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Aussi quand le boy de la prison vint la prévenir que ces derniers menaçaient de faire la grève de la faim, sauta-t-elle sur le commissaire qui finissait de déjeuner.

— Il faut absolument que j’aille voir ce qui se passe, annonça-t-elle. C’est très grave, pour ma réputation, savez-vous…

Comme Nicoro hésitait, elle ajouta :

— Je viendrai vous dire le résultat de ma visite dans votre bureau, tout à l’heure, si vous voulez…

Il fondit. Ce serait la première fois qu’il se trouverait seul avec elle…

Rapidement, il griffonna un mot pour Bobo sur la nappe et le lui tendit.

— Faites attention, avertit-il. Ce sont des hommes dangereux…

Mais Brigitte était déjà en haut en train de se donner un coup de peigne et de s’arroser de parfum.

Pas pour sa visite à Nicoro.

Malko retrouva ses habitudes d’homme du monde. Il s’inclina sur la main de Brigitte qui frémit :

— Chère madame, je suis ravi de faire votre connaissance, bien que vos repas soient toujours délicieux. C’est une erreur de notre brave Bobo. Asseyez- vous.

Elle obéit, s’installa sur le bord du lit, minaudant et croisant haut les jambes. Intérieurement, elle se félicitait de son flair de femelle : de près les yeux d’or étaient encore plus fascinants. Un charme indéfinissable se dégageait de ce grand garçon blond si distingué.

— Mais enfin, qu’avez-vous fait ? demanda-t-elle.

Malko, rapidement, lui raconta l’histoire en glissant sur ses démêlés avec Aristote. Les yeux de Brigitte étincelèrent. Il se souvenait du visage entrevu dans le panier à salade.

— Quel salaud, ce Nicoro ! Quand je pense qu’il me tourne autour depuis six mois ! C’est lui qui m’a obtenu le contact avec la prison pour la nourriture des prisonniers de marque. S’il croit que cela va me faire changer d’avis. Je le vois ce soir, je vais lui secouer les puces. Et si cela ne suffit pas, j’ai quelques amis dans le gouvernement.

— Attention, dit craintivement Couderc…

Déjà, Brigitte était debout. Ses seins envahissaient la cellule. Elle enveloppa Malko d’un regard de propriétaire :

— J’espère que je vous verrai bientôt chez moi, monsieur…

— Malko. Malko Linge.

— Vous parlez remarquablement le français pour un étranger.

Malko baissa modestement ses yeux d’or. Brigitte en était toute remuée. Elle partit sur un effet de hanches très réussi qui arracha aux parias de la cellule Huit une bordée d’obscénités swahéli absolument hors de pair. Brigitte, qui comprenait cet idiome, rougit, flattée.

Sa visite avait ragaillardi Malko. Il avait enfin une alliée. Brigitte n’aurait de cesse de le sortir de prison pour le mettre dans son lit. Ce qui, en soi, n’était d’ailleurs pas une mauvaise intention.

La journée se passa sans autre incident. Couderc faisait la chasse aux cafards et Malko lisait de vieux magazines. Vers 8 heures, le boy de La Crémaillère arriva, ployant sous un plateau gigantesque.

C’était un énorme turbot aux patates douces, copieusement saupoudré de poivre de Cayenne et accompagné d’une bouteille de Moët et Chandon. Une carte était glissée sous une des serviettes, écrite d’une grande écriture penchée : »Nous fêterons bientôt votre libération. »

Ce soir-là, Malko s’endormit serein.

Quand le commissaire Nicoro fit son entrée à La Crémaillère pour dîner, il dissimulait difficilement sa jubilation.

D’abord, Brigitte était bien venue le voir à son bureau. Evidemment, elle était restée debout. Mais, quand il l’avait raccompagnée jusqu’à la porte, il avait laissé traîner une main sur sa hanche gainée de soie, et elle n’avait rien dit. Nicoro avait éprouvé une jouissance aussi aiguë que le jour où, étant boy, il avait commis son premier viol.

