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— Passionnant. Qu’avez-vous déjà écrit ?

Je récite, très vite et très négligemment, en maître qui ne veut pas qu’on violente sa modestie :

— La dame aux hortensias, le Comte de Montebello, À l’ombre des Vieilles Filles en pleurs, Le Nœud de couleuvres, Un certain fou-rire et Aimez-vous Brahbam, un bouquin sur les courses d’auto.

— J’ai dû lire certains de ces ouvrages, fait-elle.

— C’est possible, je suis traduit en quarante-deux langues, y compris l’Indoustan mimé et le monégasque.

Elle rit.

— Vous êtes très français.

— Pourquoi ?

— Vous aimez rire.

— Beaucoup, pas vous ?

— Je n’ose pas.

— À cause ?

— Vous savez bien que les Anglaises ont de grandes dents.

— Montrez les vôtres…

Elle obéit.

— Vous avez des dents admirables, dis-je avec sincérité, en pensant à celles de Bérurier.

Et j’ajoute :

— J’aimerais m’en faire un collier.

Tout en devisant, nous avons atteint Stingines Castle. La demeure est terriblement vaste et importante. Elle comporte deux tours pointues et un perron gigantesque.

Un majordome (celui que j’ai déjà aperçu à la jumelle) paraît sur le perron. On dirait qu’il joue un rôle de maître d’hôtel anglais dans une tournée de sous-préfecture et qu’il charge un peu trop.

— Mademoiselle n’a pas eu d’accident ? s’inquiète-t-il sans me regarder.

— Deux pneus crevés, James, dit Cynthia avec insouciance. Prévenez ma tante que je suis de retour avec un ami français…

Considérant cette phrase comme une présentation, le chef-larbin m’honore d’un signe de tête qui fait gémir ses vertèbres cervicales.

— C’est James Mayburn, notre majordome, annonce Cynthia en m’entraînant au salon.

Je ne sais pas si vous connaissez la salle Wagram, en tout cas laissez-moi vous assurer qu’à côté du grand salon de Mac Herrel elle a l’air d’une pissotière.

Quatorze fenêtres éclairent la pièce et une cheminée, à l’intérieur de laquelle on pourrait construire un pavillon de huit pièces avec garage, la chauffe pendant la mauvaise saison. C’est le dépôt des pères Noël que cet âtre…

La bergère m’en désigne une autre, capitonnée celle-là.

— Asseyez-vous, monsieur Saint-Antonio. Vous êtes d’origine espagnole ?

— Par un ami de mon père, fais-je sans rire.

Elle pouffe.

— Vous êtes follement amusant. On ne doit pas s’ennuyer avec vous.

— Je ne saurais vous répondre, miss, les personnes que je fréquente passant leur temps à réprimer des bâillements lorsqu’elles sont en ma compagnie.

Je la boucle car la dix-huitième porte du big salon[5] s’ouvre à deux battants. Poussée par le sépulcral James Mayburn, mistress Daphné Mac Herrel fait son entrée dans son fauteuil à roulettes.

CHAPITRE VI

Dans lequel je fais connaissance avec une belle collection de momies

La grande patronne du whisky Mac Herrel a tout ce qu’il faut pour obtenir de haute lutte son admission au musée des horreurs. À côté d’elle, Dracula a la frime de Sacha Distel.

Imaginez une vieille donzelle au visage hommasse : mâchoire carrée, arcade sourcilière proéminente, narines dilatées, moustache très développée. Elle a des cheveux de neige très abondants (les hivers sont rudes en Écosse) partagés par une raie large d’un doigt et tirés en bandeau sur les étiquettes.

Daphné porte une longue robe violette qui la fait ressembler à un vieil évêque et, autour de son long cou où tremblent les fanons de la légion, elle a mis une chaîne d’or un tout petit peu plus grosse que celle qui sert à amarrer le Queen Elizabeth. Je ne sais pas si cette douairière a été mariée un jour, si oui, je tire mon bada au téméraire qui a affronté ce morcif. Pour ma part je préférerais partir en voyage de noces avec une pelleteuse mécanique. La vioque a des paluches capables de masquer le portrait grandeur nature de Mary Marquet, et des nougats façon géant Atlas qu’elle doit faire chausser à la Seine comme à la ville par Onasis plutôt que par Bally.

