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Votre mauvaise foi, Monsieur, résulte clairement des faits.

D’abord, tandis qu’en termes nets et précis je vous décrivais, Monsieur, ma situation et vous demandais le sens de vos sous-entendus par rapport à Eugène Nikolaïtch, vous avez gardé le silence, et tout en m’irritant par vos soupçons injurieux, vous vous êtes dérobé à toute explication franche.

Après de tels innommables procédés, vous m’écrivez que tout cela vous chagrine. Enfin, quand les instants étaient pour moi si précieux, non content de vous être fait chercher dans toute la capitale, vous m’écrivez sous couleur d’amitié des lettres où, vous taisant intentionnellement sur notre affaire, vous bavardiez sur toute autre chose pour me donner le change, parlant de la maladie de votre estimable épouse, des soins consacrés par le médecin à votre enfant qui fait ses dents, revenant sur ces détails dans chacune de vos lettres avec une impertinente assiduité.

Assurément je puis admettre que les souffrances de l’enfant font souffrir l’âme paternelle. Mais pourquoi en parler, alors qu’il y avait quelque chose de plus important et de plus intéressant à m’écrire? Je me taisais et je patientais. Mais à présent que le temps a passé, mon devoir est de m’expliquer. Enfin, vous étant joué de moi en me donnant plusieurs fois de faux rendez-vous, vous m’avez obligé à être en quelque sorte votre bouffon, votre pantin. Ce à quoi je vous prie de croire que je ne suis nullement disposé.

Vous me donnez rendez-vous sur rendez-vous, et vous n’allez à aucun, prétextant l’opportune attaque d’apoplexie de votre tante qui vous fournit ainsi un prétexte dont vous n’avez pas eu honte d’abuser. Or, j’ai appris, pendant ces trois jours, que votre tante a eu son attaque le 7 au soir, un peu avant minuit. Vous n’avez donc pas craint de profaner les saintes relations de la famille pour tromper un étranger! Enfin, votre tante est morte juste vingt-quatre heures après la date que vous avez eu l’impudence de m’assigner…

Je n’en finirais pas si je voulais faire la somme de toutes vos supercheries. Et vous m’appelez votre ami sincère! Cela dans le but évident, selon moi, de me donner le change.

J’arrive maintenant à votre tromperie capitale, à ce silence obstiné en ce qui concerne nos intérêts communs, à cet indigne vol de la lettre où vous aviez si vaguement expliqué nos conventions relatives à cet emprunt forcé de trois cent cinquante roubles sans reçu, et aussi à vos calomnies dirigées contre notre commun ami Eugène Nikolaïtch. Je vois bien que vous vouliez me laisser entendre qu’on ne peut rien lui extorquer, qu’il n’est, à ce point je vue, ni chair ni poisson. Quant à moi, je connais Eugène Nikolaïtch et le tiens pour un jeune homme très modeste et d’excellente conduite, qui mérite l’estime universelle. Je sais que chaque soir, pendant quinze jours de suite, vous gagniez plusieurs dizaines et même souvent une centaine de roubles en jouant aux cartes avec Eugène Nikolaïtch. Aujourd’hui, vous niez tout cela, et non-seulement vous oubliez les peines que j’ai prises pour vous, mais encore vous vous appropriez mon argent, me séduisant par de belles promesses de partager les gains, et vous vous dispensez de m’en remercier, sans scrupule de loyauté, employant même le mensonge pour salir à mes yeux un homme que j’ai introduit dans votre maison. Vous-même, pourtant, à ce que je me suis laissé dire, vous le faites passer pour le premier de vos amis, quoique vos intentions soient évidentes et que chacun sache ce que vaut votre amitié.

Je termine, ces explications me semblant suffisantes. Je conclus: si, au plus tôt, au reçu de ma lettre, vous ne me retournez pas les trois cent cinquante roubles et toutes les autres sommes qui, d’après vos promesses me reviennent, je recourrai à tous les moyens possibles pour obtenir satisfaction, dusse-je employer la force. Je vous déclare que je suis en possession de certaines pièces qui, dans les mains de votre humble serviteur, peuvent vous nuire et salir irrémédiablement votre nom.

Permettez-moi de rester, etc.

VII. PETRE IVANOVITCH À IVAN PETROVITCH.

15 novembre.

Ivan Petrovitch,

Au reçu de votre étrange lettre de moujik, j’ai pensé d’abord la déchirer en morceaux. Mais je la garde à titre de curiosité. Du reste, je regrette sincèrement les malentendus qui sont survenus entre nous. Je ne voulais même pas vous répondre, mais la nécessité m’y force. Je dois vous déclarer qu’il me serait très désagréable de vous voir jamais dans ma maison. Ma femme partage mon sentiment: elle est faible de santé, et l’odeur du goudron fatigue ses bronches. Elle renvoie à votre épouse les livres que celle-ci lui a prêtés: Don Quichotte de la Manche – avec sa reconnaissance. Quant à vos caoutchoucs, j’ai le regret de vous dire qu’on n’a pu les trouver nulle part. On les cherche, et s’ils restent introuvables, je vous en achèterai une paire.

Du reste, j’ai l’honneur d’être, etc.

VIII.

(Le 16 novembre, Petre Ivanovitch reçoit par la poste deux lettres. En ouvrant la première enveloppe, il en retire un billet plié dans tous les sens, un papier rose tendre. L’écriture est de sa femme, le billet est adressé à Eugène Nikolaïtch et porte la date du 2 novembre. L’enveloppe ne contient pas autre chose, Petre lit:)

Cher Eugène! Je n’ai absolument pas pu hier. Mon mari n’est pas sorti de la soirée. Viens demain à onze heures précises. À dix heures et demie mon mari part pour Tsarskoïé et ne rentrera qu’à minuit. J’ai enragé toute la nuit durant. On te remercie pour l’envoi des nouvelles et de la correspondance. Quel tas de paperasses! C’est donc elle qui a écrit tout cela! D’ailleurs, ce n’est pas sans style. Merci, je vois que tu m’aimes. Ne sois pas fâché pour hier, et viens, au nom de Dieu!

A.

(Petre Ivanovitch décachette la seconde enveloppe.)

Petre Ivanovitch!

Je n’aurais, de moi-même, jamais remis les pieds chez vous; il était inutile de noircir tant de papier pour cela.

Je partirai la semaine prochaine pour Simbirsk. Votre très cher et très honoré ami Eugène Nikolaïtch vous restera. Je vous souhaite du bonheur! Quant aux caoutchoucs, quittez ce souci.

IX.

(Le 17 novembre, Ivan Petrovitch reçoit par la poste deux lettres. En ouvrant la première enveloppe, il en retire un billet écrit à la hâte. L’écriture est de sa femme, le billet est adressé à Eugène Nikolaïtch et porte la date du 4 août. L’enveloppe ne contient pas autre chose, Ivan lit:)

Adieu, adieu, Eugène Nikolaïtch! Que Dieu vous récompense! Soyez heureux! Quant à moi, mon sort est terrible. Que votre volonté soit faite! Sans ma tante, j’aurais été toute à vous. Ne riez pas de moi, ni de ma tante. Je me marie demain. Ma tante est ravie d’avoir rencontré un bon garçon qui consente à me prendre sans dot. C’est aujourd’hui pour la première fois que je l’ai examiné. Il me paraît très bon. On me presse. Adieu! adieu, mon chéri! Souvenez-vous de moi qui ne vous oublierai jamais. Adieu. Je signe cette dernière comme ma première… Vous vous rappelez?

TATIANA.

(Dans la seconde enveloppe Ivan Petrovitch trouve ce qui suit:)