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Son démarrage a été si foudroyant que je n’ai pas eu le temps de lui bondir sur le plumage.

— Arrêtez-le ! je mugis à tout hasard.

Quelques tronches apparaissent, ahuries. Mais mon fuyard n’est plus là.

Je cavale jusqu’à la porte. Le terrain est envahi par la populace que le service d’ordre n’a pu canaliser plus longtemps.

Pour espérer retrouver un gars dans cette foultitude, il faudrait avoir reçu plusieurs caisses d’optimisme par wagons frigorifiques avec la manière de s’en servir.

Je me rabats donc sur le porte-cartes en peau de faux tronc d’arbre.

C’est ce que dans les loteries foraines on appelle : le lot de consolation.

À l’instant où je commence à me préparer à m’apprêter à l’ouvrir, un bousin infernal se fait dans le secteur de l’équipe de France.

C’est la journée des émotions, non ?

CHAPITRE V

Dans lequel l’équipe d’Eczéma

trouve une recrue de choix

Un spectacle affligeant s’offre à moi lorsque je repasse le seuil des locaux consacrés à notre noble et vaillante équipe.

Le Gros est en train de se faire mettre une tisane soignée par quatre membres de celle-ci. Deux avants et deux arrières l’ont entrepris et complètent à coup de bourre-pif les interventions esthétiques que mon malheureux collègue a subies auparavant.

Il y a des jours qui ne sont pas votre jour.

Celui-ci n’est pas celui de Béru, il faut l’admettre.

Il pousse des cris de goret échaudé. Il n’a plus la force de se défendre. Il croule sous le nombre, le puissant inspecteur ! Devant la force, il abdique.

— Eh bien, messieurs ! lancé-je, très Ruy Blas.

Les boxeurs-footballeurs marquent encore une demi-douzaine de buts dans le groin en compote de Béru avant de se tourner vers moi.

— Que se passe-t-il ? je questionne, pensant que le Gros les a blessés par quelque réflexion outrageante.

— Il se passe que cet individu avait volé l’une de nos tenues ! répond Thumlachope, l’inter-avant-gauche-du-milieu.

— Nous l’avons interpellé. Il nous a répondu qu’il était de la police. Vous vous rendez compte ! Alors, comme il se fichait de nous, nous l’avons obligé à se déshabiller. Il a voulu se rebiffer et…

Je dissipe le malentendu. Béru éponge son raisin et cache sa nudité retrouvée de ses deux mains en coquille.

Va falloir qu’il se trouve d’autres fringues.

Je ne sais plus où donner de la coiffe. D’un côté il y a le loustic qui a détalé en m’abandonnant son larfouillet comme prise de guerre ; de l’autre les témoins qui piétinent et que je dois entendre… Du pain sur la planche, les gars !

Je vais au vestiaire de feu m’sieur l’arbitre. Au passage, je demande au brigadier déguisé en moustaches de me convoyer le premier témoin.

Puis je pénètre dans le vestiaire et j’ai un sursaut.

Otto Graff ne peut plus être arbitre de foot, et il ne pourrait plus être l’arbitre des élégants. Son costard gît sur le plancher, en loques ! Il a été haché menu. On a arraché les doublures, éventré les épaulettes (si je puis dire), tailladé les revers et brisé les boutons.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

Je pousse du pied les fringues lacérées dans un recoin. Et, tandis qu’on introduit le premier témoin, j’explore le porte-cartes du petit type aux cheveux blancs.

J’en extrais un passeport helvétique délivré par la Suisse. Ce passeport est établi — à son compte — et pour celui de Pauli Graff, né à Berlin dans sa jeunesse et naturalisé Helvète par la suite (et par la Suisse).

Je ne réagis pas tout de suite. Il s’écoule bien une période de trois secondes six dixièmes avant que le surprenant San-Antonio ne sursaute.

