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Cependant les cavaliers relèvent promptement leurs destriers de la bride et de l’éperon; jetant leurs lances, ils tirent leur épée, et reviennent l’un sur l’autre pleins de fureur et de rage. Faisant caracoler de côté et d’autre, avec beaucoup d’adresse, leurs chevaux dociles et légers, ils cherchent de la pointe de l’épée le défaut de leurs cuirasses.

La poitrine de Rodomont n’était plus protégée par la rude écaille du serpent; il n’avait plus à la main l’épée tranchante de Nemrod, et son front n’était plus armé de son casque ordinaire. Il avait laissé les armes qu’il portait d’habitude, suspendues au monument d’Isabelle, après avoir été vaincu sur le pont par la dame de Dordogne, comme il me semble vous l’avoir dit plus haut.

Il avait une nouvelle armure fort bonne, mais qui était loin d’être aussi parfaite que la première. Mais pas plus l’ancienne que la nouvelle n’aurait arrêté Balisarde, à laquelle ne résistait ni enchantement, ni finesse d’acier, ni dureté de trempe. Roger s’escrime si bien de çà et de là, qu’il a déjà percé les armes du païen en plus d’un endroit.

Quand le païen voit son sang rougir ses armes de tous côtés, et qu’il ne peut éviter que la plus grande partie des coups qu’on lui porte arrivent jusqu’à sa chair, il est saisi d’une rage plus grande, d’une fureur plus intense que la mer un jour de tempête au cœur de l’hiver. Il jette son écu, et prenant son épée à deux mains, il frappe de toutes ses forces sur le casque de Roger.

La machine qui est supportée sur le Pô par deux bateaux, et dont le marteau relevé au moyen d’hommes et de roues, retombe sur les poutres aiguisées en pointes, ne frappe pas des coups plus formidables que celui que le fier païen asséna de toutes ses forces sur la tête de Roger. Ce dernier fut protégé par son casque enchanté; sans cela, lui et son cheval auraient été fendus d’un seul coup.

Roger s’incline à deux reprises; il ouvre les bras et les jambes comme s’il allait tomber. Avant qu’il ait eu le temps de se remettre, le Sarrasin lui porte un second coup plus terrible, suivi d’un troisième. Mais son glaive trop faible ne peut supporter une si rude besogne; il vole en éclats, et laisse la main du cruel païen désarmée.

Rodomont ne s’arrête point pour cela. Il s’approche de Roger qui est encore privé de sentiment, tellement les coups qu’il a reçus sur la tête lui ont troublé la cervelle. Mais le Sarrasin ne tarde pas à le réveiller de ce lourd sommeil; de son bras puissant, il lui enlace le cou et le serre avec une telle force, qu’il l’enlève des arçons, et le jette à terre.

Roger n’a pas plus tôt touché la terre, qu’il se redresse plein de colère et de vergogne. Il jette les yeux sur Bradamante. Il la voit si troublée de sa chute, que son beau visage pâlit et que la vie est prête à l’abandonner. Roger, désireux d’effacer promptement cette honte que Rodomont lui a fait subir, saisit son épée et fond sur le païen.

Celui-ci le heurte de son destrier, mais Roger l’esquive adroitement en se rejetant en arrière. Au moment où le destrier passe devant lui, il le saisit à la bride de la main gauche, et le force à tourner sur lui-même, tandis que, de la main droite, il cherche à frapper le cavalier soit au flanc, soit au ventre, soit à la poitrine. Il finit par lui porter deux coups de pointe, l’une au flanc, l’autre à la cuisse.

Rodomont, qui tenait encore à la main le pommeau de son épée brisée, en assène un tel coup sur le casque de Roger, qu’il aurait dû l’étourdir de nouveau. Mais Roger qui devait vaincre, ayant le bon droit pour lui, le saisit par le bras, et joignant sa main droite à la première, tire son adversaire tant et si bien, qu’il finit par l’arracher de selle.

Soit force, soit adresse, le païen tombe de façon qu’il n’a plus d’avantage sur Roger; je veux dire qu’il retombe à pied. Mais Roger qui a encore son épée, est mieux partagé. Il s’efforce de tenir le païen à distance, afin d’éviter une lutte corps à corps avec un adversaire d’une taille si gigantesque.

