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Elle étouffe et refoule le mouchoir.

— Vous êtes…, vous êtes…, commence la douce enfant.

— Je sais, coupé-je, ne cherche pas à dresser la liste de ce que je suis, tu en oublierais. Belloise m’a dit que tu étais au courant de tout, pas la peine de me berlurer ! Telle que te voilà démarrée, Lydia, tu risques de finir ta belle jeunesse en taule, ma chérie ! Tu t’es rendue coupable de meurtre avec préméditation en remplaçant les balles à blanc par de vraies balles. Le fait que tu n’aies pas appuyé sur la détente n’est pas une circonstance atténuante. Je te vois très bien écopant de quinze ou vingt piges ! Quinze ans sans massage, sans bronzage, sans salons de coiffure, sans instituts de beauté, sans gymnastique. Quinze ans sans amour, Lydia, réfléchis un tantinet. Lorsque tu ressortiras du trou, même avec une remise de peine pour bonne conduite, tu ressembleras en moins bien à la fée Carabosse ! Or ces années de taule me paraissent inévitables. Je t’arrête, tu piges ?

Mon petit discours à bout portant porte. Elle est pâlichonne tout à coup, malgré les beignes que je lui ai administrées.

Psychologue, hein, le San-A. ? Il connaît les femmes et leurs soucis ! Je l’aurais menacée de mort, ça ne l’aurait peut-être pas commotionnée, mais lui parler de sa beauté flétrie, c’est une autre paire de choses.

Maintenant, il faut brosser un second volet pour gagner la partie.

— Supposons que tu deviennes raisonnable, mignonne, et que tu te confies à ton San-Antonio adoré, hmm ? Tu sais ce qu’il fait, le San-Antonio vénéré ? Il oublie que tu as joué un très vilain rôle dans cette affaire. Il oublie que tu as tué mon petit camarade par personne interposée. Oui, il sait ça. D’accusée, tu deviens simple témoin. Pour l’instant, je suis à l’intersection de ton destin, penses-y. Mais si tu t’obstines, je te fais emballer à la prochaine gare et tu es plus marron que deux kilos de châtaignes dans de la crème au chocolat parce qu’alors il sera trop tard.

— Oh ! vos promesses de flic ! ronchonne la belle gosse.

— Les flics ont leurs faiblesses.

Je change de banquette et je me place à ses côtés. J’entoure son épaule de mon bras athlétique.

— Tu as sans doute déjà remarqué que tu étais mon genre, non ? Car en somme, c’est parce que tu m’avais tapé dans l’œil que tout cela est arrivé. Vrai ou faux, adorable voyageuse ?

Elle acquiesce, mollement. Je me dis que c’est le moment de lui déballer mon savoir et je l’embrasse fougueusement. Pour qu’il n’y ait pas d’équivoque entre nous, je lui octroie au prix coûtant ma galoche romaine façon Néron. La porte de notre compartiment s’ouvre et l’employé du wagon-restau nous mate d’un œil salingue.

— Mande pardon, fait-il, voulez-vous des tickets pour le second service ?

— Non, merci, le congédié-je.

— Monsieur a tort, rigole le zig, il y a justement de la langue persillée au menu.

Il se taille sur cette boutade de Dijon (il est bourguignon et roule les « r »).

Je reprends mes prouesses amygdaliennes là où je les ai laissées. Elles ne semblent pas déplaire à la môme Lydia, bien au contraire. La voilà qui se plaque contre moi, qui m’étreint, qui me chevauche, qui me comprime, qui s’exprime, qui s’incruste, qui s’insinue, qui s’empare, qui ne désempare pas, qui promet, qui tient, qui tient bien, qui n’y tient plus, qui se dit que deux tu les as vaut mieux qu’un tien tu l’auras…

Vous parlez d’un interrogatoire, mes petites poules ! Prenez votre tour, y en aura pour tout le monde ! C’est la fiesta héroïque, la chevauchée infernale, le rodéo des grands jours.

