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Les vingt-deux hommes et femmes qui se trouvaient à bord du Séléné contemplaient ce croissant bleu-vert, admiraient sa beauté, s’émerveillaient de son éclat. Comme il était étrange que ces champs et ces forêts et ces lacs familiers de la Terre apparussent dans une telle gloire céleste quand on les voyait de si loin ! Peut-être cette découverte comportait-elle une leçon ? Peut-être aucun homme ne pouvait-il pleinement apprécier son propre monde avant de l’avoir vu de l’espace ?

Et sur la Terre il devait y avoir d’innombrables regards tournés vers la Lune – probablement plus qu’autrefois, maintenant que ce satellite avait pris pour l’humanité une signification nouvelle.

Il était peu probable, mais il n’était pas impossible, que même en cet instant précis quelques-uns de ces regards fussent en train d’observer, dans de puissants télescopes, la minuscule flaque de lumière que répandaient les phares du Séléné tandis qu’il avançait dans la nuit lunaire. Mais quand cette infime lueur vacillerait et disparaîtrait, cela ne signifierait rien pour les observateurs…

* * *

Depuis un million d’années, la petite bulle gazeuse avait grossi, était devenue une sorte d’énorme abcès sous la racine des montagnes…

Durant toute l’histoire de l’humanité, des gaz, à l’intérieur d’une Lune qui n’était pas encore totalement morte, s’étaient frayé un chemin à travers les lignes de moindre résistance et s’étaient accumulés dans des cavités, à des centaines de mètres sous la surface.

Sur la Terre voisine, les périodes glaciaires s’étaient succédé une à une tandis qu’ici les cavernes internes grandissaient, se touchaient, peu à peu, se confondaient. Maintenant l’abcès était sur le point de crever…

Le Capitaine Harris avait laissé le contrôle à l’auto-pilote et parlait avec les passagers des premiers rangs quand un premier petit tremblement secoua le bateau. Pendant une fraction de seconde, il se demanda si une des lames d’un des éventails propulseurs n’avait pas heurté quelque obstacle submergé. Puis, littéralement, devant le bateau, le fond même de la mer s’enfonça…

Cela ne se fit que lentement, comme toutes choses sur la Lune. En avant du Séléné, dans un cercle embrassant une surface de plusieurs hectares, la plaine poussiéreuse jusque-là uniformément plate, s’était affaissée, comme si une sorte de nombril s’y était formé. La mer semblait devenue vivante. Elle bougeait, agitée par des forces qui venaient de s’éveiller après un sommeil qui avait duré des millénaires et des millénaires. Le centre du phénomène prenait l’aspect d’un entonnoir, comme si un tourbillon géant s’était formé dans la poussière.

Toutes les phases de cette effrayante transformation étaient impitoyablement illuminées par le clair de Terre. Il en fut ainsi jusqu’au moment où le mouvant cratère fut si profond que son mur opposé disparut complètement dans l’obscurité. Le Séléné maintenant peinait dans un croissant d’ombre totale – le long d’un arc de cercle situé à la limite même de l’anéantissement.

En fait, la situation paraissait presque désespérée.

Avant que Pat eût repris place à son poste de contrôle, le bateau glissait sur cette incroyable pente. Son propre élan, et l’accélération que lui donnait le torrent de poussière, le poussaient vers les profondeurs. Le capitaine ne pouvait absolument rien faire d’autre qu’essayer de maintenir le bateau d’aplomb, avec l’espoir que leur vitesse même leur permettrait d’atteindre l’autre bord du cratère avant que celui-ci ne se refermât sur eux.

Pat n’eut pas le loisir de se rendre compte si les passagers criaient. En tout cas il ne les entendit pas.

Il n’avait conscience que d’une chose : cette pente terrible, vertigineuse, et ses propres efforts pour empêcher le bateau de capoter. Pourtant, tandis qu’il luttait avec le tableau de contrôle, augmentant la puissance tantôt dans l’un des éventails propulseurs, tantôt dans l’autre, afin de redresser constamment le Séléné, un étrange et lancinant souvenir agaçait son esprit. Quelque part, il ne savait quand, il avait déjà vu quelque chose de semblable.

C’était ridicule, naturellement. Mais ce souvenir ne le lâchait pas. Ce ne fut que lorsqu’ils eurent presque atteint le fond de l’entonnoir, et qu’il vit la masse de poussière glisser vers eux depuis la lèvre du cratère bordée d’étoiles et tout le long de la pente, que le voile du temps se déchira et que son souvenir lui apparut en un clin d’œil avec netteté.

Il était enfant. Il jouait dans le sable chaud d’un lointain été. Il avait trouvé un petit puits, parfaitement lisse et symétrique. Tout au fond, une créature guettait. Elle était totalement enfouie dans le sable, à l’exception de ses mandibules. L’enfant avait observé, étonné, mais déjà conscient du fait que tout était on place pour un drame infime.

Puis il avait vu une fourmi, qui ne semblait soucieuse que d’accomplir sa tâche ; elle avait trébuché au bord du cratère et roulé sur la pente.

Elle aurait pu s’échapper aisément. Mais dès qu’un grain de sable eut atteint le fond du puits, l’ogre qui veillait en bas était sorti, de sa tanière. Avec ses pattes de devant, il avait dirigé une fusillade de sable contre l’insecte qui se débattait, jusqu’à ce qu’une avalanche lui ait fait lâcher prise et l’ait fait glisser jusque dans la gorge du cratère.

Comme le Séléné glissait maintenant…

Ce n’était pas un monstre chasseur de fourmis qui avait creusé cet entonnoir à la surface de la Lune, mais Pat se sentit aussi impuissant que l’avait été le misérable insecte qu’il avait observé dans son enfance. Comme lui, il luttait pour atteindre le bord du cratère où il retrouverait la sécurité, mais la poussière mouvante le rejetait vers le fond où les attendait la mort.

Pour la fourmi, la mort avait été rapide. Elle le serait moins pour ses compagnons et pour lui.

Les moteurs peinaient terriblement, et le bateau avançait quelque peu. Mais pas assez.

La masse de poussière qui tombait prenait de la vitesse. Et, ce qui était pire, elle montait le long des flancs du bateau. Maintenant, elle atteignait le rebord inférieur des fenêtres. Elle grimpait le long des panneaux épais et transparents.

Finalement, elle les recouvrit tout à fait…

Harris coupa les moteurs avant qu’ils n’arrivent à un régime d’auto-destruction. Tandis qu’il accomplissait ce geste, la marée montante faisait disparaître la dernière lueur du clair de Terre.

Dans les ténèbres et le silence, ils s’enfonçaient. Ils s’enfonçaient dans la Lune.

Chapitre III

Dans la salle du Contrôle du Trafic (secteur le long des râteliers où étaient emmagasinées les communications, une mémoire électronique eut comme un frisson d’impatience. Une seconde de retard s’était écoulée depuis le moment (à vingt heures G.M.T) où une pulsation qui se renouvelait automatiquement toutes les heures aurait dû se produire.

Avec une rapidité dépassant toutes les possibilités de la pensée humaine, une poignée de cellules et de relais microscopiques examina les instructions à suivre en pareil cas.

« Attendre cinq secondes, disaient les ordres en code. Si rien ne se produit, fermer le circuit 10 01 10 01. »

La minime portion du computeur de trafic affectée par ce problème attendit patiemment que cette énorme tranche de temps – énorme car elle aurait été suffisante pour faire cent millions d’additions de vingt chiffres ou pour imprimer la plupart des ouvrages de la Bibliothèque du Congrès – se fût écoulée, puis elle ferma le circuit 10 01 10 01.