Tout s’arrangeait admirablement.

Avec un peu de chance, il allait gagner beaucoup d’argent, obliger Ari-le-Tueur, et coucher avec Brigitte.

Cela se passa presque comme il l’avait prévu.

Dès qu’il eut fini de dîner, Brigitte vint s’asseoir à sa table, froufroutante comme une chatte.

Elle commença à parler : de Malko et de Couderc.

Nicoro écoutait, compréhensif et magnanime. Lorsqu’elle eut fini, il mit paternellement la main sur son bras. Mine de rien, le bout des doigts frôlait la pointe du sein sous le chemisier de soie. Brigitte ne bougea pas, stoïque, adressant une prière muette à saint Ignace pour ne pas vomir.

Quant à Nicoro, la joie ineffable qu’il éprouvait lui donnait presque une tête d’archange.

— Les hommes que vous avez pris en pitié ont commis des crimes très considérables, expliqua-t-il. Cependant, uniquement pour vous faire plaisir, je vais tenter d’obtenir une mesure de clémence, peut-être une liberté sur parole…

— C’est ça, fit fougueusement Brigitte. Ils pourront habiter chez moi. Je m’en porte garante…

— Il n’y a pas de témoignages précis contre eux, hein, alors, n’est-ce pas… Mais on a quand même trouvé le cadavre dans leur voiture, avec les diamants.

— Vous êtes si puissant, commissaire…

Nicoro buvait du petit lait. Ses doigts s’agitèrent légèrement contre la poitrine. Brigitte les repoussa d’un geste discret et se leva.

— Alors, je compte sur vous ?

— Hon, hon, fit Nicoro. Je vais examiner le cas avec une grande bienveillance.

Contrairement à son habitude, il laissa un pourboire royal et sortit en sifflotant, ses oreilles décollées agitées d’un petit frémissement joyeux. De toute façon, ses clients étaient mûrs… Mais c’était tellement plus habile de laisser croire à Brigitte que c’est elle qui les sauvait. Enfin… provisoirement.

Malko n’avait pas fini de se raser quand Bobo ouvrit la porte de la cellule, introduisant un grand Noir vêtu d’un costume bleu pétrole. Il avait des traits négroïdes peu accentués, le nez plat sans être épaté, une bouche assez fine et une chevelure laineuse et coupée court. Il tendit à Malko une main aux fortes articulations.

— Je suis Patrice Mobutu, votre avocat désigné par le ministre de la Justice.

— Ce n’est pas trop tôt, dit Malko.

L’autre s’assit sur le lit et posa sa serviette.

— C’est grâce à la diligence du commissaire Nicoro que j’ai pu m’instruire de l’affaire rapidement.

Il parlait un français châtié mais lent, ponctué de gestes précieux.

— Votre affaire est très sérieuse, très sérieuse.

La moutarde monta au nez de Malko.

— Ecoutez, vous savez très bien que je n’ai jamais tué ce pauvre homme. Tout cela sent la provocation à plein nez. Je veux être mis en liberté immédiatement.

Patrice Mobutu sortit une liasse de papiers de son porte-documents et les parcourut.

— Il ressort de l’enquête que la Sûreté ne possède encore aucun témoignage vous incriminant directement. Sauf le fait d’avoir trouvé le cadavre ainsi que les diamants dans votre coffre… De plus, la victime était un homme avec qui vous aviez des relations d’affaires frauduleuses. Ce sont évidemment de lourdes présomptions contre vous.

— Grotesque. Quand on tue quelqu’un, on ne le promène pas dans sa voiture.

— A moins que vous n’ayez projeté d’abandonner le corps dans la jungle ? Sa découverte à Bujumbura aurait provoqué l’ouverture immédiate d’une enquête…

— Je vous répète que tout cela est grotesque.

Patrice Mobutu soupira :

— Si encore vous étiez une personne honorablement connue, n’est-ce pas. Si vous pouviez donner des références commerciales. Une firme qui réponde de vous… Quelle est votre occupation, monsieur Linge.