À dada ! Les vins du Postillon, à moi ! Vive la S.N.C.F. une et indivisible ! Le mouvement berceur de la voie ferrée, c’est l’opium du peuple, mes fils ! Hommage au génie français qui a tout prévu : les accoudoirs et les repose-nuque. San-Antonio est en train de gagner la bataille du rail ! Il va décrocher le ruban bleu ! Il est dans les temps du record du monde ! Il s’envole vers l’arrivée sous les ovations de sa partenaire en délire qui l’encourage frénétiquement !

Il va gagner le canard ! Et puis soudain, il se passe quelque chose : le bruit du train devient plus présent. Je réalise qu’on vient d’ouvrir la portière du couloir. J’entends une espèce de crépitement. La môme Lydia cesse de se trémousser. Elle est effondrée contre moi. Je la dépose sur la banquette et je m’aperçois qu’elle a le dossard farci de petits trous. Un monsieur peu galant lui a vidé un chargeur dans les reins pendant qu’elle s’envoyait en l’air. Elle se trouvait déjà sur la rampe de lancement pour le septième ciel. Maintenant elle n’a qu’à poursuivre sa route : c’est tout droit !

Elle a perdu connaissance, son souffle est bref, saccadé. Le sang ruisselle de son beau corps ardent.

Je me palpe, ahuri de n’avoir pas morflé de bastos. Mais non : excepté deux prunes qui se sont logées à côté de ma tête dans le drap rouge de la banquette, c’est Lydia qui a tout intercepté.

Je bondis dans le couloir. Celui-ci est vide. Je ne sais quelle direction choisir. Je me dis qu’il y a intérêt à foncer vers le wagon-restaurant. Au passage, je jette un coup d’œil dans tous les compartiments et partout je n’aperçois que de paisibles voyageurs. J’ouvre les portes des toilettes : chose curieuse, toutes sont vides. Enfin j’arrive au wagon-restaurant.

Peu de trèpe. Ce train ne comblera pas le déficit des Chemins de fer de l’État. En cette période de sports d’hiver, il faut dire que le trafic s’opère surtout dans le sens contraire. Il va à Paris chercher les futures fractures.

Le préposé en veste blanche qui m’avait vanté la langue persillée m’accueille avec un petit sourire aimable.

— Deux couverts, monsieur ?

— Non. Je n’ai pas faim. Je voudrais savoir si quelqu’un vient d’entrer dans ce wagon.

Il ouvre des billes de loto grand format.

— Comment ça, monsieur ?

— Le service est commencé depuis un bon moment, n’est-ce pas ? Je vous demande s’il y a eu des retardataires !

— Pas à ma connaissance ! Non, tout le monde est ici depuis le début.

— Merci.

Pas de bol, mes frères ! Il semble que le tueur du train se soit volatilisé. Et pourtant il est bel et bien dans l’un de ces wagons fonçant à cent à l’heure dans la campagne françouaise ! Je me tape la totalité du convoi en matant chaque voyageur sous le naze, mais je ne dérouille pas. Une fouille de chaque personne serait négative car il est fort probable que le meurtrier s’est débarrassé de son perforateur à injection directe !

Je me décide à affranchir le contrôleur et nous organisons un petit programme maison pour garder l’assassinat secret.

J’ai provoqué pas mal de casse jusqu’à présent, et je ne tiens pas à me faire une publicité démesurée.

Maintenant il va falloir affronter le Vioque pour lui faire part de mon tableau de chasse, et j’ai dans l’idée qu’il va y avoir des pleurs et des grincements de dentier !

CHAPITRE VI

Le Vioque, je l’ai vu avec bien des visages différents, depuis que je marne pour sa pomme. Je l’ai connu radieux, courroucé, acerbe, hautain, familier, bon enfant, taciturne… Mais je ne lui ai jamais vu cette bouille-là. Il est prostré et je ne sais quoi de douloureux assombrit son front-qui-n’en-finit-pas !

— Je résume, murmure-t-il : vous avez remis à un truand un revolver avec lequel il a trucidé votre collègue. Pendant ce temps on a kidnappé François Lormont dans votre propre chambre et, un peu plus tard, la maîtresse du tueur a été abattue dans le train alors qu’elle se trouvait en votre compagnie. C’est bien cela, n’est-ce pas ?