Выбрать главу

Je suis le dernier à être coltiné. Pas moyen de lutter. C’est la fin des haricots.

Nous voici devant un étrange mausolée, de style vachement païen. Une ouverture bée, noire dans le noir de la nuit. La bouche de la mort. Elle exhale un souffle putride.

— Le moment de la séparation est arrivé, monsieur le commissaire.

— Ne pleurez pas, fais-je, on se reverra peut-être un jour.

— Dans ce monde, ça m’étonnerait.

Il fait un signe à Ray (munéré). Icelui me biche aux épaules et me tire jusqu’à l’orifice. Mon ultime regard est pour Éva, dont la chevelure d’or éclaire la nuit.

Et puis c’est une brève chute, amortie par la brioche de Béru.

Le Gravos mugit de douleur.

— Tu pourrais tomber ailleurs, non ! grommelle-t-il.

— En tombant ailleurs je serais tombé plus mal, Gros. T’as la qualité Simmons, toi, au moins !

Et puis je me tais car le rectangle de clarté vient de disparaître, là-haut. Ces messieurs ont refermé le caveau. Une odeur affreuse plonge dans mes fosses… nasales. J’ai un haut-le-cœur.

Belloise, dans le noir, soupire :

— Je suis contre le cercueil du type. Je vais devenir cinglé !

— Courage ! exhorté-je. Ils ne nous ont pas butés, c’est l’essentiel. Maintenant nous allons aviser !

— Aviser mes choses ! déclare tout net Bérurier, auquel il arrive d’avoir son franc parler.

Et le Gros enchaîne :

— On l’a in the baba, comme disent les Allemands. Ligotés au fond d’un caveau situé en harasse campagne, qu’est-ce que tu veux fiche, dis, malin ?

— Inspecteur principal Bérurier, je vous prie de conserver vos distances !

Belloise n’est pas d’humeur à plaisanter.

— On va crever étouffés, prophétise ce petit optimiste.

Le fait est que l’air de cet endroit n’a pas la qualité Courchevel !

— Justement, dis-je, il s’agit de l’économiser ! Arrêtez un peu vos phonographes à couenneries, messieurs. Et essayez plutôt de vous défaire de vos liens. Le premier qui y parviendra aura droit à une bouffée d’oxygène !

Un bon moment durant (ou Dupont si vous préférez) chacun s’escrime (comme dirait Jean-Claude Magnan). C’est Bérurier qui fait le plus gros ramdam. Ses liens sont à rude épreuve. Mais tel le roseau de la fable, ils plient mais ne rompent pas. Les miens opposent la même résistance et ceux de Belloise également. Nous sommes toujours ligotés à l’intérieur de nos bâches, si bien que nous ne pouvons pas essayer de nous entredélier. Le Mastar se remet à jurer. Il dit qu’il en a marre de ce métier et que cette fois c’est bien décidé : il va envoyer sa démission !

Au bout d’une heure dix minutes trois secondes d’efforts, nous en sommes toujours au même point.

— T’as z’eu tort de leur dire que ton mec était z’en Savoie, fait Son Enflure. D’ici qu’ils aient fait le voyage, on sera morts asphyxiés !

Je ne réponds rien. Le mieux est d’attendre. Une plombe encore s’écoule. Belloise se met alors à hurler de façon démentielle. J’ai idée que ce séjour est mauvais pour son système nerveux. Manquerait plus qu’il devienne jojo à c’t’heure.

— Tu la boucles, dis, fripouille ! vitupère Alexandre-Benoît. Je te défends de gaspiller mon oxygène !

Mais l’autre continue sa chanson ! Il flanche nettement, Riri. Le cri qu’il pousse me fore les portugaises jusqu’au subconscient.

— Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour le calmer ? demande le Gravos. Cet endoffé va finir par me chanstiquer la pensarde, je te le promets. Déjà que le patelin n’est pas folichon !

— La musique adoucit les mœurs, émets-je. On pourrait essayer !

— C’est vrai, ricane l’Obèse, alors mets-lui un disque. Si t’as du Tino, c’est gagnant !

— La musique est une chose qui se fabrique, dis-je.

— D’ac, seulement j’ai z’oublié ma cornemuse dans le tiroir de ma table de nuit, faut pas m’en vouloir !

En guise de réponse je me mets à siffler. Béru pige et me joue l’accompagnement.

C’est ainsi que, pour la première fois dans l’histoire de la police, deux matuches ligotés au fond d’un sépulcre habité sifflent La Madelon pour calmer les nerfs d’un truand !

Faut le voir pour y croire, non ? Avouez qu’il n’y a qu’à nous que ça arrive, ces choses-là !

En tout cas, c’est magique. Au bout d’un instant, le gars Riri cesse ses glapissements de coyote ayant les chocottes.

Il finit même par murmurer, d’un ton vraiment inquiet :

— Mais qu’est-ce qui vous prend, tous les deux ? Vous devenez fous ou quoi ?

CHAPITRE IX

Suit alors une période de prostration très compréhensible. Avec les atouts que nous avons pris sur la tronche et cette succession d’émotions fortes, il est normal que nos nerfs fassent relâche pour répétition. La présence de ce cadavre inconnu, l’obscurité et le silence intégraux sont autant d’éléments insoutenables pour les organismes les mieux constitués. On a beau avoir une âme trempée à Thiers, elle finit par déclarer forfait lorsqu’on l’embarque dans de telles croisières.

C’est sa Plantureuse Idiotie qui reprend le premier l’usage de la parole :

— C’est marrant, fait-il, si je te disais que, pas plus tard que la semaine passée, moi et Berthe on avait envie de se faire construire un caveau de famille !

— Ça ne m’étonne pas, répliqué-je, vous ne vous refusez rien pour votre confort !

— On se disait : puisqu’on a passé not’ garce de vie ensemble, y a pas de raison qu’on se sépare une fois canés !

— Ça part d’un bon surnaturel !

— Mais j’en suis revenu, affirme l’ignominie. Maintenant que je peux juger sur place, je vais déclarer forfait à ma grosse. On s’y fait vachement tartir, dans un caveau. Entre nous, tu trouves que c’est confortable, toi ?

— Ça ne vaut pas la résidence Marly, bien sûr. Mais tu sais : il faut être mort pour apprécier.

— Peu z’importe, c’est décidé : quand je serai mortibus, je me ferai insinuer, c’est plus propre.

— Toujours ta fichue manie de laisser des cendres partout !

Un silence. Je ricane :

— Dis voir, pépère, tu fais des projets à long terme, comme dirait ton propriétaire, comment diantre conçois-tu l’avenir ?

Re-silence. Son Ampleur réfléchit, ce qui fait un bruit de sanglier marchant sur un tapis de feuilles mortes en automne.

— Je sais bien qu’on n’a pas de raisons de se berlurer, mais je peux pas croire qu’on va rester en rideau ici !

— Tu gamberges un peu au problème ? Nous sommes ligotés, il y a une pierre qui bouche l’orifice et…

Béru barrit :

— Faut qu’on se barre, les gars, y a pas de bon Dieu ! On est des hommes ou des pets de lapin, dites voir…

C’est Belloise qui répond :

— On est des hommes entravés, m’sieur le flic ! Vaut mieux être un pet de lapin à l’air libre qu’un homme attaché au fond d’un trou.

La réponse me paraît assez pertinente. Béru l’accepte passagèrement, mais son tempérament rebelle reprend du poil de la bête.

— Écoutez, les mecs, dit-il. On est trois. C’est pas possible que sur les trois, y en a pas z’un qui puisse se délier, biscotte il est attaché moins serré que les autres !