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Il parle beaucoup alors que les autres mangent en silence. Son sujet préféré c’est le temps : celui qu’il fait aujourd’hui, celui qu’il fera demain. Les sujets de sa Gracieuse[6] Majesté sont les champions du temps tous terrains. Est-ce parce que leur île est cernée par les embruns (à 3 % indexés) ? Est-ce parce qu’ils sont un peuple de marins ? Est-ce parce qu’on s’enquiquine dans le Royaume-Uni plus que nulle part ailleurs in the world ? Toujours est-il que depuis des siècles et pour encore des millénaires, on parle du temps en Grande-Bretagne.

Ça dure comme ça pendant tout le repas. Ensuite on passe au salon. Je demande la permission de pousser le carrosse de tante Daphné et elle m’accorde cette insigne faveur. Ça paraît même la toucher profondément. Heureusement que j’ai mon permis de conduire poids lourds. Je drive la vioque à travers les gigantesques pièces. Bath cortège, les gars. Cynthia me file le train. Je sens son regard mauve posé sur ma prestance comme une abeille sur le pollen d’une rose. Derrière elle marche son fiancé, l’abominable Concy, puis, fermant la marche, Mac Ornish roule comme un tonneau sur les tapis.

Cigares, whiskies… Le moment est venu pour le fameux[7] San-A. de risquer sa botte secrète. Cette enquête, ma parole, ne ressemble pas aux autres. On dirait une partie d’échecs. Au lieu d’y aller à la castagne et de crever le décor, il faut avancer prudemment, bien mûrir chaque geste, bien penser chaque parole et ne jouer qu’à coup sûr.

Portant un toast à mes hôtes, je répète ma joie de me trouver parmi eux. Je leur assure que, sitôt rentré en France, je leur ferai livrer quelques caisses de Dom Pérignon pour les remercier de leur inoubliable accueil. C’est l’entrée en matière rêvée, comme disait un vidangeur de mes relations.

Je mets en parallèle whisky et champagne. Je disserte, je célèbre, je vante, je glorifie. Et pour finir je leur tourne une petite phrase pas mal foutue du tout :

— Pour nous autres Français, le whisky est une sorte d’entité. J’avoue que je ne voudrais pas quitter l’Écosse sans avoir visité une distillerie.

— La nôtre n’est pas très importante, s’empresse la mère Daphné, mais si cela vous tente, Mac Ornish se fera un plaisir de vous piloter, n’est-ce pas, très cher ?

Le rondouillard jubile. Il est ravi. Il insiste pour que nous convenions d’un rendez-vous. Et il est dit que Cynthia me conduira demain in afternoon à Mybackside-Ischicken pour la visite. Pas mal, non ? Ça va me permettre de repérer les lieux.

CHAPITRE VII

Dans lequel Béru me montre le tour qu’il avait dans son sac

En rentrant au volant de mon corbillard, je fais le point de la soirée et, par la même occasion, comme je ne suis pas fainéant, celui de la situation.

Jusqu’à présent tout s’est admirablement passé. Je me suis introduit dans la place et j’ai fait camarade avec les suspects (exception faite pour sir Concy qui a l’air de me chérir autant qu’une crise de coliques néphrétiques). Deux choses me tarabustent : les suspects n’ont pas l’air suspects du tout. Cette vieille lady impotente, sa ravissante nièce, leur jovial directeur, m’ont l’air aussi purs que de l’oxygène mis en conserve au sommet du mont Blanc. Par contre, la deuxième chose qui me tracasse, c’est le peu d’intérêt qu’a provoqué l’attaque de son altesse boulimique Béru 1er, roi des naves. Enfin, bon Dieu, quand un homme masqué crève les boudins de votre chignole et vous menace d’un revolver, il y a de quoi vous commotionner et commotionner votre entourage, non ?

Je suis bien certain que si pareille mésaventure vous arrivait, vous n’auriez pas fini d’ameuter la Garde et de nous en rebattre les éventails à moustiques. Or, les Mac Herrel ont encaissé l’incident avec un flegme plus que britannique. Ils n’ont même pas téléphoné au shérif. Ils ne se sont pas non plus donné la peine d’alerter un garagiste. Cette indifférence me trouble. À table, on a causé de la pluie de l’année dernière et du vilain nuage qui a assombri le ciel vers quatorze heures dix-huit ; c’est un peu raide, non ? comme le faisait remarquer un Iranien auquel on faisait subir le supplice du pal. Curieuse famille tout de même !