Il voit le sang couler de son flanc, de sa cuisse et de ses autres blessures. Il espère que, peu à peu, les forces lui manqueront, et qu’il pourra achever de le vaincre. Le païen avait encore à la main le pommeau de son épée; réunissant toutes ses forces, il en porte un coup qui étourdit Roger plus qu’il ne le fut jamais.

Roger, frappé à la visière de son casque et à l’épaule, vacille et chancelle sous le coup, et a toutes les peines du monde à se tenir debout. Le païen veut s’élancer sur lui, mais le pied lui manque, affaibli qu’il est par sa blessure à la cuisse. Dans sa précipitation à s’élancer sur Roger, il tombe sur un genou.

Roger ne perd pas de temps; il lui porte de grands coups à la poitrine et à la figure; il le martelle, et le tient en respect en le maintenant à terre avec la main. Mais le païen fait si bien, qu’il réussit à se relever; il saisit Roger, et l’enlace dans ses bras. L’un et l’autre, joignant l’adresse à la force, cherche à ébranler, à étouffer son adversaire.

Rodomont, blessé à la cuisse, et le flanc ouvert, avait perdu une grande partie de ses forces. Roger, depuis longtemps rompu à tous les exercices du corps, possédait une grande adresse. Il comprend son avantage et ne s’en dessaisit pas. Là où il voit le sang sortir avec le plus d’abondance des blessures du païen, il pèse de tout le poids de ses bras, de sa poitrine, de ses deux pieds.

Rodomont, plein de rage et de dépit, a saisi Roger par le cou et par les épaules. Il le tire, il le secoue, il le soulève de terre et le tient suspendu sur sa poitrine. Il le serre étroitement, l’ébranle de çà de là, et cherche à le faire tomber. Roger, ramassé sur lui-même, fait appel à toute son adresse, à toute sa vigueur, pour garder l’avantage.

Le franc et brave Roger finit par saisir Rodomont. Il pèse avec sa poitrine sur le flanc droit de son adversaire, et le serre de toutes ses forces; en même temps, il lui passe la jambe droite sous le genou gauche, tandis que son autre jambe enlace la jambe de Rodomont. Il le soulève ainsi de terre, et le renverse la tête la première.

Rodomont va frapper le sol de la tête et des épaules. La secousse est si violente, que le sang jaillit de ses blessures comme de deux fontaines, et rougit au loin la terre. Roger qui sent que la Fortune est pour lui, redouble d’efforts. Afin d’empêcher le Sarrasin de se relever, il lui porte d’une main le poignard à la visière, de l’autre il le tient à la gorge; avec ses genoux, il lui presse le ventre.

Parfois, dans les mines d’or de la Pannonie ou de l’Ibérie, un éboulement subit vient ensevelir ceux que leur avarice y a fait descendre; les malheureux sont tellement étouffés, que leur souffle peut à peine s’exhaler. Il en est de même du Sarrasin, oppressé sous le poids de son vainqueur et renversé par terre.

Roger a tiré son poignard; il en porte la pointe à la visière de Rodomont et lui crie de se rendre, en lui promettant de lui laisser la vie. Mais celui-ci, qui redoute moins de mourir que de montrer un seul instant de faiblesse, s’agite, se secoue et, sans répondre, cherche à mettre Roger sous lui.

De même qu’un mâtin, renversé par un dogue féroce qui lui a enfoncé ses crocs dans la gorge, s’agite et se débat en vain, les yeux ardents et la gueule baveuse, et ne peut se débarrasser de son redoutable adversaire qui le surpasse en force mais non en rage, ainsi le païen finit par perdre tout espoir de se délivrer de l’étreinte de Roger victorieux.

Cependant, il se tord et se débat de telle sorte qu’il réussit à dégager son bras droit et à tirer son poignard. Il cherche à frapper Roger sous les reins; mais le jeune homme s’aperçoit du danger qu’il court s’il tarde plus longtemps à donner la mort à cet indomptable Sarrasin.