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— Et alors ? demandé-je, il faut bien tenter quelque chose ? C’est pas parce que la « Victoire » a des ailes qu’il faut la laisser s’envoler.

Il est allergique à mon genre d’humour, le Scalpé. C’est jamais lui qui achètera mes bouquins, faites-moi confiance.

Déjà qu’il a renoncé à lire Proust parce qu’il trouvait que ça manquait de sérieux !

— Oui, fait-il sèchement, il faut tenter quelque chose et c’est encore sur vous que je compte pour cela, mon cher. J’ai donné des instructions pour qu’à Marseille on mette tout à votre disposition…

— Tout quoi ? insisté-je, bougon.

Il est tartufe, le Dabe. Il a of course une idée de derrière la boîte en os, mais il me laisse le soin de la trouver seul et de prendre moi-même mes responsabilités.

— Tout ! répète-t-il. Faites au mieux et tenez-moi au courant. L’affaire commence à transpirer. Des journalistes ont déjà téléphoné aux Beaux-Arts pour demander si certains bruits concernant la disparition de la « Victoire » étaient ou non fondés. Désormais, c’est une question d’heures ! Agissez, San-Antonio ! Agissez ! Et faites preuve d’initiative !

Cling ! Il a raccroché.

Je me frotte le temporal. Ah, je ne suis pas encore sorti de l’auberge !

Je vais retrouver Béru au bar de l’aéroport.

— Changement de direction, Gros.

Je lui raconte ma conversation avec le Big Boss.

— Tu as une idée du comment t’est-ce que tu vas t’y prendre ? murmure-t-il en lichant son pastaga afin de faire de la place au suivant.

— Yes, Gros.

— Si c’était un effet de votre indiscrétion, mon Seigneur, j’aimerais bien savoir, fait-il.

Je lui dis. Il écoute, réfléchit un instant, opine et déclare.

— T’es gonflé, Gars. Mais je vais avec toi !

— Le voilà !

C’est l’un des navigants qui vient de lancer ce cri.

Il désigne, tout là-bas, au bout de l’horizon, une tache blanche suivie d’une traîne argentée. Notre avion dévore l’espace. La tache devient un bateau et la traîne son sillage.

— Vous êtes sûr qu’il s’agit du Good Luck To You ? m’inquiété-je.

— Absolument ! répond le pilote. Sa position a été relevée ce matin et il ne peut y avoir de doute ! Préparez-vous !

Le coucou décrit un arc de cercle afin de ne pas survoler le yacht. A quoi bon flanquer la bûche à l’oseille des pirates de musée, hein, je vous le demande ?

— Se préparer, grommelle la Béruche, ça consiste en quoi t’est-ce ?

— Tu fermes hermétiquement ta combinaison de caoutchouc et ton moulin à paraboles, Gros. Le pilote va se placer dans la trajectoire du yacht et nous parachuter avec le radeau pneumatique.

— On sera loin du yachte ?

— Assez loin pour qu’il ne puisse pas assister à la manœuvre, même avec des jumelles !

Le Dodu tire sur la puissante fermeture-Eclair de sa non moins puissante combinaison noire.

— Dis voir, San-A., c’est pas que je suis chocotard, mais suppose que ton barlu à la gomme dévie sa route d’un poil, ou bien qu’un courant vicieux nous emmène promener ? Brèfle, que cette rencontre au sommet passe à l’as, qu’est-ce qu’on branlerait ? Moi, je m’en ressens pas pour jouer les Bombard. La bouffe au plancton, c’est pas mon régime !

— Ecoute, Insanité Vivante. Logiquement, d’après nos calculs, le Good Luck To You devrait nous repêcher d’ici deux heures. Dans quatre heures un autre avion viendra musarder dans le secteur pour s’assurer que nous avons bien été recueillis.

— Dans quatre heures, si on se farcit un méchant courant marin, on sera peut-être à dache, non ?

— Peut-être, conviens-je. Puisque tu glaglates, c’est pas la peine de sauter avec moi, Gros. Je me dépatouillerai très bien sans toi !

— Oh, faut pas le prendre sur ce ton avec moi ! s’insurge l’Estimable.

— Prêt ? demande le navigant 3 bis en ouvrant la porte.

— Prêt ! dis-je.

