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— Martine, dit-il tout bas, je me perdrais bien dans les bois avec toi…

— Martine ! criait-on. Martine ! où es-tu ? On t’attend !

Daniel enfourcha sa moto, leva le bras en signe d’adieu… La moto fila dans un bruit de tonnerre de Zeus.

LA CORRIDA DES JEUNES

Avec toutes ces maisons paysannes arrangées par les Parisiens, et le camping qui s’est monté en haut de la colline, le village prenait maintenant chaque été un peu plus « le genre Saint-Germain-des-Prés », comme disait Mme Donzert, la Parisienne, ce qui n’expliquait rien ni à Martine, ni à Cécile. Mais elles n’avaient pas besoin d’explications, elles savaient mieux que M’man Donzert que ces garçons de Paris n’avaient pas de savoir-vivre, se croyaient, étaient mal embouchés, gueulaient, et ne distinguaient pas l’orge de l’avoine. Eh bien, si c’était ça, les Parisiens, les gars du village, auprès d’eux, étaient de gentils animaux domestiques ! Et les filles ! dévêtues, dépeignées, déchaussées, bref, débraillées, bien qu’elles n’eussent sur leur peau bronzée qu’un cache-sexe et un cache-seins ! Mais il suffisait d’un mouchoir de coton, fripé, noué de travers autour du cou pour leur donner cet air-là. Pour tout dire, une génération qui faisait le malheur de ses parents, disait Mme Donzert à son amie, la pharmacienne — pharmacienne par mariage, ce n’était pas elle qui avait fait des études, mais son mari — qui, elle, disait que cette génération ne faisait pas plus le malheur de ses parents que n’importe quelle autre, et n’était pas tout d’un, non plus. Et si tous ces jeunes se promènent nus, c’est à cause du progrès de la médecine, regardez-les, s’ils sont bien portants, grands et bien fichus… Avec les jus de fruits, les vitamines…

— On n’a pas besoin de se mettre nu pour avaler des vitamines, disait Mme Donzert.

— Non, mais quand vous êtes nus, elles agissent mieux.

— Tu diras peut-être que Cécile et Martine se portent mal ? Je ne te fais pas gagner beaucoup d’argent, à la pharmacie, et c’est sans regrets !

— Tu parles comme grand-mère, quand elle voit tes filles se promener sans chapeau au soleil, c’est elle qui prend un coup de sang ! Maintenant, on laisse parler la nature. Et il n’y aura pas de drame quand Cécile ou Martine te ramèneront un gosse-Mais ne te fâche pas ! Tu sais bien que lorsqu’on est femme de pharmacien, on exprime les choses simplement…

Martine et Cécile pouvaient difficilement sortir, tant il y avait de travail au salon de coiffure et à la maison, ce n’était guère que le dimanche qu’elles allaient faire un tour du côté de la baignade, après six heures, à la fraîcheur. Martine emportait avec elle l’espoir tenace de rencontrer Daniel. Depuis deux ans, elle se nourrissait encore de cette vision, la nuit, près du château qui s’éteignit à son apparition, comme on souffle une bougie… « Martine, j’aimerais me perdre dans les bois avec toi… » Depuis, elle l’avait vu quelques fois traverser le pays, s’arrêter chez son ami, le docteur, qui ne lui faisait plus de piqûres… Il n’apparaissait pas plus souvent en hiver qu’en été, il travaillait beaucoup à la pépinière, chez son père, et il passa brillamment son concours pour entrer à l’École d’Horticulture… Il allait donc partir pour Paris tout à fait. Martine avait ses informateurs : la pharmacienne qui savait bien des choses par le docteur, et aussi Henriette, la petite bonne de ce dernier, avec laquelle Martine avait été en classe, et qui se débrouillait pour savoir des choses, avec délectation.

