Nantis de cette aimable panoplie du parfait porte-coton, nous retournons à Stingines afin de faire nos adieux aux gens du Great Hotel of the generous Scottish. Katty a les larmes aux yeux et la mère Mac Hantine des rougeurs de damoiselle dont le beau chevalier (en l’occurrence Béru) s’en va guerroyer en Terre Sainte. Seul le taulier ne rechigne pas trop. Dans le fond, cette invasion française ne lui disait rien qui vaille.
Direction Castle !
En cours de route je donne des conseils à Béru sur la façon dont il devra se comporter. Il écoute en mâchouillant un bout de cigare. Il est amer, le mammouth. On devine que ses pensées sont aussi sombres que sa lingerie. Pour le doper, je lui sors une carotte grande commak, capable de faire avancer l’âne le plus rétif.
— Si on gagne dans ce coup-là, Béru, vu qu’il s’agit d’une affaire internationale, y aura des illuminations à la maison Poupoule, en notre honneur. Je suis sûr que le vieux ne refuserait pas d’appuyer ton avancement. Tiens, il me semble que je suis déjà en compagnie de l’inspecteur principal Bérurier.
Il se fend comme un melon trop mûr.
— Tu penses vrai ?
— Tout ce qu’il y a de vrai, ma grosse loque.
C’est fête au village.
— Tu vois, me dit l’Obèse, c’est pas que je soye cégaloman, mais j’aimerais prendre du galon pour montrer à Berthe qu’elle a pas épousé la patate qu’elle suppose.
Je constate, chemin faisant, que la Triumph de Miss Cynthia n’est plus sur le bord du chemin. On est venu lui changer ses boudins.
— Pourvu qu’elle ne te reconnaisse pas, fais-je au Gravos.
— Qui ça ?
— Cynthia.
— T’es louf ! proteste le Volumineux, déguisé comme j’étais, Berthe en personne m’aurait pas reconnu.
Berthe ! Elle vient toujours dans sa conversation, comme une mouche sur du sucre en poudre. Elle le bat, le trompe, le rabroue, le houspille, l’invective, l’insulte, le bafoue, le ridiculise, l’amoindrit, le piétine, le dévitamine, le souille, le corrompt, l’opprime, le comprime, le déprime, et pourtant il l’aime. Elle pèse cent vingt kilogrammes, elle a seize mentons, quarante-trois kilos de nichons, des verrues à poils. Elle est mafflue, ventrue, joufflue, lippue, têtue. Mais il l’aime.
C’est beau la vie.
Nous faisons notre entrée à Stingines Castle. Le majordome prend Béru en charge.
— James Mayburn, se présente-t-il.
— Je ne déteste pas non plus les miennes, rétorque Béru qui croit à une saillie.
Et d’administrer au maître d’hôtel compassé une formidable claque qui lui décroche le poumon gauche et le propulse contre la cloison. Ce témoignage de brutale cordialité n’est pas du goût de Mayburn qui rouscaille tout ce que ça peut. Mais comme il proteste en anglais et que le gars Béru n’entrave rien à la langue de Shakespeare, l’incident n’a pas de suite.
— Ménage un peu tes élans, bonhomme, conseillé-je. Nous sommes dans le pays du flegme, penses-y. Ici un gentleman peut s’asseoir sur une fourmilière sans lever un sourcil plus haut que l’autre ou voir sa souris se faire calcer en réprimant à peine un bâillement d’ennui.
Sa Majesté Benoît le Gros promet et se met à filer un train docile au vieux chnock. Dans le couloir nous croisons une accorte femme de chambre bien carénée et Béru, tout en coltinant nos valoches comme il sied à un parfait larbin, se détranche pour la mater. Ce faisant, il bute dans une console et un vase de Chine taillé dans la masse se met à plat sur le carreau. Indignation silencieuse de Mayburn.
Les valets de chambre français, il commence à les honnir, le commandant-loufiat. Je l’entends marmonner quelques paroles inaudibles.
— Qu’est-ce qu’il ronchonne, le Dabe ? s’inquiète Béru.
— Il dit que tu es une sombre crêpe, mens-je, et je ne suis pas loin de partager cette opinion.
Béru décoche au majordome un regard aussi sanguinolent qu’une livre de steak dans le filet.
