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— Vous voyez, on trouve de grands cœurs.

— À quoi ressemble-t-il, cet édifiant personnage ?

— Quand vous le verrez, vous comprendrez qu’il ait agi ainsi. C’est un homme plutôt sombre, en mauvaise santé. Il est resté dans l’atmosphère qu’il avait choisie, comprenez-vous ? Il doit aimer ses habitudes…

— Je vois.

Et par-dessus le marka, je vois Poilaudo qui use son verre de montre à force de le contempler. Le canard est prêt, il est temps que je les mette.

— Pas un mot de tout ceci à âme qui vive, monsieur Barbauchose…

— Tour ! Comptez sur moi ! Vous pensez…

Il m’escorte jusqu’à la porte palière, me propose cinq doigts dont un pouce en parfait état ; je presse les quatre doigts et je lui souhaite une bonne noye sans cauchemars…

Ma Félicie s’est assoupie dans la tire. Avant de grimper en carrosse, je la regarde dormir, avec attendrissement.

Ce qu’elle est chou, cette vieille Maman, avec ses cheveux blancs bien tirés, sa robe noire et sa main blanche posée sur l’accoudoir. J’ouvre doucement la lourde. Elle sursaute et aussitôt me brandit un sourire.

— Alors ?

— J’ai tous les tuyaux, M’man. Je vais tuber au bureau et puis c’est classe pour aujourd’hui. On s’offre une virée ! Une bouffe terrible dans un restaurant basque, puis le ciné. Y a un nouveau Fernandel avec toutes ses dents !

Elle biche, Félicie. C’est sa grande noye de Paris. Une vraie surboum pour elle qui ne sort jamais de notre pavillon.

Arrivé au restau, chez Lavigne, je vais tuber au burlingue. J’ai le boss au bout du fil. Simon Persavéça l’a déjà mis au parfum et, comme on n’a rien à refuser à un homme de ce calibre, comme, d’autre part, le Vieux n’est pas tellement joyce de voir l’un de ses pompiers d’élite mêlé à une histoire pareille, il est entièrement d’accord pour que je mène l’enquête avec des chaussons de feutre aux lattes et un bœuf primé au concours de Fousy-Danltrin-sur-la-Menteuse.

Fort de son acceptation, je prépare mes batteries, tout comme M. Oliver quand il vient faire des crêpes Suzette ou une langue fourrée sauce madère devant les cameramen affamés de la TV.

J’appelle Lachaud, un pote du labo, à son domicile. Il reçoit des aminches sans doute car c’est la grosse fiesta chez lui. On entend un tordu qui mugit Que ne t’ai-je connue au temps de ma jeunesse et une dame qui se fait faire un solo de jarretelles ou quèque chose d’approchant, car elle glousse à vous flanquer le tricotin.

— Est-ce que t’as les carreaux en face des soupiraux ? je demande à Lachaud.

— Et comment ! Pour qui vous me prenez ?

— Bon, alors ouvre tes volets, gars. Demain, à huit plombes tapant, tu vas venir me ramasser chez moi au volant d’une fourgonnette sur laquelle il y aura une raison sociale d’entreprise de maçonnerie, tu me suis ?

— Pas à pas !

— Good ! Tu t’amèneras avec un homme à toi et vous serez fringués en maçons, tu continues à filer le train ?

— Absolument.

— Parfait. Munissez-vous de pelles et de pioches !

— Qu’est-ce qu’on va faire ?

— Démolir le palais de Versailles, paraît qu’y a un gisement de pétrole dessous. Prenez également des bâches…

— Entendu.

— Huit plombes, pas plus tard, ça joue ?

— Promis ; j’emmènerai Müller, pas d’objection ?

— Aucune. Tchao !

Je remets le combiné sur son support.

Le moment est venu de morganer une pipérade !

