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— Beau temps, hein ?

— Ça, vous faites bien les choses dans le Vexin.

Il rigole. J’en profite pour placer mon questionnaire « mine de rien ». Dix ans d’expérience ! Médaille de bronze au concours Lépine.

— Gentille maisonnette, dites donc ! Mon cousin a de la chance !

— Pour ça !

— État neuf, c’est une riche affaire. Ils devaient être propres, les locataires d’avant ?

— Du temps de Mme Planqueblé, oui… Et puis elle est morte et…

— De quoi est-elle morte ? C’était pas contagieux, j’espère ?

— Oh ! que non…

Il se gratte le velours côtelé.

— Elle s’est fait écraser au passage à niveau par un train de marchandises. Elle était myope et un petit peu sourde… Et voilà…

— Elle avait une fille, m’a-t-on dit, et un mari tout neuf ?

— Oui. Ils sont restés quelque temps ici, et puis ils ont loué…

— Ah !

— Le fauteuil à roulettes, c’était pas commode ici, vous comprenez ?

J’offre une cigarette au vioque.

— Ils ont loué…

Voilà qui est nouveau. Me Poilautruc n’a pas mentionné le détail. Peut-être l’ignorait-il tout bêtement, hein ?

— À des gens qu’avaient pas bon genre, assure le vieux. Ça se faisait une foire les vèques-handes ici ! Ah ! mon pauvre…

— Avec mon cousin, vous serez peinard, c’est un père Mes-pantoufles !

— Tant mieux…

Je remets la conversation sur la route à grande circulation.

— Vous disiez qu’ils avaient mauvais genre ?

— Oui. Ils tenaient une boîte de nuit à Montmartre, un endroit honteux ousque les femmes se déshabillent devant tout le monde…

— Qui, « ils » ?

— Le ménage que je vous cause… Des gens qu’on savait même pas s’ils étaient mariés. Et des amis en veux-tu en voilà, toujours à brailler des cochoncetés.

— Ils s’appelaient comment, ces locataires ?

Il plisse ses yeux de batracien enrhumé.

— Vous me croirez si vous voudrez…

— Bien sûr ?

— Je l’ons jamais su.

Là-dessus, jugeant qu’il m’a accordé assez de salive, il touche le bord de sa casquette et s’évacue vers son usine à bouses.

Je file rejoindre les copains. Ils achèvent de dégager les deux corps et je les aide à les empaqueter dans des bâches. Nous avons une toile « lady » et une autre « gentleman ». On coltine ça dans la fourgonnette. Avant de déhotter, Lachaud fouille le sol en détail aux endroits où étaient ensevelis ces messieurs-dames. Il brise les mottes de terre une à une, comme on casse des noix véreuses. Il récupère çà et là des lambeaux d’étoffe qu’il serre dévotement dans des sachets de Cellophane. Je le laisse faire son turbin. Pendant qu’il s’escrime, Müller opère à l’intérieur du fourgon un premier examen des personnes en question, tandis qu’histoire de mettre ma main à la pâte je rebouche le trou exploré par Lachaud. Deux heures plus tard, c’est le retour sur Paris. Le mahomet en jette de plus en plus et l’intérieur de la camionnette fouette méchant.

— Alors, messieurs ? fais-je en allumant une cousue.

Müller qui, à la base, détient un accent alsacien épais comme un ciment prompt, a de la peine à jacter because sa fluxion dentaire. Il ressemble à une moitié d’hippopotame.

— La femme était jeune, dit-il. Ses mensurations, je vous les communiquerai postérieurement. Denture impec…

Là, sa voix se brise comme une tarte feuilletée sous le derche de Berthe Bérurier. Il caresse d’un doigt prudent la patate luisante qu’est sa joue droite et poursuit :

— Les os sont rongés par la chaux vive, ils n’ont toutefois pas été réduits en poudre parce que la chaux, au contact du sol humide, a perdu beaucoup de ses propriétés corrosives. Vous savez que l’oxyde basique du calcium…

Je le stoppe.

