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Nous réitérons nos efforts du début.

— Je regrette, fais-je, en ce qui me concerne ils m’ont refilé une infusion de chanvre assez soin-soin.

— Idem au cresson ! rétorque Riri.

Le Mastar s’épuise un moment encore et finit par bredouiller que « rien ne va plus ».

— Ce qui complique tout, assure-t-il, c’est qu’on soye roulés dans ces toiles !

— Merci du renseignement, ironisé-je. (Je suis ironiste de naissance.)

Le temps passe encore et nous en perdons la notion. On ne sait pas quoi se dire. L’odeur immonde de ce lieu nous est devenue familière et ne meurtrit plus notre sens olfactif.

Et tout à coup, un même frisson parcourt nos trois échines. Là-haut, un bruit vient de se produire. Il se répète. C’est celui que ferait une barre de fer sur de la pierre.

— Qu’est-ce que tu crois qu’il s’agit ? questionne Béru.

— Peut-être a-t-on retrouvé notre trace, supposé-je.

— Ce serait trop beau. Moi je te dis que c’est les autres enfoirés qui reviennent parce qu’ils se sont gaffés que tu les as berlurés.

J’admire combien en termes simples ces choses-là sont dites et je conseille à mes compagnons de ne plus moufter. Au bout d’un moment la pierre obstruant l’entrée du sépulcre s’écarte. Nous recevons un bon air rafraîchi par la nuit. Des nuages boursouflés défilent dans le rectangle de clarté. On dirait un interlude de la télé.

C’est beau la vie !

Nous sommes tout à coup aveuglés par le faisceau puissant d’une torche électrique. Ça nous fait ciller vachement. Son rayon est insoutenable, d’autant plus que nos rétines s’étaient accoutumées à l’obscurité intégrale. Je détourne la tête, ce qui me permet de voir l’endroit où nous nous trouvons. Pas réjouissant. Les parois du caveau sont suintantes d’humidité. Il y a, à même le sol, une bière démantelée à travers laquelle on aperçoit un squelette dans un complet moisi.

Riri est allongé en travers de la bière. Nous sommes enchevêtrés.

Un glissement : c’est une silhouette qui descend vers nous. Le rayon de la lampe se rapproche, son diamètre s’amenuise. Il vient s’écraser sur moi. Une main entre dans le faisceau, armée d’un long couteau à la lame effilée. Je me dis que ma dernière seconde est arrivée. Nos tourmenteurs se sont peut-être aperçus que la police était sur leurs traces et ils ne veulent pas prendre de risques en laissant des témoins oculaires, auriculaires et vasculaires, derrière eux. Alors un nettoyeur de tranchée diplômé vient nous couper la gorge mine de rien.

Je ferme mes jolis yeux. Je souhaite ardemment que le trancheur de glotte soit un crack et qu’il fasse vite. J’avale ma salive une dernière fois et je pense très fort à ma bonne Félicie qui m’attend dans notre pavillon de Saint-Cloud.

Mais, ô surprise (en anglais : hhhaô surprise !) la lame n’entame pas mon cou de cygne. Elle plonge dans mes liens comme un brochet dans une nasse. Un choc rude, j’ai l’impression qu’on me guérit d’une crise d’angine de poitrine. L’étau qui me bloquait les bras et me comprimait la poitrine vient de se desserrer brusquement. La lame descend le long de mon académie, continuant de cisailler les cordes. Bientôt j’ai la totale liberté de mes mouvements. Je m’extirpe de la bâche et j’essaie de voir la frime de notre bienfaiteur. Jusqu’alors pas un mot, pas une syllabe, pas une onomatopée n’ont été prononcés. La scène est fantomatique, cauchemaresque, grand-guignolesque et surnaturelle. Je distingue un grand type maigre, aux pommettes plus saillantes que les pommettes d’une tête de mort. Des favoris noirs, coupés carré, descendent bas sur des joues creuses. Les sourcils sont épais. Le cheveu frise sur le devant et brille sur le derrière, merci Roja !

Maintenant, l’ange noir s’occupe de Son Altesse Éléphantesque. Cric, crac, croc ! En trois coups de lingue le Béru est rendu à ses occupations.

— Grand merci, Monseigneur, fait-il en se relevant. Je sais pas qui c’est qui vous envoie, mais vous me donnerez son adresse. J’y espédierai des fleurs !

