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Topesh avait souvent entendu parler de l’organisation du Labyrinthe, mais n’avait qu’une idée assez vague du principe de fonctionnement de cette œuvre du génie humain.

Il savait que le Labyrinthe englobait toute la ville géante, la mégalopole, en expansion aussi bien en largeur et en hauteur qu’en profondeur. Les étages interminables des bâtiments perçaient les nuages, plongeaient à des lieues sous la terre, et partout passaient les couloirs du Labyrinthe. Ce dernier était équipé d’analyseurs électroniques sensibles, lesquels, pendant que l’homme circulait dans les couloirs, devaient définir ses penchants, ses capacités, dont il ne soupçonnait pas parfois l’existence, ses habitudes, bref, tout ce qui compose la personnalité de l’individu. Par conséquent, le Labyrinthe déterminait quel poste précis l’homme qui venait de passer par l’épreuve pouvait occuper pour se rendre utile à ses concitoyens.

Il est inutile de préciser que les verdicts du Labyrinthe étaient sans appel.

En somme, tout ce que Topesh avait entendu de la bouche d’un vieil opérateur portuaire sur le Labyrinthe et qu’il se rappelait pendant que ses amis congratulaient bruyamment Orth pour son gain, était assez compliqué. Topesh avait bien saisi l’essentiel : l’entrée au Labyrinthe coûte cher. Quiconque n’en a pas les moyens végète dans le port, n’est que la lie de la ville, comme se plaît à le répéter Léon.

Le seul homme au port à avoir traversé le Labyrinthe était l’opérateur, un vieillard flétri, qui restait jour et nuit au poste de commande du port. Il possédait le don surprenant d’enregistrer mentalement et de coordonner des milliers d’opérations de levage, surpassant n’importe quel ordinateur. On dit qu’avant de se faire désigner comme chef du port par le Labyrinthe, il n’avait pas la moindre idée de sa vocation et proposait dans les fêtes foraines des manipulations avec les nombres à six chiffres. Du reste, ce n’étaient là, peut-être, que des affabulations, car, pour se faire forain, il fallait aussi passer par le Labyrinthe.

En ce qui concernait le vieil opérateur, il n’aimait pas évoquer son passé et personne n’osait le questionner là-dessus, pas même le téméraire Orth.

L’entrée la plus proche du Labyrinthe se trouvait à proximité de l’entrepôt.

Pourtant, Orth ne bougeait pas.

— Dépêche-toi, Orth ! C’est bientôt la sirène, dit Léon.

Orth, soudainement, leva haut son ticket.

— Qui veut éprouver le sort ? lança-t-il. Qui veut aller au Labyrinthe à ma place ?

Il regarda tout le monde, et ceux qu’il fixait se détournaient ou baissaient la tête.

« Pourquoi refusent-ils leur bonheur ? pensa Orth. Sont-ils trop abrutis ? Ils ne veulent pas braver le sort ? Craignent-ils d’irriter la fortune qui m’a souri ? »

— Non, Orth. Le sort est juste. C’est toi qui dois aller au Labyrinthe, dit sévèrement Léon.

— Nous t’aimons bien, Orth, et te souhaitons du bonheur, ajouta quelqu’un dans la foule.

— Tu iras dans le monde et parleras du port, tu parleras de nous à ceux qui vivent aux autres niveaux, dit la jeune femme avec l’enfant dans les bras.

— Seulement, ne nous oublie pas, prononça Lucinda, mais sa faible voix fut couverte par le brouhaha de la foule.

Léon en tête, avec à ses côtés le morose Orth, la foule quitta l’ombre et sortit au soleil.

La porte de fer déclive paraissait incrustée dans la petite colline couverte de bruyères. Pas étonnant, car elle s’était ouverte la dernière fois il y a près d’un demi-siècle pour laisser sortir un jeune ingénieur portant un frivole nœud papillon : le Labyrinthe l’envoyait occuper le poste d’opérateur principal du port.

Topesh s’efforcait de rester près de Lucinda. « Peut-être, serais-je finalement gagnant », songeait-il en triturant toujours entre ses fortes mains la ceinture de cuir sans quitter du regard le profil triste de la jeune fille.