Le beau visage de la douce Cynthia se fait plus insistant à mon esprit. Quelle idée a cette merveille d’épouser un macaque comme Concy ? Histoire de gros sous ? Probable. Je ne vois pas d’autres explications. Je sais bien que vous avez des locdus tout ce qu’il y a de pas beaux qui sont en réalité des Casanovas de première, mais ça m’étonnerait que le Concy fasse partie de cette catégorie d’élite. Ça doit être aussi triste dans son calbar que dans un orphelinat pendant une épidémie de scarlatine. Avec sa bouille blafarde, ses yeux de faux dargif, et ses lèvres aussi sceptiques que septiques, on a plus envie de l’envoyer chercher dix kilos de pommes de terre dans sa casquette que de le mettre dans son dodo. Il est vrai que les gonzesses sont tellement braques ! Vous avez des sœurs dont les époux ressemblent à Anthony Parking et qui les doublent avec des gus lamentables. Faut jamais chercher à piger avec elles.

Remarquez, y a bien à dire et à redire sur les zigs aussi. Vous voyez des pin up boys accouplés souvent à des tarderies pas croyables. Moi j’en connais un, un gars presque aussi bien baraqué que moi et presque aussi beau[8] qui est marida avec une maigreur tellement maigre que quand elle marche on a l’impression qu’elle tricote sa jupe. Et pourtant il pourrait s’offrir des bêtes de race, le dont au sujet duquel je vous cause. Ses aspirations, il aurait le droit de les mettre en vitrine. Mais, va te faire peindre en jaune : il se contente de sa mocheté filiforme. Une frangine qui se fait une robe dans une cravate et qu’on croit enceinte de dix mois chaque fois qu’elle avale un noyau de cerise.

Tout ça pour vous exprimer mon aigreur relativement aux fiançailles Cynthia-Philipp Concy. Ce gnaf, j’aurais de la joie à lui faire porter un bada de bersaglier à deux plumes.

Bourré d’amertume, j’arrive à l’auberge du Generous Scottish. Je monte dans la carrée de Béru, mais il n’y a personne. Par contre, dans la mienne, la gosse Katty m’attend, habillée de bas en haut d’un costume d’Ève taillé sur mesure. Elle a pris un drôle d’abonnement à la lecture, ma soubrette.

— Vous n’avez pas aperçu mon petit camarade ? je demande en lui décernant le patin à compétition à fixation instantanée.

Elle éclate de rire, me saisit la main et m’entraîne jusqu’à la porte qu’elle en trouve légèrement. Un doigt sur la lèvre, elle me fait signe d’écouter. À l’étage au-dessus c’est la grande corrida avec mise à mort. Katty m’explique que le père Mac Hantine est à une conférence sur le développement du bas à avarice dans l’ancienne Écosse et que, mettant à profit son absence, mon glorieux collègue a rendu une petite visite à la taulière. On joue « Branle-bas de combat » là-haut, avec en fin de première partie la grande scène de « La Fureur d’aimer ».

J’ai idée que si Mac Hantine trouve la conférence tartignole et s’amène avant la fin d’icelle, y aura la grande fiesta écossaise avec cornemuses bouchées. Mais les choses vont leur train et, étant ce qu’elles sont, se terminent sur un score nul. Dix minutes plus tard je récupère Bérurier. Il est violet comme Monseigneur Dupanloup, le Gravos. L’œil injecté de sang, la bave aux lèvres, le cheveu collé au front par la sueur de sa frénésie, la brioche encore vibrante.

— Alors, Gros, demandé-je, cette planche à repasser ?

— Tu repasseras, bougonne-t-il. Ah ! la dévorante… J’sais pas ce qu’elle beuglait en english, mais c’était sûrement par le texte de la réglementation sur les débits de boisson. Jamais vu escaladeuse pareille ! Électrique qu’elle est, ma parole ! D’accord, elle cloque ses nichemards dans la table de nuit, mais avec ce qui lui reste elle sait se faire une personnalité, j’te jure…

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6

Vous l’aviez remarqué.

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7

Goûtez-le, Mesdames et vous verrez !

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8

Faut toujours soigner sa publicité.