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Un larbin en grand uniforme est là. Cérémonieux, vaguement hostile, il nous défrime comme si nous étions deux excréments canins déposés sur le paillasson.

Moi, à la grosse rigueur, je pourrais passer ; mais Quillet, avec sa veste sport et sa limace jaunie par la sueur, il apparaît aussi inadmissible qu’un imparfait du subjonctif dans une phrase au présent.

— Nous sommes attendus, balbutie la Quille.

L’autre hoche la trombine. Il sait. C’est le magicien de l’appartement. Plutôt l’organiste. Il actionne tout ça avec un doigté d’accoucheur.

Ce pingouin nous guide jusqu’à un salon tendu de gris. On perçoit, dans les abords, un brouhaha de conversations.

— C’est la première fois que je viens chez le patron, fait Quillet, vous parlez d’un luxe ! Quand je pense que ce type-là vendait des brosses de chiendent en arrivant à Paris.

— Le plus marrant, c’est qu’il continue à vendre des coups de brosse à reluire, assuré-je.

La porte s’ouvre brusquement sur une vraie figure. Le gnace qui paraît est petit, grassouillet, avec des tifs argentés aplatis sur son dôme ; un gros pif, des châsses de goret frileux et un bridge sur la rivière Kwaï en or massif. Tellement massif en vérité qu’il s’est payé trente-deux molaires ne voulant pas ergoter sur la joncaille !

Un coup de périscope éclair à Quillet. Un autre, en point d’interrogation au gars bibi, le fils unique et préféré de Félicie, et la séance commence.

— Que se passe-t-il, Quillet ?

— Une chose effarante, monsieur. Permettez-moi tout d’abord de vous présenter le commissaire San-Antonio qui va vous raconter ça en détail.

Il a dû jouer au rugby, Quillet. Pour la passe en arrière, il craint personne.

Je me racle la gargante et j’y vais de mon déballage. Je bonnis l’affaire en long, en large et dans le sens des aiguilles d’une montre. Pendant ce temps, Persavéça allume un Henry Clay long comme un Philippe Clay et nous balance dans les codes un brouillard à fausser les radars.

Il m’écoute sans faire autre chose que de la fumée à cent balles la goulée. Quand j’ai fini, il se tourne vers Quillet et lui file le regard de la découverte.

L’autre se sent pâlir jusque dans le tube digestif. Il a les rotules qui applaudissent et le nez qui pend comme le tuyau d’une pompe à essence.

— Vous conviendrez, monsieur Persavéça, que ce n’est pas ma faute !

— Qui vous accuse ? demande le marchand de calamités d’un ton doucereux. Vous avez eu la main malheureuse, voilà tout !

Oh ! la vache ! Sur quel ton il a balancé cette vanne !

Quillet hisse le pavillon de grosse détresse. Sa carrière, d’ici pas longtemps, ne sera pas plus présentable qu’un derrière de singe ! Le big boss, le gros magnat, ne l’accuse pas de faute professionnelle, non, c’est pire : il lui reproche de porter la cerise. Vous comprenez : y a pas mèche de se laver d’une accusation pareille. C’est absurde mais sans réplique. Après ça, on n’a plus qu’à choisir son pont préféré pour se filer à la baille.

Simon Persavéça ôte son barreau de chaise de ses membranes muqueuses.

Il pointe le bout incandescent en direction de Quillet. Ensuite, il le braque sur moi, espérant me voir faire camarade.

— Écoutez-moi bien, dit-il. Ce genre de plaisanterie ne m’intéresse pas. Si jamais le scandale éclate, il y en a qui trinqueront.

— Monsieur Persavéça, dis-je calmement, je vous fais respectueusement remarquer que deux personnes ont déjà trinqué.

— Lesquelles ?

— Celles qui gisent dans le jardin de Magny.

Il hausse les épaules.

— Vous êtes un flic réputé, vous, non ?

— Moi ? Oui ! grommelé-je.

Si je n’avais pas appris les retenues en classe, je lui ferais becqueter son cigare.

— Je vais téléphoner à votre patron pour lui dire qu’il vous mette en disponibilité le temps qu’il faudra afin que vous éclaircissiez le mystère… Travaillez avec discrétion.

Je le contemple d’un air d’en avoir deux. (Ce qui est exact, je peux produire un certificat médical à l’appui de mes dires.)