— Non, Müller, je ne le sais pas, et je m’en tamponne le bulbe. Après ?

— Ceci pour la dame. Naturellement, nous serons à même de vous en raconter plus long par la suite. Maintenant, l’homme. À mon avis, un individu d’une quarantaine d’années, assez grand. Hélas ! il jouissait également d’une parfaite denture, ce qui va vous donner du fil à retordre pour l’identification.

Nouvelle caresse à sa fluxion. Il salive péniblement et enchaîne.

— Néanmoins, il n’a pas été enterré dans la chaux et il se trouve dans un meilleur état de conservation, bien qu’à mon avis il ait été inhumé avant la femme.

D’affreux relents de charogne me fouettent le nase.

— Qu’est-ce que ça serait autrement, soliloqué-je. Alors ?

— Cheveux châtains… La fille, vous avez pu en juger… L’homme avait les pouces des mains très développés et en forme de spatule. C’était le genre de zig qui pouvait cacher une pièce de cinq francs sous son pouce.

Il se tait. Lachaud prend le relais.

— Portait au moment de sa mort un costume prince-de-galles, une chemise pervenche et une cravate tricotée noire… Chaussures en veau crispé…

— Merci, mes enfants, pour une première prise de contact, ça n’est pas mal.

Nous nous arrêtons pour croquer dans l’aimable routier où, la veille, Béru a pris le strabisme de la bonne pour une marque d’intérêt à son égard.

Lachaud et moi, on se commande une saucisse aux lentilles, et on réclame une purée très fluide avec une paille pour Müller.

CHAPITRE VIII

Dans lequel j’essaie de dresser un plan de campagne

Je me tiens dans la salle des sommiers, là où sont collationnés les pedigrees des malfrats et les fiches signalétiques des personnes disparues.

Au fur et à mesure que me parviennent les détails arrachés aux squelettes par les gnaces du labo, j’oriente mes recherches. Des tas de gens disparaissent chaque année sans laisser de traces, et pour un assez fort pourcentage, ne font jamais plus surface que ça soit mort ou vivant. Mais le contraire est très rare. Si l’on a souvent du mal à récupérer un disparu, par contre on finit toujours par cloquer une étiquette sur des restes. Or je me prends les nougats dans la cravate, ici, car j’ai beau passer au crible les ceuss qui ont mis les voiles, je n’arrive pas à situer les locataires à Pinuche dans le lot.

Au bout de deux plombes pendant lesquelles j’ai épluché plusieurs centaines de fiches, en compagnie de l’archiviste, je me retrouve groggy avec mes deux lascars sur les bras. D’où viennent-ils ? Qui sont-ils ? Mystère et boule de gomme. Vous pensez peut-être qu’au lieu de m’esquinter les loupiotes je ferais mieux de rendre visite aux gens qui ont créché dans la datcha du croulant Pinusky ? Hein, avouez, bande d’iconolâtres, que mon piétinisme vous surprend ? Tenez, malgré que vous en trimbaliez un paquet épais comme un matelas Simmons, je vais vous affranchir, bien que je n’aie pas de comptes à vous rendre ! Voyez-vous, un proverbe gondolien (capitale Gondolo) affirme qu’on ne doit pas s’embarquer sans biscuits. Il a raison. Ceux qui ont eu le malheur de partir sans biscuits n’ont jamais fait leur petit-beurre ! Vous me voyez, débarquant chez ces gens, le bada à la pogne, très « quêteur pour les hautes œuvres de la paroisse » et demandant poliment : « Mande pardon, m’sieurs dames, vous n’auriez pas paumé deux cadavres par hasard ? »

Tandis que si, dûment affranchi, j’y vais d’un suave : « Que sont devenus Mme Dugland et M. Chprountz qui comptèrent parmi vos invités à votre soirée du tant ? », alors là, je fous la variole dans le chantier, vous comprenez ? Et comme San-Antonio a un œil qui vaut toutes les pellicules ultrasensibles, j’enregistre les tressaillements, les battements de paupières et autres rougeurs ou pâleurs symptomatiques.