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— Parieux ?

— C’est ça, je crois… Oui, c’est bien ce nom. Alors le docteur s’est fâché, il l’a renvoyée… Il lui a lancé les clés de Goussenville à la figure en lui disant qu’il ne voulait pas la jeter à la rue complètement, mais qu’il ne voulait plus entendre causer d’elle ! Moi, j’étais dans la salle à manger pendant ce temps… J’ai tout entendu… Elle a ramassé le trousseau en lui disant merci sur un ton de moquerie…

— Et puis ?

— Le docteur pleurait. Alors elle lui a dit qu’elle comprenait son chagrin, qu’elle n’y pouvait rien, que c’était sa génération qui voulait ça… Qu’elle n’était qu’une saloperie… C’est son mot, mon bon monsieur… Mais que, quand on avait choisi le mal, il fallait aller jusqu’au bout pour que ça en vaille la peine… Des idées pareilles ! Moi, j’en ai eu les larmes aux yeux. Elle a continué un bon moment encore, elle lui a dit qu’elle mettait sur pied un coup qui lui rapporterait beaucoup d’argent…

« — Avec ta crapule de Parieux ? a demandé le docteur…

« — Tout juste… Mais n’aie pas peur, je ne resterai pas longtemps avec lui… Lorsque j’aurai de la galette, je quitterai la France, j’irai faire peau neuve ailleurs et peut-être que, l’âge venant, je redeviendrai une bonne petite bourgeoise, fille de bourgeois, et… qui sait ? mère de bourgeois…

« Elle a voulu l’embrasser.

« — Pars ! a-t-il crié ! Pars, tu me fais horreur !

« Et elle est partie. Encore une lichette de verveine, monsieur ?

Je ne lui réponds rien…

Qui ne dit rien consent… Elle verse une nouvelle tournanche de sa mixture. Moi, je suis abîmé dans mes réflexions…

Mon petit lutin profite de mon silence pour la ramener…

— Tu vois, San-Antonio, bonnit-il, la fille… La femme, toujours la femme… Une dévergondée, une ratée… une névrosée qui a voulu jouer les Al Capone en jupon… Elle a mis sur pied des trucs terriblement compliqués pour sa satisfaction personnelle… Elle a fabriqué de la série noire… La combine du fil électrique branché dans la voiture, c’est une idée romanesque, dans le fond… Et celle du mouton brûlé par-dessus un cadavre… aussi !

Je reviens à ma vieille biche…

— Avez-vous remarqué si Isabelle avait des dents en or ?

— Oh ! pas du tout ! Elle avait des dents de louve.

— Qui a téléphoné au docteur ce matin ?

Elle réfléchit…

— Écoutez, fait-elle, à un autre j’oserais pas le dire, mais vous, vous m’avez l’air intelligent.

Je la remercie d’un sourire pour cette opinion flatteuse.

— La personne qui a téléphoné changeait sa voix…

— C’est vous qui avez pris la communication ?

— Oui. Toujours, lorsque j’étais là. Elle m’a demandé après le docteur, j’ai répondu ce que je répondais toujours en pareil cas : que le docteur était absent. Il ne voulait plus faire de visites ! Alors la personne a eu un petit ricanement.

« — Mais si, il est là, a-t-elle dit… Allez lui dire que Jo veut lui parler, au sujet de sa fille…

« Je suis allé le dire au docteur. Il est arrivé. Il a fait “Allô ?” Il n’a plus rien dit jusqu’à la fin. Puis il a raccroché en murmurant : “Seigneur !”

« Et il m’a dit qu’il filait à Goussenville.

Elle se verse un petit coup de gnole.

— Voilà, conclut-elle…

— Et la personne qui a téléphoné, cette personne qui changeait sa voix, mémère, c’était un homme ou une femme ?