Du haut du clocher carré, gris, l’heure dégringolait au ralenti, sans hâte, dorée par le soleil comme les aiguilles de l’horloge. Six coups tombèrent dans la caisse du village qui les garda pour elle, dans la douceur des collines boisées. Il n’y avait pas de Daniel Donelle parmi ces femmes en pantalon, ou, pis encore, en short, les fesses tendant l’étoffe à craquer, et des chaussures à talons, c’était risible… venues faire leurs commissions du camping, traînant derrière elles, au bout du bras comme au bout d’une laisse, un gosse ou deux, nus et marron de soleil, traînant de leur côté une poupée, un ours, un jouet sur roues. Coop, Familistère, boucher, quincaillier, partout c’était plein. Les deux filles sortirent du village. Derrière le cimetière, les champs étaient traversés par une route déjà agréable à cette heure-ci. Elles se mettaient bientôt à longer une petite rivière, pittoresque en diable, il y avait même une sorte de gorge entre les collines, rondes et douces comme les mamelles des vaches qui y paissaient dans les prés… Ensuite, ruisseau et chemin entraient dans la grande forêt. Juste à l’orée, on découvrait un petit château qu’on ne pouvait voir de la route, le parc clos de murs. Du terrain de camping au-dessus, sur la colline, venait le grondement d’un haut-parleur et à sa suite de la musique qui se délayait dans les airs, comme du sirop dans trop d’eau. C’était de là qu’arrivait probablement aussi la bande de jeunes garçons et filles, dévalant la colline avec des cris sauvages… Martine et Cécile, sans se concerter, se jetèrent dans les buissons, comme devant une meute de chiens méchants. Le cœur battant, elles les regardaient passer, suants, grimaçants, sifflant, criant, hurlant… Attirés par le mur du château, elles les virent se faire la courte échelle, et — mon Dieu ! — c’était Henriette qui était là-haut sur le mur, lorsqu’y apparut la gueule ouverte d’un berger allemand qui devait sauter à la hauteur du mur… Henriette fit si vite pour descendre que ses jupes couvrirent les têtes des deux garçons qui la tenaient, et que toute la pyramide s’écroula par terre. Il n’y eut rien de cassé, et la bande s’enfonça dans la forêt avec des hurlements.

Les deux filles sortirent de leur cachette. Mon Dieu, cette Henriette ! Cela finira mal, sûrement. Elles sortirent des buissons et continuèrent à marcher, se disant qu’elles n’auraient pas dû mettre leurs ballerines neuves, le chemin étant poussiéreux par cette chaleur, et il y avait beaucoup de promeneurs allant tous dans la même direction, celle de la baignade, de la fraîcheur. Elles dépassèrent une grappe de gosses qui faisaient exprès de remuer la poussière, la mère, enceinte, poussait une voiture vide, et le père portait le petit qui s’égosillait. C’était dimanche. « Des papiers gras… » dit Martine avec dégoût. Et, en effet, tout le long du ruisseau, sous les arbres, il y en avait, de ces p. p. c. laissés par les pique-niqueurs sur l’herbe écrasée, avec, à la suite, des traces de roues. Le ruisseau allait jusqu’à l’étang dans lequel il se jetait.

Il y avait un monde ! Du côté de la baignade venaient des cris, des rires, des ploufs ! L’étang brillait à terre comme une coulée de métal chauffée à blanc, avec des rougeurs du soleil couchant. Des pêcheurs immobiles, au milieu de l’eau, là-bas, loin… des bateaux toujours à s’ennuyer dans les roseaux, à moitié submergés, à attendre qu’on leur fiche la paix, que tout redevienne calme… Des voitures se reposaient sur la berge, les gueules des radiateurs grandes ouvertes, cherchant le frais, c’était tout juste si elles n’avaient pas une langue pour la faire pendre comme les chiens qui couraient ici et là, essoufflés par la chaleur et l’excitation. Des remorques, des caravanes dodues et confortables, se tenaient entre les arbres, il y avait quelques tentes d’un orange tout neuf, et, devant, des sièges et des tables légères, des gens en peau bronzée… Martine et Cécile s’assirent sur un énorme tronc d’arbre, soulevant leurs jupes. En face, là où s’étalait le petit pré tout vert, et où il était interdit de camper, paissaient les vaches du père Malloire.