint la jeunesse de cet enfant sublime. Dans l’autre, elle avait rappelé ses actes marqués au coin de la prudence, de la justice, du courage, de la modestie et de cette vertu étroitement unie à toutes les autres, je veux parler de la générosité qui éclaire et illumine tout.

Ici, on voyait le jeune homme, à côté de l’infortuné duc des Insubrien, tantôt lui prodiguer ses conseils dans la paix, tantôt déployer avec lui l’étendard portant les couleuvres. Il lui restait fidèle dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Il le suivait dans sa fuite, le réconfortant par ses paroles et l’aidant de son bras, à l’heure du péril.

Ailleurs, on le voyait consacrer ses hautes facultés au salut d’Alphonse et de Ferrare. À force de chercher, il découvrait et faisait voir à son frère, ce prince très juste, la trahison de ses plus proches parents. En cela, il héritait du titre que Rome, rendue libre, donna à Cicéron.

Plus loin, recouvert d’armures brillantes, il courait prêter son aide à l’Église; à la tête d’un petit nombre de gens, il ne craignait pas d’affronter une armée aguerrie. Sa seule présence était d’un tel secours pour les troupes du pape, que le feu de la guerre était éteint, pour ainsi dire, avant d’avoir brûlé; de sorte qu’il pouvait dire: Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu.