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Pinuche dit que ça ne presse pas, espérant vaguement que le sapin sera groggy ; mais quand Béru s’est mis une idée dans la lanterne, rien ne peut l’en déloger.

On va emprunter une pioche et une bêche chez le bouseux d’à côté et on détermine l’endroit le plus approprié pour la plantation, c’est-à-dire dans un carré de vieux poireaux montés en graine.

— Je t’ai pris un sapin, explique Béru, parce que ça reste vert toute l’année.

Il pose sa veste noire sur un tas de terre, retrousse ses manches, crache épais dans ses battoirs et se met à piocher sec.

Soucieux d’apporter ma contribution à l’effort commun, je dégage la terre au fur et à mesure. Le gars Béru a raté une merveilleuse vocation de terrassier. Faut le voir taper dans la glaise !

Pour se donner du cœur au bide, il brame à tue-tête : « J’ai soif de tes bras féminins. » Sa voix altière ébranle les confins. Les taureaux du Centre, disséminés dans les pâtures, et les vaches inséminées dans les étables lui répondent. Noble chorale à côté de laquelle celle de Mgr Maillet est peu de chose. Soudain le Gros cesse de mugir.

— Tiens ! c’est calcaire dans ton coin, dit-il à Pinuche.

L’autre gland est planté dans son bleu-jean qui met en valeur ses genoux cagneux. Il évalue de ses yeux mités la hauteur du sapin une fois qu’il sera planté.

— À cause ? demande-t-il.

— Le sol est tout blanc. On dirait que je pioche dans de la farine, maintenant.

— Y a p’t-être eu une école au temps des Gaulois à c’t’endroit-là, suggère Pinaud qui sans être féru de zoologie a du moins des idées sur la question.

— Pourquoi une école ?

— Ben, à cause de la craie…

— Tu ne sais donc pas qu’à cette époque on se servait d’un ciseau à froid en guise de pointe Bic ?

Tandis que nous nous livrons à ces hypothèses, Béru continue de piocher. Tout à coup il reste immobile, la pioche levée.

— N… de D… ! s’exclame le digne homme.

Nous le regardons. Il fixe l’extrémité de sa pioche avec des lampions gros comme mes poings.

— M… ! fait Pinaud.

Pour ma part, je m’abstiens de surenchérir dans l’épithète malsonnante, mais je me frotte le pare-brise car je doute de mes sens. Le Gros vient de ramener un crâne humain à la pointe de son outil (lequel va devenir par cette occasion la pointe de l’actualité). Il a planté la pioche dans un des yeux et a arraché le blaud !

Je me ramasse les bords, vite fait, et je viens contempler cette tronche sous le nez. Quelques morcifs de peau adhèrent encore aux os. Des cheveux subsistent, çà et là… Probablement sont-ce des crins de bergère ? La chaux vive a détérioré cette dame et je dois convenir qu’elle n’est plus guère présentable.

Pinaud bave doucement sur son pull à col roulé.

— C’est ce qui s’appelle se faire coincer la main dans le trou du tronc du culte ! déclare Bérurier. T’as un drôle de sous-sol, Pinuche. T’es certain que ça fait partie du gros lot ?

Le cher homme se rabat sur sa précédente hypothèse. (Un dentiste plein d’esprit dirait que c’est une hypothèse dans terre.)

— Ma maison a p’t-être été bâtie sur un cimetière de Gaulois, non ? suggère le malheureux !

— T’t’à l’heure c’était l’école, maintenant le cimetière, gouaille Béru, tu veux parier qu’on va finir au claque ?

— C’est ma femme qui va rouspéter, bavoche Pinuche.

— D’accord, lui dis-je, ça fait désordre… Mais enfin tu n’y es pour rien.

L’autre, très autruche d’esprit, se lamente :

— Si ç’avait pas été de cette charognerie de sapin, jamais on aurait creusé aussi profondément…

— Merci, dit Béru, pincé. Moi qui croyais te faire plaisir ! Un sapin que j’ai eu un mal fou à déterrer du bois de Vincennes !