Elle me dévisage sans pudeur à travers de petites lunettes ovales cerclées de fer. Cynthia la met au courant des événements. La vioque écoute sans piper (ce n’est plus de son âge), puis, lorsque sa nièce a terminé le récit, elle lève sa canne à pommeau d’argent comme un sergent-major donnant aux musiciens le signal d’attaquer. Le serviteur pousse alors le fauteuil jusqu’à moi.

Daphné me dit alors merci, d’une voix qui évoque un concours de pétomanes dans la crypte d’une cathédrale ! Elle parle couramment l’anglais et en profite pour me questionner sur mes travaux littéraires. Je lui confie le titre de mon prochain roman : « L’amant de Lady Gitalyne ». À toute vibure j’invente le sujet. C’est l’histoire d’un garde-chasse qui tombe amoureux de son patron : lord Gitalyne. La femme d’icelui qui est en secret amoureuse du garde-chasse met un piège à loup dans les vespasiennes de ce dernier, à la suite de quoi le garde-chasse entre, en clinique d’abord, dans un monastère ensuite. Lord Gitalyne se pend de désespoir et Lady Gitalyne se repent.

Mes interlocutrices opinent. Elles déclarent que c’est une histoire merveilleusement insolite et prophétisent que ça se vendra.

Daphné me demande où je loge. En apprenant que je suis descendu à l’auberge du pays, elle pousse des cris et me supplie de venir pioger au château. On m’avait souvent parlé de l’hospitalité écossaise, mais je croyais que c’était du bidon.

Je minaude au début, en les assurant de ma confusion, mais ces dames insistent. Comme la môme Cynthia est tout particulièrement pressante et que cette combinaison arrange prodigieusement mes petites affaires, je finis par accepter.

J’ai quelque nostalgie en songeant au pauvre Béru et c’est alors qu’il me vient une idée impressionnante. Une de ces idées qu’on devrait faire empailler pour les placer sur sa cheminée.

— Je ne suis pas seul à Stingines, fais-je, j’ai aussi mon valet de chambre.

Qu’à cela ne tienne. Il n’a qu’à venir s’installer au Castle ; la masure est suffisamment vaste !

Il est convenu que, dès demain, je viendrai avec ma brosse à dents chez les Mac Herrel. En attendant on me prie à dîner. Toujours confus, toujours ravi, j’accepte aussi.

— Un whisky ? me propose Cynthia.

— Volontiers.

James Mayburn apporte une boutanche de Mac Herrel. Du spécial deux étoiles (la promotion de l’élite).

Je feins d’être surpris par l’étiquette.

— Des parents à vous ? demandé-je en montrant le flacon.

— Nous ! rectifie la merveilleuse Cynthia. Nous sommes distillateurs depuis bon nombre d’années. En France on ne connaît pas notre marque car nous exportons peu, mais nous sommes, sans forfanterie, très prisés dans le Royaume-Uni.

Très prisés, c’est le mot ! Je pense à la dose d’héroïne que contenaient les boutanches de Petit-Littré. En tout cas, cet alcool est de bon aloi. On se lèverait la nuit pour en écluser. Je le dis à ces dames qui paraissent ravies.

— Voulez-vous que je vous fasse visiter le château et choisir votre appartement, Monsieur San-Antonio ? demande la môme.

— Avec joie, m’empressé-je.

Et je suis sincère. Pas mécontent de lui, votre San-A, mes choutes. Il a vachement bien usiné, reconnaissez. Le voilà dans la Citadelle et on allume les lampions pour l’accueillir. Il allume aussi les siens, croyez-moi.

La crèche est immense et plus gothique que le titre d’un journal allemand. Des couloirs, des couloirs, des couloirs… D’immenses salles, des lits à baldaquin, des cheminées gigantesques, des portes dérobées, des portes restituées, des poternes…

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En français dans le texte.