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— Viens maintenant, dit-il.

Monica ramassa son slip et le remit avec des gestes d’automate, sans regarder Klaus.

— Je ne peux pas.

Elle avait parlé dans un souffle, mais l’Allemand comprit sa détermination à une tension indéfinissable de sa voix.

Sans un mot, il la prit par le bras et la tira vers la porte. Tant pis, il l’emmènerait comme cela.

Monica hurla d’un coup :

— Federico !

Le mot exécré mit longtemps à parvenir au cerveau de Klaus Heinkel. Comme s’il n’y croyait pas, il dévisagea la jeune femme. Son visage n’exprimait plus que de la peur et du dégoût. Sa gifle partit sans qu’il s’en rende compte. Méchante, assénée pour faire mal. Monica cria de nouveau, une plainte inarticulée.

Cette fois, Klaus parvint à la tirer hors de la chambre. Il s’arrêta sur le palier. Cinq chulos bloquaient l’escalier, petits, trapus et résolus, le fixant de leurs petits yeux noirs impassibles. Klaus tira le pistolet pris aux policiers et le braqua sur eux.

— Foutez le camp.

Lentement, les chulos reculèrent, marche par marche. Les yeux de l’Allemand leur faisaient peur.

— Tu es fou, murmura Monica.

Ils descendirent lentement les marches, lui la tirant, le pistolet braqué sur les domestiques. Au rez-de-chaussée, l’Allemand ouvrit la porte et la referma aussitôt : deux chulos veillaient près de la voiture de police, machette au poing.

— Dis leur de s’en aller, ordonna-t-il à Monica. Nous devons partir.

Elle eut un sanglot et s’accrocha à sa veste.

— Klaus, je t’en supplie, pars seul, ils te laisseront. Je ne t’aime plus. Je veux rester ici.

Elle voulait tellement qu’il s’en aille, qu’on ne lui fasse pas de mal. Sa trace était encore en elle. Il y a tant de choses qu’elle aurait aimé lui expliquer. Mais il ne voulait pas entendre.

— Tu ne veux vraiment pas venir ?

— Non.

Un trismus lui tordit la mâchoire. Pivotant, il ouvrit la porte de la chambre de Frédéric Sturm et y poussa Monica. Puis il y entra à son tour et ferma à clef. Pendant quelques secondes, Monica se dit qu’il la voulait de nouveau et que cela donnerait le temps à Don Federico d’arriver. Puis elle vit le bistouri dans la main droite de Klaus et poussa un hurlement de démente.

De l’autre côté de la porte, il y eut des appels et des coups. Klaus, sans se retourner, envoya la main en arrière et tira deux fois à travers le battant. Puis il s’avança vers Monica. Il ne pensait plus à rien. Sa vie s’arrêtait dans cette chambre. Il leva le bras et la lame merveilleusement effilée du bistouri entailla légèrement la chair délicate.

* * *

Don Federico donna un violent coup de frein, n’en croyant pas ses yeux : il lui avait semblé reconnaître le visage chafouin de Klaus Heinkel dans l’homme qui conduisait la voiture de police qui sortait de son domaine. C’était déjà trop tard, le véhicule s’était éloigné et avait tourné sur la piste, en direction de La Paz. L’Allemand se dit que son ancien camarade l’obsédait vraiment trop. Il en avait des hallucinations…

Il s’était attardé à Huarina, retenu par le policier qui lui avait rendu service en éliminant le vieux Friedrich.

En voyant les deux corps étendus devant l’estancia, il eut le pressentiment d’une catastrophe. Comme un fou, il jaillit de la voiture et se précipita vers les chulos rassemblés au milieu de la cour.

Il s’arrêta devant le plus vieux des chulos et l’apostropha.

— Qu’est-ce qui se passe, qui est venu ?

L’Indien était grisâtre. Don Federico dut se pencher pour entendre sa réponse.

— Su amigo, señor Federico.

Il ne voyait même pas les deux agonisants au costume blanc taché de sang.

