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— T’es quand même devenu un homme de bar, souligné-je avec cette pertinence qui ajoute à mon charme naturel.

Comme on n’a jamais trouvé jusqu’à ce jour le moyen d’exprimer l’orthographe des mots de même consonance, l’ignoble personnage hoche la tête avec conviction.

Je remarque alors, car j’ai le sens olfactif surdéveloppé, qu’une odeur obsédante comme l’œil de Caïn flotte dans la voiture. Vu que nous ne traversons pas de cours de ferme, j’en conclus que nous devons ces effluves à la mère Béru. La chérie s’est aspergée de parfums aussi variés que véhéments.

— C’est vous qui fleurez bon, chère amie ? m’enquiers-je avec civilité.

La baleine du Gros se met à minauder. Elle explique que son pote le merlan lui refile des boîtes d’échantillons. Elle mélange le tout dans une grande bouteille et obtient, ce faisant, un parfum qu’elle affirme des plus nuancés.

— C’est un véritable arc-en-ciel odorant, assuré-je.

Dans le rétro, je vois les yeux de ma Félicie qui rigolent. La Gravosse se trémousse dans sa robe coquine. Un petit chef-d’œuvre, cette pelure. Y a un décolleté qui foutrait le vertige à Maurice Herzog ; il est cerné par un jabot de dentelle mousseuse à la Louis XIV, et la robe comporte une ceinture, large comme une courroie de transmission. Ma brave Môman assure à sa compagne de voyage qu’elle est loquée façon princesse. L’épouse de Béru bat des ramasse-miettes. « Oui, oui, elle a une couturière très bien… La femme d’un marchand de charbon. » Voilà pourquoi sa robe semble venir de la Ruhr… La baleine ajoute que si Félicie le désire, elle pourra l’emmener chez la conjointe du marchand de sous-sol. À quoi Félicie rétorque avec sa prudence coutumière qu’elle n’a, hélas ! plus l’âge de porter des toilettes aussi parisiennes.

Tout ça pour vous montrer que la Concorde est à l’ordre du jour, comme dirait le gérant de l’hôtel Crillon.

Nous abordons Pontoise lorsque le Mahousse déclare qu’il fait soif. Les dames nous conseillent de descendre écluser un gorgeon tandis qu’elles continueront de parler guenilles.

Justement, un troquet se propose à nos gosiers harassés. Le Gros s’y précipite. C’est le « routier » de chez nous, avec des tables pourvues de nappes à carreaux, des cuivres au mur, et un comptoir de faux acajou.

Béru en profite pour commander une tartine de fromage.

— T’es pas dingue ! protesté-je, on va jaffer dans un quart d’heure !

Il hausse les épaules.

— Je prends mes précautions, dit-il, la mère Pinuche cuisine comme une s…

Rêveur, je le regarde engloutir la boustifaille.

— Avec ce que t’auras clapé au cours de ta chienne d’existence, remarqué-je, on aurait pu élever cinquante petits Hindous.

Le Gros m’affirme, la bouche pleine, ce qui renforce ses arguments, qu’il se fout des petits Hindous comme de sa première dent gâtée.

— Et puis pourquoi que tu me causes des petits Hindous ? demande-t-il.

— Parce qu’ils meurent de faim !

— Ils n’ont qu’à se révolter, tranche le Gros, qui a ses idées sur les réformes sociales.

— Ils ne peuvent pas.

— Et à cause, s’il te plaît ?

— Parce qu’ils ont trop faim, Béru. Il faut douze cents calories pour pouvoir faire la révolution.

Agacé par mon amertume, il me répond « qu’on est pas à Sumatraque » ; qu’il regrette beaucoup de ne pouvoir offrir une tournée de tartines aux petits Hindous tombant en digue-digue, mais que cela ne l’empêchera pas d’en bouffer une seconde.

Sur ce, il arrange sa cravate because la serveuse du troquet est en train de draguer dans les parages. La môme me lance des regards chaleureux, mais comme elle louche, mon pote croit que c’est pour lui.

— Elle est choucarde, cette petite, hein ? murmure-t-il.

— Elle ressemble à un chat-huant, assuré-je.

— P’t-être bien, mais à un joli chat-huant, s’obstine le Gros.

Je parviens à le rapatrier sur la chignole. Il a les lèvres crémeuses et le regard moite.

— Il a tout de même eu du vase, ce Pinaud, dit-il. Gagner une crèche aussi facilement. Il est pourtant pas cocu, lui !

Mme Bérurier s’étrangle.

*

Nous avons quelque difficulté pour dénicher le Pinaud’s office car il se trouve en dehors de l’agglomération, sur la route de Rouen. Enfin un jeune garçon, berger de son état et sodomite par vocation, nous renseigne :

— Chez le monsieur qu’a gagné la campagne du journal ? C’est dans l’hameau qu’on voit là-haut, derrière le centre d’insémination artificielle.

Nous remercions l’éphèbe.

— En v’là un, affirme Béru, qui doit se faire faire des touchers rectaux façon manchot.

Madame sa dame s’indigne et le sermonne aimablement :

— Tu es dégueulasse, chéri !

On stoppe devant la gentilhommière de l’inspecteur principal. C’est moins beau que sur la photo du baveux, mais ça reste gentillet tout de même.

Une cloche un peu plus grosse que le bourdon de Notre-Dame est suspendue au-dessus de la porte. Il s’est fringué en gentleman farmer. Si vous le voyiez, vous le voudriez pour mettre sur votre cheminée. Il a un blue-jean, un pull à col roulé et des après-skis.

Pinaud ne ressemble plus à Pinaud mais à son fils aîné s’il en avait un. Il est rasé, sa moustache est bien coupée. Il s’est débarbouillé et il porte un bonnet de feutre rouge sur lequel est écrit en lettres serpentines « Souvenir du Mont-Saint-Michel ».

— Salut, Éminence ! je lance joyeusement.

Il s’esclaffe. Nouvelle série de serre-moi-la-louche. Les dames se font la bibise et on déballe les cadeaux. J’ai amené un magnum de Lanson et, outre les petits-fours (qui maintenant sont plus petits qu’au départ), Félicie a un vase peint par Peynet pour la dame Pinuche.

Le Gros amène ensuite son sapin. Pinaud manque un peu d’enthousiasme car, vu l’exiguïté du jardinet et la hauteur de l’arbre, celui-ci va bouffer la lumière d’une fenêtre. Mais il sait vivre et il camoufle son désappointement.

Visite des locaux. La maison n’est pas neuve, mais elle est du moins en bon état.

— Voici le livinge-rome, déclare notre hôte.

La pièce est vaste, claire et meublée de pliants et d’une table de cuisine. Les autres carrées sont à l’avenant.

La chambre comprend une paillasse et une caisse. La cuisine, un Butagaz, un arrosoir et une pile de vaisselle. Ça renifle bon. Mme Bérurier en glousse d’aise et son bœuf va poliment soulever les couvercles des casseroles, histoire de vérifier ce qui mijote.

Sa gravosse, qui connaît à fond les usages, proteste à nouveau :

— Voyons, chéri, tu débloques ! Ça fait peigne-c… !

Le Gros se ramène vers son tas.

— C’est de la blanquette, dit-il… Et du riz.

Le visage de la dame en rose s’assombrit quelque peu à la perspective de ces agapes modestes. Elle s’attendait à la grande fiesta. Elle voyait tout de suite un dindon par personne et du gigot comme amuse-gueules.

— On va pouvoir passer à table ! prévient Mme Pinaud.

— Auparavant, décide le Gros, faut planter ce sacré sapin ! Après la tortore on n’aura plus envie de bosser…