— C’était un homme, dit-elle, du moins ça voulait en être un. Mais j’ai eu l’idée qu’en vérité c’était la petite qui faisait sa grosse voix en tenant un mouchoir devant la bouche…

— Et pourquoi avez-vous eu cette idée ?

— C’est lorsque la personne a ricané quand j’ai dit que le docteur n’était pas là…

— C’était signé Isabelle, pas vrai, mémère ?

— Vous comprenez tout sans qu’on ait besoin d’appuyer, dit la vieille.

— Encore une lichette de verveine ?

— La dernière alors !

CHAPITRE XVIII

Ne laissez jamais aux autres le soin de penser pour vous

Il est toujours pénible, même lorsqu’on n’est pas conformiste, d’être surpris par un subordonné lorsqu’on trinque avec une vieille concierge.

C’est pourquoi je fais une gueule d’hépatique en crise lorsque la porte de la loge s’ouvre devant Chardon.

— Tiens ! Ça alors, je vous trouve partout où je vais, dit-il…

C’est un bon gros, mais qui en a lourd sur la tomate et qui essaie de me le faire comprendre à sa manière.

— Toujours à l’avant-garde du progrès ! annoncé-je en vidant mon petit verre. Que viens-tu foutre ici ?

Il glisse doucement dans sa poche les cacahuètes qu’il s’apprêtait à écraser dans ses grosses pognes.

— Mon enquête, dit-il… Je viens interroger la femme de ménage du docteur, c’est normal, vous ne croyez pas, monsieur le commissaire ?

— Eh bien ! te casse pas le fion et fiche la paix à madame, ça fait deux fois en quelques heures qu’on l’interroge, elle doit commencer à en avoir classe…

— Mais pas du tout ! assure la vieille, gourmande de parlotes, si je peux vous être utile…

Je lui tends la patte.

— Ça va pour aujourd’hui, mémère… Merci pour vos tuyaux et à la revoyure, ménagez-vous !

Je chope le bras de Chardon et j’entraîne le gros lard dehors.

— Si tu me payais l’apéro ? suggéré-je.

Il rosit de contentement.

— Je ne demande pas mieux, dit-il… Vous avez l’air content, monsieur le commissaire, vous avez du nouveau ?

— Oui… Je commence à y voir clair, et c’est pour te raconter l’histoire que je t’emmène au troquet…

Il frémit.

— Ça alors, compliments…

Puis, soudain :

— Dites donc, patron, en attendant les gendarmes, à Goussenville, j’ai inspecté la maison… Les alentours… Mordez un peu ce que j’ai trouvé sous une fenêtre du premier étage…

Il déplie un sachet de cacahuètes vide et extirpe une poignée de cheveux bruns coupés. Ces cheveux sont soyeux, légèrement frisés du bout.

— Ça peut vous servir à quelque chose ? demande-t-il en rigolant.

Je lui flanque une bourrade.

— Et comment ! Là, mon gros, tu marques un point… Je te vote un bon point grand comme une affiche !

Il baisse les yeux pour voiler son allégresse.

— Vous êtes trop aimable, monsieur le commissaire…

— Avoue que tu ne le penses pas depuis longtemps ?

— Oh ! monsieur le commissaire…

Je regarde ma montre : sept heures moins des poussières.

— Vous êtes pressé ?

— Assez, mais j’ai un petit quart d’heure à te consacrer. Ouvre tes manettes, que je te résume l’affaire. Tu feras part de mes déductions à Muller, je n’ai pas le temps d’écrire de rapport.

Nous prenons place à une petite table au fond de la Savoie.

— Deux bières ! dis-je au garçon.

Je pose ma main devant le nez de Chardon… Je l’ouvre en éventail…

— Dans toute cette histoire, il y a en tout et pour tout cinq personnages, pas un de plus, pas un de moins…

« Ces cinq personnages se divisent comme suit : deux pauvres vieux vicieux et trois superbes salauds…

« Tu me suis ?

— Oui, oui, monsieur le commissaire.