Orth glissa le ticket dans la fente de contrôle. Un rayon clignota dans le minuscule voyant, et la porte s’ouvrit en soupirant.

L’obscurité avala Orth. La dernière chose qu’il eut le temps d’apercevoir en se retournant, c’étaient les yeux de Lucinda remplis de larmes.

Le sombre couloir semblait être interminable. Ses murs luisaient faiblement et se rejoignaient quelque part au-dessus de lui.

Le plus inattendu était que le couloir n’avait pas d’embranchements et s’avéra être droit comme un fil. Où sont donc les pièges du Labyrinthe auxquels Orth s’attendait ?

Il ne pouvait pas préciser depuis combien de temps il se trouvait sous la terre, sa montre s’étant arrêtée.

Orth marchait silencieusement : le bruit de ses pas était étouffé par le sol. La pénombre et la solitude étaient pénibles. Ses amis étaient restés là-haut, dans la violente lumière d’une journée d’été.

Orth avançait avec l’impression qu’il se trouvait là depuis longtemps déjà. Mais il ne se sentait pas encore fatigué, ce qui, peut-être, était dû à l’excitation qui ne le quittait pas.

Subitement, une lueur brilla devant lui : il accéléra le pas, puis courut. Une minute plus tard, essoufflé, il s’arrêta à une bifurcation vivement éclairée. Ici, le couloir se dédoublait à angle aigu, et les deux passages avaient, à première vue, l’air parfaitement identique.

Orth réfléchissait : quelle direction prendre ?

Une musique lui parvint de loin. Mais, peut-être, n’était-ce qu’une hallucination provoquée par l’émotion ? Où pouvait donc conduire chacun des deux tunnels ? « Le Labyrinthe te mènera vers le bonheur », lui avait dit en guise d’adieux Léon.

Et comment est-il, le bonheur ? Est-ce qu’Orth en avait besoin ? N’était-il pas heureux au port, avec ses amis ? Ne ferait-il pas mieux de revenir parmi les siens, au port, avant de se perdre dans le Labyrinthe ?

En fait, pourquoi, obéissant au sort aveugle, était-il venu ici ? Pourquoi avait-il accepté de quitter à jamais un monde qu’il connaissait depuis l’enfance, auquel il tenait ? En échange de quoi ? Serait-il mieux là-bas, dans la mégalopole ?

Ce doit être la faute au vin jeune qu’on a bu pour l’anniversaire de Léon. Il en était encore légèrement ivre.

C’est seulement maintenant, en s’arrêtant à la bifurcation, qu’Orth comprit nettement ce qu’il venait d’abandonner pour toujours. Il était peu probable qu’il revienne au port. Le vieil opérateur portuaire disait que ia personne entrée dans le Labyrinthe n’en ressortait jamais au même endroit.

A lui aussi, à Orth, le Labyrinthe trouverait une autre place. Mais Orth n’en voulait pas, de cette place. Et il lui serait impossible de regagner le port de son gré. Qu’est-ce que ça donnera si chaque individu se met à sillonner n’importe comment les espaces infinis de la mégalopole, changeant de domicile quand bon lui semble ?

Conclusion : il lui fallait rentrer au port pendant qu’il n’était pas trop tard, tant qu’il ne s’était pas égaré dans les couloirs du Labyrinthe. Retrouver les quais, ses amis qui chantaient ses poèmes. Léon. Lucinda. Pourquoi le regardait-elle parfois d’une drôle de façon ?

Orth tourna les talons et fit un pas. Plus exactement, il tenta de faire un pas, mais sans succès, car une onde élastique le frappa au visage si fort qu’il faillit étouffer. D’abord, il ne comprit pas et s’obstina à vouloir franchir l’obstacle invisible. Puis, voyant que ses efforts étaient vains, Orth renonça. Dans le Labyrinthe, on ne pouvait qu’avancer. Pas question de faire marche arrière.

Donc, si, ayant erré dans les galeries du Labyrinthe, il faisait le mauvais choix, il lui serait impossible de rectifier.

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