Le petit mec aux tifs blancs se blaze Graff… Comme l’arbitre ! S’agit-il d’une coïncidence, ou bien…

Vite fait, je mets les deux pièces d’identité côte à côte. Pas d’erreur, ces deux zigs sont nés l’un et l’autre à Berlin.

Alors ?

Le porte-cartes contient une carte de membre adhérent pour un club de pêche à la ligne sur le lac de Bienne, un permis de piloter les véhicules à essence, la photographie d’une grosse dame entièrement nourrie au chou rouge, et une mèche de cheveux blonds soyeux, attachés par un ruban azuréen.

Je plante le tout et, tandis qu’entre le premier témoin, je clame à la cantonade, comme si j’habitais Canton :

— Béru !

Ce cri de guerre se répercute longuement dans le sous-sol.

Une immense clameur, plus forte que celle de l’océan en fureur, plus énorme que le grondement d’un ciel d’orage, me choit dans les coquilles.

— J’arrive !

En attendant que cette promesse se réalise, je m’occupe du premier témoin.

Ce premier témoin est une témoine. Le genre beauté qui ne cache pas son jeu et qui a bien raison. Dès le premier regard, vous avez envie de lui expliquer le fonctionnement de votre aéronef à essor vertical et à décollage oblique, ou de lui commenter, avec planches en couleurs à l’appui, la culture de la canne à stupre.

Elle est grande, moulée comme au Creusot, rousse, avec des lèvres charnues qui vous donnent faim et un rire vorace de fille à qui la vie ne refuse rien et les hommes non plus.

— Mademoiselle ?

Elle me regarde avec intérêt, ce que je conçois facilement ! À Colombes il est normal de s’envoyer des coups de pied dans les chevilles !

— C’est vous le policier ? demande-t-elle.

Elle ne parle pas : elle gazouille. Un vrai bruit de source !

— Pour vous servir, fais-je.

— Je ne dis pas non, riposte la belle enfant, plus rousse que toute la rousse réunie.

Cette prise de contact s’étant établie, elle me fait part de ce qu’elle sait.

Et ce qu’elle sait est d’un intérêt tellement brûlant qu’il faut mettre des gants en amiante pour y toucher.

— Vous avez vu quelque chose au moment du crime ? questionné-je pour la pousser aux confidences.

— Pas au moment du crime, non…

— Alors ?

— C’est avant la partie… Quand les joueurs sont entrés sur le terrain…

Elle a une peau comme je les aime ; en Agfa-Color. Ses lèvres me fascinent littéralement. Je donnerais le râtelier du dimanche de votre belle-mère pour pouvoir lui faire visiter la tour de Nesle et la chocolaterie Nestlé. Je suis certain (et la garantie est authentifiée par un expert) qu’avec une souris pareille au bras, Lévitan vous fait un rabais lorsqu’on va lui acheter une chambre à coucher. C’est le genre de nana qui supprime l’amateurisme.

— Que s’est-il passé alors ? m’enquiers-je.

Elle n’a pas le temps de répondre. Son Altesse Rarissime Béru premier, roi des cornards par la grâce de Berthe, fait son entrée.

Entrée remarquée parce que remarquable.

Il a fait comme les nations meurtries par la guerre, le Gros : il a pansé ses blessures et mis de l’onguent (gris comme le tabac qu’il fume) sur ses plaies. Ensuite de quoi, l’équipe de France lui ayant marqué une hostilité déplacée, il a endossé le maillot de l’équipe d’Eczéma.

Si vous saviez ce qu’il peut être mimi en rose praline, ce c…c…l.

— Comment me trouvé-je-tu ? s’inquiète l’Énorme.

— À croquer, assuré-je, on dirait un sorbet à la fraise ou à la framboise.

Comme j’ai appris à ne plus m’étonner de rien quand il s’agit de mon compère, je lui tends le passeport de Pauli Graff.

— Toutes les polices sur ce quidam, fais-je. Signalement diffusé à tout va. Utilisez la photo du passeport. Je te signale qu’il a les cheveux beaucoup plus blancs que là-dessus, tu la feras retoucher par le labo…