— Dites, monsieur Persavéça, vous oubliez que, dans une affaire de ce genre il y a deux défunts et au moins un assassin.

« On peut camoufler à la rigueur la viande froide, mais si je harponne le meurtrier, faudra bien le juger, non ? Or les procès c’est comme le miel : ça attire les mouches !

— Nous n’en sommes pas encore là ! coupe-t-il.

Ce qui fait sa force, à ce zigoto, c’est qu’il vit le présent. Ça n’a l’air de rien, mais voyez-vous, bande de maquignons, la force des hommes, leur seule force c’est le présent. Bien peu le savent, bien peu s’accommodent de ces limites exiguës. Simon Persavéça croit au présent et à ses vertus. Et il est devenu quelqu’un pour avoir utilisé au maxi la minute qui passe.

— Tout ce que je vous demande, c’est une enquête discrète, commissaire. Suivant son développement, nous aviserons.

Il considère l’entretien comme terminé. Il a un ministre, trois ambassadeurs, deux duchesses à la gorge archi-sèche et un lot d’académiciens qui marinent dans son grand salon et il se doit à ce beau linge. Dans un couple de minutes, il aura oublié l’incident et s’occupera de choses plus importantes.

— Monsieur le directeur, je…, démarre Quillet.

— C’est ça ! coupe le potentat.

Il nous tend deux doigts de sa main qui tient le cigare. Nous sommes obligés de passer par-dessous son brasero pour les lui serrer. Puis c’est la décarrade dans l’escadrin où roupillent des statues de marbre.

— Quel homme, hein ? bée Quillet.

Je le bigle à la dérobée. Y a vraiment des gnaces qui sont fiérots de servir de paillassons à d’autres.

*

— Et maintenant ? questionne le grand habillé de maigre lorsqu’on a atterri sur le trottoir.

Je commence à en avoir quine de le traîner.

— Maintenant, mon brave ami, vous pouvez retourner à vos salades… Si vous avez des nouvelles à m’apprendre, téléphonez-moi, voici ma carte.

Je le moule sur ces bonnes paroles et je rejoins Félicie.

— Comment vont les choses ? s’inquiète Môman.

— En rasant les murs et avec un loup de velours sur la figure. On doit œuvrer dans le mystère. Cette affaire-là, c’est comme à Saclay, on ne la tripote que derrière un paravent de verre.

Elle me voit en renaud et voudrait faire quelque chose pour me calmer.

— Il est comment, ce directeur de journal ?

— Comme son journal, M’man. Il s’exprime en caractères gras et il a l’impression que l’humanité ne vaut que les vingt-cinq balles de sa feuille de chou.

— Où allons-nous, maintenant ?

— Chez l’homme d’affaires qui a acheté cette damnée cambuse. Ensuite je t’offre un dîner en ville parce que, entre nous, la blanquette de la mère Pinaud ne valait pas un pet de lapin.

*

C’est vraiment pas le jour ni l’heure pour se présenter chez des honnêtes gens, c’est ce que me fait comprendre la soubrette à Me Barbautour. Une friponne, celle-là ! Elle a le regard vicelard, en tire-bouchon, si vous voyez ce que je veux dire. Avec une poitrine qui répond présent et semble sur le point de nous faire l’aumône.

— De la part de qui ?

— De M. Simon Persavéça, réponds-je, espérant que ce nom prestigieux sera un sésame efficient.

La môme me guide à un petit salon Empire et me désigne un canapé sous un vaste tableau représentant le Corsico à la station Pyramides (Porte-de-la-Villette — Mairie-d’Ivry). Au lieu de m’asseoir, je me mets à mater la peinturlure, et soudain je pige une vérité historique. Les gens se sont demandé longtemps pourquoi le Napo se carrait la paluche dans le gilet. Je vais vous donner une explication rationnelle. Vous savez qu’il est canné d’un cancer à l’estom’ ? On peut conclure que son mal le taquinait déjà et que c’était pour se masser le burlingue qu’il adoptait cette attitude célèbre. Il nous reste à nous réjouir, pour le standing des manuels scolaires, qu’il n’ait pas eu une maladie wagnérienne car ç’aurait été dans le tiroir du dessous qu’il aurait glissé la pogne et là, ça risquait de faire mauvais genre.