CHAPITRE VII

Dans lequel je prends livraison

Dans son costar de toile blanche, il fait Pierrot gourmand à la menthe, Lachaud, ce lundi matin. La java s’est prolongée chez lui bien avant dans la notche et il arbore ce teint vert bouteille des hépatiques qui ont traité leur foie par le mépris et qui subissent les représailles.

Müller, le rouquin, est moins défraîchi ; p’t-être à cause de l’incendie qui lui sert de tignasse et qui jette des reflets cuivrés sur son épiderme criblé de son.

Quant au gars moi-même, mon meilleur ami, il jouit d’un admirable équilibre physique et moral. On s’est toilés à minuit, Félicie et moi, et j’en ai écrasé comme une petite fille jusqu’à sept plombes et demie, heure à laquelle M’man m’a amené le caoua avec toasts beurrés matinaux. Une douche, du linge propre, et vous avez, médèmes, à votre disposition, le San-Antonio des grands jours, l’homme qui vous apporte l’oubli, l’extase et le quatrième « top » offert par les montres Lip.

— Où on va ? articule péniblement Lachaud.

— Déterrer des macchabées.

Il en a tellement vu, le Lachaud, que ça n’est pas fait pour l’étonner.

— Quel genre de défunts ?

— Le genre très dévêtu, il ne leur reste même plus de bidoche sur les endosses.

— Je vois !

On écluse un petit coup de pouilly pour se mettre le cœur à la bonne hauteur et c’est le départ.

La chignole empruntée par mes bonshommes porte sur les flancs un panonceau annonçant « Lathuile et ses fils, entrepreneurs en maçonnerie », rue de la Folie-Méricourt, Paris. Ça inspire confiance.

— Pourquoi tous ces mystères ? demande Lachaud en installant son dargif devant le volant.

— Parce qu’on doit œuvrer dans la discrétion, fiston. Si on pelletait dans la propriété où je vous mène en costar de ville avec des tires de grand tourisme devant le portail, ça ne serait qu’un cri dans le patelin. Tandis que là, on est des braves maçons qui venons couler une terrasse, vu ?

— Et où est-ce qu’on va ?

— Magny-en-Vexin…

Il drive en douceur. Dans les virages, les pneus ne mouftent pas. Le soleil raconte tout ce qu’il sait et distribue des calories à tout va : un vrai gâchis. On est serrés tous les trois à l’avant. Le gars Müller semble en plein suif.

— Ta bergère t’a fait des vannes ? je demande.

— Non, répond-il, c’est une dent qui me fait des misères. J’ai beau prendre de l’aspirine, je souffre mille morts.

— Pourquoi que tu ne vas pas chez le dentiste ? suggère pertinemment Lachaud.

— J’ai peur, bêle le rouquin.

— T’as tort, affirme Lachaud, j’ai un dentiste remarquable. Il t’arrache pas les chailles, il te les cueille.

Une petite heure plus tard, nous arrivons devant Pinaud’s House. Alentour, le paysan du cru emmène sa femme dans les champs pour labourer. La nature résonne de mille bruits gaillards. C’est bon, le travail au soleil. Ça vivifie. Le nôtre, par exemple, est moins salubre. On carre la chignole devant le portail. On descend le matériel : outils et bâches…

La joue droite de Müller est enceinte de huit mois. Je désigne les points cruciaux à mes bons amis et je vais faire le pet au-dehors. Bien m’en prend. V’là un terreux qui annonce son grand pif, alerté par notre venue.

— Vous êtes dans le bâtiment ?… il demande.

C’est un vieux, avec une chouette moustache de phoque et des lunettes à reflets bleutés.

— Oui, on vient construire un glacis devant la maison…

— Ah ! De Paris ?

Ça l’épate, alors qu’il y a de la main-d’œuvre sur place.

— Je suis un cousin germain du nouveau propriétaire…

— Voilà, voilà…

Le père laconique se cure les molaires avec la pointe d’un couteau et crachote le résultat de ses fouilles…