— Ah ! il a dit ça ! Faudrait voir que ton mannequin à roulettes madère ses espressions, San-A. Ou que sinon je te lui fais une bouille grosse comme not’ Bentley et encore plus carrée.
Puis, faisant allusion au passage de la soubrette :
— Y a de la volaille à plumer dans le secteur, on dirait ? se réjouit le tombeur. Dommage que j’aie pas mon râtelier au complet, tu voudrais voir ce travail !
Pas d’autre incident à déplorer. On s’installe dans notre appartement. Moi dans la pièce principale, le Mastar dans la petite chambrette du fond.
Ensuite c’est le lunch et je vais présenter un gros paquet de respects à mes hôtesses. À midi, le fiancé ne tortore pas à la cabane, non plus que le directeur de la distillerie.
Nous sommes donc entre nous. La vieille Mac Herrel parle peu mais bouffe comme douze chancres. Quant à Cynthia, à peine avons-nous grignoté des hors-d’œuvre que sa jambe s’enroule autour de la mienne comme une bande Velpeau. Elle en veut, cette mignonne. Autant vous le dire tout de suite, elle en aura.
J’aimerais bien me faire une opinion à son sujet. L’histoire du revolver dans son sac à pognes me taraude la gamberge. On lui refilerait le bon Dieu avec tous les saints du Paradis sans confession, à cette pépée. Elle paraît faite pour l’amour, uniquement, et pourtant mademoiselle se baguenaude dans son Écosse natale avec une seringue de précision dont il est évident qu’on s’est récemment servi…
Tout en s’enroulant à ma personne par la tige, Cynthia me résume sa gentille existence. Elle est la fille d’une nièce de Daphné. Sa mère est morte en lui donnant le jour et la grand-tante l’a recueillie. Elles ont vécu le plus clair de leur temps à Nice, car c’était le fils de tatan Mac qui dirigeait la taule. Mais il a été buté en chassant le fauve et, courageusement, surmontant son chagrin avec un stoïcisme extraordinaire, Daphné, malgré son infirmité, est rentrée pour s’occuper de la distillerie. Elle y parvient très bien avec l’aide de Mac Ornish.
Le repas expédié, Cynthia me déclare tout de go :
— Ma tante a une requête à vous présenter…
La vioque fait signe à sa jeune protégée de poursuivre et Cynthia continue :
— Notre maître d’hôtel nous a quittées avant-hier et c’est provisoirement ce bon Mayburn qui sert à table. Mais vous l’avez vu, il est très âgé. Ce soir, nous avons un important dîner et si votre domestique pouvait aider Mayburn…
Ça me détraque l’aorte. Béru servant à table, vous voyez ça d’ici ?
— Bien volontiers, fais-je, mais vous le savez, je suis un artiste et mon valet de chambre pratique un service peu orthodoxe…
— Qu’est-ce que cela peut faire ! s’écrie Cynthia. Ce n’en sera que mieux. Vous venez ?
— Où ça ?
— Mais, visiter la distillerie, voyons !
Je me lève. Et comment que j’y vais !
Le grassouillet Mac Ornish nous attend dans un bureau meublé old England. Tout est victorien dans cette pièce, depuis son porte-plume jusqu’aux portraits décorant les murs et qui représentent les Mac Herrel ayant dirigé la boîte depuis sa fondation.
J’imaginais une usine formide et je suis tout surpris d’atterrir dans des bâtiments peu importants, nichés au fond d’une ruelle sans trottoirs.
Un grand portail de fer, à l’intérieur duquel s’ouvre une porte en fer également… À droite les bureaux, dans une petite maisonnette moyenâgeuse où devaient habiter les premiers Mac Herrel qui distillèrent. Une cour garnie de pavés ronds.
Au fond à gauche, la distillerie proprement dite avec, sous une verrière, les sacs de grains qui fourniront l’alcool. À droite, le service de mise en bouteilles. Machines à rincer les flacons, machine à les capsuler. Cet outil m’intéresse particulièrement. Mine de rien, je demande à Mac Ornish s’il n’existe pas d’autres capsuleuses, mais il me répond par la négative. Des rouquines belles comme des sacs de pommes de terre collent les étiquettes ; d’autres empaquettent les flacons. Tout s’opère en silence, avec rapidité et précision.