M. Coupe-Ficelle ne répond pas et s’active maintenant sur Belloise. Le Riri se remet debout à son tour. Alors le gars referme son cure-dent, le glisse dans sa poche et pose sa lampe sur la bière défoncée, en orientant le faisceau vers l’entrée du caveau. J’aperçois une silhouette, tout là-haut, immobile. Notre sauveur croise ses mains et les tient à la hauteur de son bas-ventre afin de nous faire la courte échelle. Je me sers de son escabeau en premier. J’ai les membres ankylosés et je me sens aussi agile qu’un camion de déménagement dans un salon Charles X.

Mais avec de la volonté on arrive à tout, même à ne plus en avoir. Je me hisse. Une main fine entre dans la lumière. Une main ornée d’une bagouse à caillou. Une main de femme, quoi ! Elle m’aide pourtant à l’extraire de la fosse commune avec une force peu commune. Le grand air me chavire. Il tombe une petite pluie d’hiver, froide et pas chaude. Mais c’est tellement bon ! Je regarde la dame et j’ouvre la bouche grand comme celle d’une gargouille-moyenâgeuse-assistant-à-une-conférence sur la vie de Jeanne d’Arc. La nana en question, c’est Éva. Elle est désarmée et désarmante. Un sourire ensorceleur découvre sa denture éclatante.

— Alors, monsieur Lazare ! gazouille-t-elle, ce séjour aux Enfers ?

— Paradisiaque ! assuré-je, on a joué aux osselets avec le précédent locataire et il s’est marré comme un petit fou !

J’aide le Gros à ressusciter. C’est pas fastoche. Une première fois son pied glisse sur les mains en étrier de notre sauveur et il s’abat sur l’homme aux rouflaquettes de danseur argentin. Remue-ménage dans la fosse. Les exclamations du Gros sont très gauloises (on se croirait dans une fosse celtique). Enfin en conjuguant nos efforts, nous parvenons à l’extirper de là. Bientôt Belloise suit, puis le déficeleur exécute un rétablissement fulgurant car il a été malade dernièrement et beaucoup de gens lui ont souhaité un prompt rétablissement[3].

— Venez ! nous dit la ravissante en marchant sur la pelouse givrée.

Nous arpentons en titubant une allée envahie par la mauvaise herbe et nous débouchons devant une porte de fer, rouillée comme le berlingot d’une demoiselle de cent deux ans. Le type qui nous a sauvés pousse le vantail. Nous voici dans un chemin creux. Une bagnole y est stoppée : une grosse Cadillac noire, d’un âge déjà avancé. Nous y prenons place. La môme se colle devant et son sbire se place au volant.

Béru la reconnaît à cet instant seulement.

— Tiens, vous avez réfléchi ! grommelle-t-il. C’est par humanité ou par peur des conséquences ?

La gosse nous virgule un regard tellement candide que Voltaire résilierait son abonnement à l’Express.

— Je ne fais pas partie de cette bande de gangsters, nous dit-elle. Mais je ne pouvais rien faire pour vous tant qu’ils étaient là.

— Qui êtes-vous ? m’enquiers-je.

— Vous le saurez bientôt.

Belloise croise ses mains sur sa poitrine et se renverse en arrière.

— Si je m’attendais à rouler dans une Cad cette nuit ! soupire-t-il.

Bérurier lui donne un rapide aperçu de ses conceptions philosophiques :

— La vie c’est commak, mon pote : un coup t’es mort, un coup tu roules en Ravaillac. C’est ce qu’on appelle les ponts d’érable.

— Où nous conduisez-vous ? je demande.

Elle s’étonne.

— Mais… à Paris, naturellement !

— O.K., fait Bérurier, lequel parle couramment l’américain. Si ça ne vous faisait pas faire un détour, vous seriez bien bonne de me déposer à la Brasserie Alsacienne. Ça fait des cercles et des cercles que j’ai rien becqueté et moi, dans ces cas-là, c’est la choucroute mon plat d’érection ! Une belle choucroute garnie jusqu’au toit, avec du pur porc en veux-tu en voilà !

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3

Et c’est pas le dernier de ce bouquin. J’en ai d’autres plus mauvais à vous sortir, patientez !