Voilà que la crémaillère tourne au vinaigre. Il faut convenir qu’en fait de hors-d’œuvre, c’est gagné.

— Qu’est-ce qu’on va faire ? tranche le Gros.

Pinaud tire sur sa moustache de rat d’égout.

— Si ça ne vous ennuyait pas, on irait déjeuner… Après on verrait.

Je comprends qu’il ne tient pas à gâcher la réunion, le roi du slogan sur nouilles.

— O.K., remets cette personne en place, enjoins-je à Béru. Pinaud a raison, nous statuerons plus tard. Pour l’instant, inutile de parler de ça aux dames, ça leur couperait l’appétit.

CHAPITRE III

Dans lequel le déballage se poursuit

Dire que le déjeuner est plein d’entrain serait exagérer. Mais enfin il se déroule normalement. De temps à autre, mes collègues et moi-même échangeons des regards entendus. Mme Pinaud vante le charme de l’endroit. Elle dit que lorsque son acolyte prendra sa retraite, ils viendront se retirer ici.

— Nous arrivons à un âge où il faut faire son trou, conclut-elle.

Là-dessus, Béru éclate d’un rire qui constelle de grains de riz la robe de sa femme. Pinaud semble très malheureux. Avouez que c’est pas de bol ! Gagner une maisonnette et savoir qu’il y a un cadavre de femme dans le jardin…

— Vous semblez préoccupé, commissaire ? demande Mme Pinaud.

— Je rêvasse, dis-je. Ce calme est tellement reposant.

— Comment trouvez-vous la blanquette ?

— Aux petits oignons, chère madame !

— Il y en a qui mettent des os à moelle dedans, déclare la baleine à moustache en remplissant son assiette.

— Je sais, fait la mère Pinuche, vexée sur les bords, mais le boucher d’ici n’avait plus d’os.

— Si le boucher n’a pas d’os, je peux vous dire où en trouver, commence le Gros qui en est à son seizième godet de juliénas.

Pinaud lui fait les gros yeux… Notre collègue se rabat alors sur la blanquette. C’est un match au finish qui démarre entre lui et sa bonne femme. La baleine marque un essai en finissant sa seconde assiettée de blanquette ; elle réussit la transformation en s’octroyant une nouvelle porcif aussi monstrueuse que les précédentes. Du tac au tac, Béru opère une sortie en touche à quelques centimètres des poteaux. Il fait une passe de sauce à sa cravate, réussit un drop-goal au gros rouge et égalise. Mêlée confuse sur la marmite pour savoir lequel des deux va la torcher. Dans les deux camps on talonne ferme, puis force reste à la moustache. Le Gros doit se contenter de lécher la cuiller. À la mi-temps sa morue (le) mène (par le bout du nez et) par 8 à 5. La salade d’endives remet tout en question. C’est Béru qui bloque le saladier en premier et qui le déverse dans son auge. Celle-ci est tellement pleine qu’il en dégringole jusque dans sa braguette. Il néglige cet excédent pour le moment, le réservant pour la bonne bouche et s’élance à grandes fourchetées. C’est du Puig-Aubert de la bonne année. Quelque chose d’aussi titanesque que le France-Écosse, qui se déroule en ce moment à Colombes. La bataille connaît sa pleine âpreté aux fromages. Les deux conjoints (joints par M. le maire) font un arrêt de volée et, cette fois, c’est la vioque qui éventre le calendos et ratiboise le gruyère. Elle se l’adjuge en presque totalité, ne laissant aux autres qu’une douzaine de trous pour le cas où ils voudraient faire une partie de golf… Devant ce déchaînement, le Gros se replie sur des positions préparées à l’avance par les caves Nicolas. Il finit le bordeaux, décapite le brouilly et s’en téléphone trois gorgeons. Il ne se tient plus, la victoire maintenant ne peut plus lui échapper. Dans un élan superbe notre homme se farcit la moitié de la tarte aux pommes, onze petits-fours emboutis par sa nana et quatorze bananes.