Il fait le compte à rebours. Lorsqu’il crie zéro, je saute.

— Je vois sa fumaga, à ton yachte de mes choses, annonce Béru.

Car, en auriez-vous douté, mais il a sauté, le cher Hubin ! Je ne vous l’ai pas dit tout de suite pour créer un brin de suce-pince (comme on dit chez les mangeurs de langoustes professionnels). Oui, il est là, Alexandre-Benoît. Et bien là ! Là, à faire pencher le radeau pneumatique. Le flot n’a rien de berceur. La mer est plus agitée qu’un flacon-avant-de-s’en-servir. On monte, on replonge dans la vague. C’est tobogganesque comme sensation. On a le cœur qui vous remonte dans le gésier. Béru, qui a eu le tort de se cogner une pharamineuse bouillabaisse au Vallon des Offs, avant de quitter la grande cité phocéenne, restitue à l’océan vengeur les produits qui furent empilés en son sein généreux (poil aux yeux). Il doit avoir un copain prénommé Hugues et tenir à lui car il l’appelle à tue-tête dans le grondement des flots.

Entre deux sanglots stomacaux, il bégaie :

— Me gour-je z’ou non ?

— Effectivement, mon Biquet, conviens-je. C’est bien la fumée qu’annonce la mère Butterfly dans son grand air.

— Il est peut-être… Hugues ! Temps de… Hugues ! Expédier les fusées, non ?

— Attendons que le navire soit plus près !

— J’espère que les… Hugues ! mecs de l’équipage ne sont pas en train de… Hugues ! jouer à la belote ?

Un quart d’heure passe. Le bateau passe aussi. Il est à plusieurs encablures[26] de notre radeau.

J’allume une première fusée. Celles que l’on nous a fournies sont à système Scrouche, le plus perfectionné. Il suffit de décapsuler le survalveur à goupille rétractile pour que l’induration émolliente se produise. Il s’ensuit une projection phosphoro-baveuse le long de la paroi bitounière, le compensateur de gazouillage indexé émet alors une série d’ondes courtes (de dix centimètres environ) lesquelles, venant frapper le syllabeur polysynthétique, exercent une pression de bas en haut dans le sens de la largeur, ce qui, tout naturellement, vous l’avez déjà deviné, opère la mise à feu.

Un éclat. Une gerbe d’étincelles. Un long sifflement… La fusée monte au ciel dans une courbe majestueuse.

— Oh ! la belle rouge ! s’extasie Bérurier qui a conservé son âme d’enfant à toutes fins utiles.

Le cher homme ! La chère âme ! Ma sœur Anne ! Tant de gens se mettent à mourir, passé la trentaine ! Que dis-je : sont déjà morts et à demi enterrés ! Ils retombent avant d’avoir atteint l’apogée de leur trajectoire ! Trop lourds, lestés de leur pierre tombale ! Béru, lui, malgré ses kilos, demeure léger comme une bulle.

Les hommes sont comme les stations de sport d’hiver : ce qui importe, c’est leur ensoleillement.

Il jouit d’une exposition intégrale, le brave Alexandre-Benoît. Illuminé sur toutes ses faces, qu’il est. Rayonnant d’une pure lumière !

— Et si t’en enverrais une autre, mec, par mesure de sécurité !

— Attends, ils nous ont peut-être aperçus.

— Deux précautions avalent mieux qu’une, sentence-t-il.

Manière de lui apaiser le tourment, je propulse une seconde fusée dans le ciel boursouflé.

L’océan chahute de plus en mieux. Les vagues sombres, couronnées d’écume, montent à l’assaut de notre frêle esquif comme pour l’engloutir, mais, au suprême instant, elles le cueillent par-dessous et l’élèvent bien haut.

Durant ce bref instant nous demeurons comme en suspens dans le vent qui nous échevelle. Et puis « vlouf », la vertigineuse descente aux enfers liquides s’opère. On embarque des paquets de mer qui nous suffoquent. Ça engrène la dégobillanche du gros, comme on amorce une pompe. Le Béru se découvre dans des recoins confidentiels des reliquats de bouillabaisse et réclame à grandes gueulées son ami Hugues.

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26

Je n’ai jamais su ce qu’était une encablure, et vous non plus, je parie ; mais ça fait bien dans un récit océanesque.