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— Il faut que le match reprenne ! Nous allons désigner un arbitre de touche comme arbitre et…

— Et vous allez nous ficher la paix, tranché-je. C’est un assassinat, vous l’oubliez…

— Mais…

Je n’écoute pas ses doléances.

Debout à l’emplacement qu’occupait Otto Graff lorsqu’il a été scrafé, je contemple le public. On se sent infiniment petit sur ce terrain, cerné par la multitude. Les spectateurs forment une enceinte grouillante, compacte, bleue. La foule, remarquez-le, est toujours bleue.

Oui, je me sens tout petit devant ce monceau de caviar. Chaque grain est un homme.

Je mate les buts en direction desquels l’action s’opérait. L’arbitre suivait la descente. Il a été frappé en pleine poitrine. Il devait se tenir en biais, face à la tribune d’honneur. C’est donc vraisemblablement de celle-ci que le meurtrier a balancé le potage.

Je me tourne vers le manitou qui renaude.

— Conduisez-moi au poste de sonorisation, il faut que je parle à la foule.

— Qu’est-ce que vous allez lui dire ?

Vous vous rendez compte ! De quoi je me mêle ! Bientôt va falloir que j’explique à Monsieur de quelle façon je m’y prends pour transformer une jeune fille en dame expérimentée !

— Je vous en prie ! fais-je, du ton d’un monsieur qui compte jusqu’à trois avant de balancer sa demi-livre avec os sur la hure d’un autre monsieur.

Il n’insiste pas. D’ailleurs il a un autre motif de préoccupation : son ultime cheveu vient de lâcher la rampe. Il voltige dans l’air douillet du printemps, me rappelant les vers fameux de Rostand (si fameux que je les prends sans sucre) :

… Comme elles tombent bien Dans ce trajet si court de la branche à la terre, Comme elles savent mettre une grâce dernière…

Il saisit son cheveu à pleine main, l’enroule autour de la clé de contact de sa voiture pour ne pas le perdre (sans doute a-t-il des idées de Seccotine derrière la tête ?) puis, bref comme un pépin (voilà que je recommence mes calembours !), il me dit :

— Venez !

Je viens…

La foule trépigne. Des harpagons crient « remboursez » (à moins que ce ne soient des eunuques).

Le monsieur dorénavant chauve me guide à une cabine vitrée sise sous le stade.

Un disque tourne sur un plateau. Je l’arrête.

Je cramponne le micro accroché à un clou, j’ouvre le bouton et je lance :

— Allô ! Allô !..

Je pose la paluche sur la passoire et j’écoute. La monstrueuse rumeur s’est calmée. La foule se tait brusquement, comme seule peut le faire une foule énervée.

Alors le petit San-Antonio chéri, celui qui met les dames seules dans le fourgon de queue, déclare de cette voix claire, nette, chaude et bien timbrée (tarif avion) qui fait un de ses douze mille huit cent quatre-vingt-quinze charmes :

— Mesdames, messieurs !

« Un événement aussi extraordinaire qu’effrayant… (J’en suis très content. Ça fait vrai et ça titille les muqueuses.)

« … vient de se produire. On a assassiné l’arbitre de deux coups de revolver.

Oh ! Funérailles !

Si j’espérais de la réaction, j’en ai. Elle fonce à Mach 2, la foule ! C’est le mugissement de la mer en colère, avec messages sans fil balançant du S.O.S. à tout va !

Pour endiguer ce flot tumultueux, je brame des « Allô ! Allô ! » péremptoires et modulés, mais autant essayer de repeindre la tour Eiffel avec une boîte de couleurs sans danger !

Ça monte, ça s’enfle, ça déborde, ça reflue, ça gronde, ça dévaste, ça balaie…

Le monsieur-à-tout-jamais-chauve se ronge les ongles. Il préférerait ronger son frein, mais sa bagnole est au parking !

— C’est une catastrophe, se lamente-t-il en me crachant dessus des particules d’ongle.

— Pour l’arbitre, oui, dis-je. À part ça…

Mais il ne goûte pas ma philosophie. C’est un tourmenté du tiroir-caisse !

Le grondement se tassant un peu, j’en profite pour ramener le calme en proférant de nouveaux « Allô ! ».

Le silence renaît. On est tout ouïe !

— D’après les premières constatations, poursuit l’adorable, l’extraordinaire San-Antonio, il résulte qu’on lui a tiré dessus depuis les tribunes ; vraisemblablement depuis la tribune d’honneur. La police invite toutes les personnes susceptibles de fournir des renseignements intéressants à se présenter au vestiaire. Merci.

Je raccroche.

Les vociférations reprennent.

— Ils vont tout casser ! soupire le monsieur-chauve-à-partir-d’aujourd’hui.

— Ils ne peuvent pas foutre le feu aux fauteuils, ils sont en pierre ! gouaillé-je.

— Il faudrait faire quelque chose pour les calmer.

— Leur servir un tilleul ? proposé-je.

Mais mes plaisanteries, pourtant pleines à ras bord d’un esprit bien français, le laissent aussi froid qu’un train de marée.

— Si on faisait jouer La Marseillaise ? s’écrie soudain le monsieur-qui-a-son-dernier-cheveu-après-sa-clé-de-contact.

Ça, c’est la solution Jean Nohain.

— La Marseillaise, ça finit par être surfait, objecté-je. Et puis quoi : l’arbitre était allemand !

CHAPITRE IV

L’équipe de France s’enrichit

d’un élément inattendu

Aux vestiaires règne la confusion la plus indescriptible, aussi ne la décrirai-je pas.

Côté français, on est très abattu, car, en somme, cette partie a été stoppée à un moment où les Eczémateux menaient à la marque, et côté Eczéma, on n’est pas très satisfait non plus, because on espérait une victoire et que ça n’en est pas une.

Les locaux sont infestés (c’est le mot) de gardes mobiles, immobiles pour l’instant.

Ces messieurs ont des mines de mobilisation générale. Ils regardent tout le monde comme si chacun était le Vampire de Düsseldorf et le docteur Petiot réunis.

Les arbitres de touche, qui sont maigres, n’en mènent donc pas large. Ils se demandent, les pauvrets, si un dingue ne vient pas de déclarer la guerre à leur corporation et si ce trop spectaculaire assassinat ne marque pas le début d’une série. On lit dans leurs yeux qu’ils ont terriblement envie de changer d’orientation. L’un, c’est visible, rêve de se faire marchand de coupe-tomates à la sauvette ; l’autre d’élever des lapins vers Montargis dans une belle propriété dont les fenêtres donneraient sur la mer.

Mon collègue du commissariat de Colombes vient d’arriver. Comme on se connaît déjà, on n’a aucun mal à se reconnaître. Et puisqu’on se reconnaît, on se serre le crapaud à cinq pattes en se disant qu’on-va-bien-merci.

Je le mets au parfum de ce qui vient d’arriver. Il me dit que ça va faire du bruit. Le doigt pointé en direction des tribunes en délire, je lui objecte que ça en fait déjà pas mal.

Il me demande de l’aider à effectuer les premières constatations, et il ne peut pas ne pas me demander ça, vu que je les ai déjà faites, les premières constatations et que, à défaut du coupable, j’ai déjà arrêté certaines dispositions. Tout se passe donc pour le mieux.

Les potes de l’Identité judiciaire s’annoncent avec leur étreint-en-ville à la main. Je les supplie de se manier le mou.

— Ce qui m’intéresse avant toute chose leur expliqué-je, c’est de déterminer de quelle distance la balle a été tirée, et dans quelle région du stade, vous voyez ?