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— Vous partez pour Chicago, dit-il…

Du coup j’en ouvre une bouche grande comme le tunnel de l’autoroute !

— Pour Chicago !

— Oui… Je fais préparer vos papiers, vous partirez après-demain, venez demain après-midi à mon bureau, je vous mettrai au courant de la situation.

Il raccroche…

— Pour Chicago…

— Du nouveau ? demande par ricochet Félicie qui radine de sa cuistance.

— Je pars après-demain pour les États-Unis !

— Seigneur ! se lamente-t-elle, si loin !

Je fais claquer mes doigts.

— Ça me laisse quarante-huit heures pour m’occuper de mes petits copains, décidai-je.

— Quels petits copains ?

Je la regarde.

— Oh ! des gens…

Elle n’insiste pas. Moi je suis en train de potasser l’annuaire du téléphone. Je compose fiévreusement un numéro…

Une sonnerie lancinante. Enfin on décroche. Une voix ressemblant à une baignoire qui se vide demande :

— C’qu’ c’est ?

— Je le suis le policier d’hier, vous vous souvenez, chère madame ?

— Hummf !

Je prends ce bruit pour une affirmation et je continue.

— S’il arrive du courrier au nom de Balmin, soyez gentille, ne le montez pas à la petite lope, mettez-le moi de côté, compris ?

— Hummf !

Je raccroche.

Félicie me guette avec des yeux d’épagneul.

— Dépêche-toi de déjeuner, ça va être froid…

— Une seconde, M’man.

Je compose un troisième numéro. Celui de la maison poulaga.

— Passez-moi l’inspecteur Chardon.

J’attends un bout de moment. Félicie, ulcérée, remporte mon bol de café à la cuisine pour le faire chauffer.

Enfin, Chardon mugit « allô ? » en essayant d’avaler d’un seul coup les quinze cacahuètes qui lui emplissent la gueule. Il manque d’étouffer et il tousse comme un perdu.

— Prends ton temps, boulimique ! je rigole… Si tu t’étouffes ça ne fera jamais qu’une bourrique de moins dans les rues de Paris…

Il vient à bout de son tube digestif.

— Je m’excuse, m’sieur le commissaire… Vous allez bien ?

— Oui, et ton enquête, comment va-t-elle ?

— Mon enquête ?

— Au sujet de mon macchab.

— Ah ! Oh ! l’affaire est classée… Le type, vous le savez, est mort de sa bonne mort !

J’ai toujours aimé cette expression : « sa bonne mort ! », comme si la mort pouvait être bonne !

Je ricane :

— Et l’histoire du talon de chèque sur lequel il a écrit « au secours », malin ?

— Il a eu un malaise, comme il n’a pu parler, il a écrit ça…

Je n’insiste pas.

— Bon, je voulais tout simplement savoir où en était l’affaire…

Une inquiétude le saisit :

— Vous avez une idée ?

— Tu as déjà vu un flic avoir des idées, toi ?

— Vous pensez que ?…

— Tu as déjà vu un flic penser, toi ?

Découragé, il balbutie :

— Non, m’sieur le commissaire !

CHAPITRE VI

Ne faites jamais bouillir votre lait avant de vous coucher

Quarante-huit heures !

Et puis, hop ! Un vache voyage à Chicago, le pays des gangsters ! Au fond le futur se présente bien, y a pas d’erreur !

Je choisis une cravate gris perle avec une minuscule rayure bleue en travers.

Un nuage de brillantine et voilà un mec d’attaque !

— Tu rentres déjeuner ? interroge Félicie.

— Sûrement pas…

Je l’embrasse et je me taille en adressant par-dessus la haie un petit signe affectueux à Marinette, la bonniche, qui secoue les draps de ses singes à une fenêtre…

Les amours ancillaires c’est ma partie. Je préfère calcer plutôt une servante qu’une marquise, on est aussi bien servi et ça revient moins cher !

Un quart d’heure plus tard, j’arrête mon bolide rue Chaptal, pile devant le numéro 20… Un peu plus loin, se trouve le Grand Guignol. On est dans l’ambiance, vous le voyez !

La concierge n’est pas chez elle, mais un tableau des locataires est fixé à sa porte : « Parieux, quatrième droite… »

Un ascenseur m’élève à la vitesse d’un suppositoire partant en mission dans un intestin.

Quatrième droite…

Je sonne. Silence complet…

Je colle ma manette au battant… Un petit bruit continu pareil à un souffle se fait entendre à l’intérieur de l’appartement. En même temps, une odeur significative titille mon odorat.

Je sors mon petit appareil à convaincre les serrures et j’ouvre la porte. Rien de duraille, elle n’était que tirée.

Aussitôt je comprends que je ne me suis pas gourré. Je mets mon mouchoir devant mon pif, je traverse l’appartement comme un météore, fonçant droit vers le sifflement. Une cuisine, un réchaud à gaz, une casserole de lait sur un bec sans feu qui fuse. Je pige tout. Je ferme le robinet, j’ouvre toute grande la fenêtre de la cuisine, puis celle du studio attenant. Enfin je bigle rapidos autour de moi.

Parieux est couché sur un divan, dans la position d’un dormeur. Mais il est mort…

Je pousse une série de jurons qui feraient rougir un charretier.

Moi qui venais lui demander des explications au sujet de son mystérieux « Au secours » ! Me voilà servi !

L’appartement pue le gaz et je sens que ça me prend le cigare comme dans un étau.

J’ouvre toutes les portes, toutes les fenêtres et je sors un instant sur le palier.

Après tout, pourquoi perdre du temps ? J’appuie sur la sonnette voisine. Une vieille dame avec un tour de cou de velours et quarante centimètres de fond de teint vient m’ouvrir.

— Vous désirez ?

— Il y eu un accident, dis-je, votre voisin de palier est mort par le gaz… Il faut prévenir les pompiers…

— Quelle horreur ! s’écrie la vieille dame…

Son râtelier manque de lui échapper, elle le rajuste d’un index averti.

— Comment cela s’est-il passé ?

— Une casserole de lait sur le gaz… Il l’a oubliée, s’est endormi et ne se réveillera pas avant le jugement dernier…

Elle est indignée, la vioque !

— Comment pouvez-vous faire de l’esprit en un pareil moment ! s’exclame-t-elle.

— Tout bêtement, dis-je… C’est un peu par déformation professionnelle ; dans la police, le cadavre c’est notre matière première, faut comprendre !

— Vous êtes policier ?

— Depuis quelques années déjà… Ne restons pas ici, ça chelingue trop !

Je la pousse dans sa carrée et je referme la porte.

— Téléphonons aux pompiers pour commencer, décidé-je.

Elle me laisse agir. J’alerte les casques de cuivre et je me tourne vers la voisine.

— Vous connaissiez Parieux ?

— Comme ça… En voisin…

Je me doute qu’il ne lui a pas grimpé dessus, ou alors fallait qu’il soit farouchement porté sur l’antiquité !

— Il est marié ?

— Veuf…

— Des enfants ?

— Non…

— Des maîtresses ?

— Oh ! quelle horreur !

Elle ajoute :

— Je suis demoiselle…

— Que vous soyez demoiselle n’empêchait certainement pas votre voisin de se farcir des souris quand ça le démangeait, rétorqué-je…

Une seconde fois son dentier se fait la valise, si elle ne l’avait pas rattrapé en voltige, elle me le glaviotait sur les pinceaux !

— Vous avez des façons ! s’indigne la vieille vierge.

— D’accord, mais vous ne m’avez pas répondu : Parieux avait-il des petites amies ?