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— Eh bien, le concours est financé par une firme. Cette année, c’était par les nouilles Levantre !

— Qui achète la « maison de vos rêves » ?

— L’homme d’affaires du journal. Il soumet une liste de propriétés à vendre correspondant à l’esprit du concours à la direction publicitaire de la firme et ensemble ils choisissent le gros lot, vu ?

— Cette liste de maisons à brader est constituée par qui ?

— Par notre homme d’affaires. Il me montre les photos des propriétés et je fais une présélection.

— Vous avez vu la carrée de Magny ?

— En photo seulement.

Je réfléchis.

— L’adresse de l’homme d’affaires, please ?

— Me Barbautour, 69, rue de la Pompe.

Je note.

— O.K., merci.

Quillet me cramponne par un bouton de ma veste.

— Eh ! dites, commissaire de mes choses, à votre tour de vous mettre à table !

— Oh ! très juste. Eh bien voilà. Je pendais la crémaillère chez mon heureux gagnant de subordonné ; mine de rien, nous avons voulu faire un peu de jardinage, ce qui nous a permis de mettre au jour les restes de deux personnes : un homme et une femme.

Aïoli glapit :

— Qu’est-ce que tu débloques ?

— Ceci pour vous dire le parti que vos petits confrères peuvent tirer de ça. Lutèce-Midi, le journal qui offre des maisons bourrées de cadavres à ses lecteurs ! Votre concours est dans le lac, mes chéris !

« Vous allez être la risée des chansonniers…

Quillet perd sa morgue. (Et pourtant il en faudrait une pour y fourrer nos trouvailles.)

— San-Antonio, il faut absolument écraser ça !

— Tiens ! dis-je à Blagapar, il se réveille, le calibreur de boniments !

L’autre est plus pâle que toutes les laiteries suisses réunies.

— Faites quelque chose, quoi ! ronchonne-t-il.

— Ah oui, et quoi ? On va récupérer les quidams et on distribue leurs os aux médors du quartier en guise de susucre ? L’art d’utiliser les restes, hein ?

— Alors ?

— Vous pourriez p’t-être commencer par un coup de grelot au grand boss pour le mettre au parfum, son avis est intéressant. Des fois que le cher vénérable n’aurait pas la même optique que vous ?

— Il va me jouer Manon, soupire Quillet.

— Il te le jouera en version intégrale s’il apprend que tu lui as fait des cachotteries ! promet Aïoli, pour qui rien de ce qui concerne les réactions masculines n’est étranger.

L’escogriffe se décide. Il est sur les rives de la débine, le Quillet illustré, à la confluence de la pestouille, là où l’on aperçoit les premiers contreforts de la mouise.

Il se voit déjà offrant ses bons et aloyaux services dans les rédactions et ce futur ne l’enthousiasme pas. Pierre Larousse n’amasse pas mousse ; voilà ce qu’il se dit, Quillet, le chérubin aux mains noires.

— Je crois que vous avez raison, bavoche-t-il.

Il sort son Hermès de sa chaussette et cherche le tube privé du big boss. D’un doigt qui laisserait une collégienne de marbre, il compose le numéro de Simon Persavéça, le diro de Lutèce-Midi.

C’est un larbin qui débouche le flacon. Il dit que Monsieur est en java avec le ministre des Affaires en cours. Quillet, téméraire en diable, objecte que c’est grave. Bref, il obtient son appareil à refuser les augmentations. L’autre doit être vachement pète-sec je vous le garantis. Il parle comme on crache. Les trompes d’Eustache à Quillet se fripent comme la robe d’une jeune fille violentée.

— Monsieur le directeur, un événement de la plus haute importance pour le journal… Non, non, monsieur le directeur, ce n’est pas la guerre avec le grand-duché de Luxembourg… Cela concerne uniquement notre maison !

Notre maison ! Il en a de chouettes, comment qu’il se cramponne à ce pluriel, le grain de courge. Un pluriel, comme dit l’autre, qui commence à devenir singulier. Il s’en sert pour bercer son espoir.

— … Il est indispensable que je vous voie, monsieur le directeur ! Comment ? Parfaitement… Bien…

Il remet l’écouteur au portemanteau.

— Il NOUS attend, fait-il.

— D’après ce qu’ai cru piger, c’est vous qu’il attend, cher Quillet.

— Je pense que vous saurez mieux que moi lui exposer… heu… Vous me comprenez ?

— Tu parles, Jules !

— Je vais me laver les mains.

Il se trisse. Je reste en tête à tête avec Aïoli. Elle caresse rêveusement ses moustaches en tétant sa pipe.

— J’espère que ton petit pote n’emploie pas Omo, fais-je.

— Pourquoi ?

— Parce que, comme avec Omo, la saleté s’en va, il ne resterait plus grand-chose de sa personne. Tu parles d’un roquet hargneux…

Elle se marre.

— Il est malheureux en ménage, explique-t-elle, sa bergère fait des fugues, comme Bach, et ça l’aigrit un peu, mais à part ça, il est plutôt bon cheval.

Elle tape sa pipe sur son talon plat.

— Dommage que cet événement se produise chez vous, tu te rends compte d’une exclusivité, San-Antonio ?

— Très bien, merci et toi ?

— Y a des moments où je regrette d’être fidèle.

— C’est ton côté Castro, ma vieille. Ça et la barbe, voilà vos points communs à tous les deux. C’est au cigare que la divergence s’amorce… Lui n’aime que le havane et toi que la pipe.

Retour de Quillet, mains propres, haleine fraîche, cravate nouée, veston sport à boutons de cuir. C’est pas encore la gravure de mode, mais ça n’est déjà plus le faf de gogues.

— J’y suis, déclare-t-il.

Je prends congé d’Aïoli.

— Tu ne fais pas partie de la caravane ?

— Non, faut que je trouve des échos pour la chronique… En ce moment, c’est mollasson.

— Ah oui ? Brigitte Bardot est entrée au couvent et Bernard Buffet est malade ?

Elle soupire.

— Tu ne peux pas savoir ce que c’est que ce turbin, San-A. Malgré les apparences, il ne se passe rien dans le monde. Rien de neuf du moins, et il faut que nous fassions croire à nos lecteurs qu’il est plein d’imprévu et de fantaisie.

CHAPITRE VI

Dans lequel je trouble certains repos dominicaux

C’est un drôle de viron pour Félicie. Voilà qu’elle va s’offrir une nouvelle séance de poireau dans la chignole en attendant notre retour, à Quillet et à mézigue. Je lui en fais la remarque mais elle me sourit, heureuse, et je pige avec émotion qu’elle est heureuse pour de bon. M’attendre dans la voiture, c’est un peu être en ma compagnie.

— Allons-y ! dis-je au journaliste.

Nous sommes avenue du Bois. L’immeuble de Simon Persavéça compte parmi les plus mastards. De la pierre de taille façon caveau rupin, de la baie vitrée et de la porte cochère en fer forgé travaillée pogne ; bref c’est pas de la crèche pour fins de mois difficiles.

Un ascenseur capitonné nous grimpe au quatrième. Le diro de Lutèce-Midi possède tout l’étage. Deux cents mètres carrés de moquette sans parler des communs !

Coup de sonnette discret de Quillet dont le vœu le plus ardent (et le plus absurde) est de ne pas être entendu. Mais les gens de son patron doivent se passer les étagères à bésicles au rince-bouteille tous les matins, car à peine avons-nous actionné le bouton que la lourde porte s’entrouvre.