— Monica, où est-elle ?

De la tête, le chulo désigna la chambre.

— À qui.

L’Allemand ne fit qu’un bond jusqu’à l’estancia, ouvrit et resta sur le pas de la porte, tétanisé d’horreur.

On aurait dit que du sang avait été projeté à pleins seaux dans la pièce. L’odeur fade et écœurante prenait à la gorge. Le corps de Monica était couché par terre, à moitié recouvert par le dessus de lit, les pieds vers la porte. Mais Don Federico ne le regarda pas.

Il n’avait d’yeux que pour la tête de sa maîtresse posée sur le lit, qui le regardait de ses yeux morts, avec des traits inexplicablement paisibles, comme si la mort avait effacé l’horreur de son agonie.

Le sang avait coulé, lui faisant un socle pourpre. Devant, se trouvait le bistouri effilé qui avait servi au massacre.

L’Allemand n’arrivait pas à bouger. Derrière lui, les chulos s’entassaient dans l’embrasure de la porte, muets d’horreur eux aussi. L’un d’eux esquissa un signe de croix et tomba à genoux.

Don Federico se força à avancer et à toucher du doigt la joue de Monica. La peau était encore souple et tiède. Elle n’était morte que depuis quelques minutes. L’idée folle lui vint de remettre cette tête encore belle sur le corps. Il sentait sa raison lui échapper. Ce n’était pas possible, Monica n’était pas morte. Il n’arrivait pas à croire qu’un dément venait de la couper en deux, vivante :

Il se retourna vers les Indiens, les yeux fous.

— Vous n’avez rien pu faire ?

Le plus vieux secoua la tête.

— Señor, il avait un revolver.

L’Allemand avait envie de prendre la tête dans ses bras et de la bercer comme il avait fait de la vigogne. Ainsi, Klaus Heinkel s’était vengé d’une façon atroce. Mais Federico ne voyait pas la raison de ce massacre inutile. Qu’est-ce qui avait poussé Klaus à brûler ainsi tous les ponts derrière lui ?…

Comme un somnambule, il prit son parabellum dans sa table de nuit, engagea le chargeur et ressortit de la pièce en fermant doucement la porte, comme s’il avait pu déranger Monica.

— Ne touchez à rien, dit-il aux chulos. Je préviendrai moi-même la police.

L’idée de voir Monica dans un cercueil lui était insupportable. Il monta dans la Mercedes, démarra brutalement, s’engagea sur la piste de La Paz, évitant de justesse un camion. Trois minutes plus tard, il bloquait son compteur. Les chulos cheminant de chaque côté de la piste s’écartaient précipitamment devant le bolide qui les frôlait. Mais Don Federico Sturm ne voyait rien.

* * *

Le père Muskie secoua douloureusement la tête :

— Je ne peux plus rien pour vous, mon malheureux fils. Remettez-vous entre les mains de Dieu.

— Aidez-moi, laissez-moi rester ici, supplia Klaus Heinkel. Ils n’oseront pas venir me chercher ici. Ensuite, je partirai, je vous le jure.

Le religieux retint une grimace de douleur. Les deux jambes immobilisées dans le plâtre, il avait tenu à revenir dans son monastère.

— Vous venez de commettre des crimes horribles, murmura-t-il. Contre des Boliviens dont le pays nous avait offert l’hospitalité et contre une femme qui ne vous avait rien fait.

Klaus Heinkel sursauta. Il avait eu tort de lui dire pour Monica. En quittant l’estancia, il avait eu l’idée d’aller se livrer. Puis, en roulant sur la piste, l’instinct de conservation avait repris le dessus. Klaus Heinkel n’était pas doué pour la mort… La sienne en tout cas.

— Mais vous avez aidé des gens qui avaient fait mille fois pire que moi, dit-il amèrement. Et Don Federico ? Il a fait exécuter des milliers de prisonniers de guerre russes, des femmes, des enfants, il a brûlé des villages…