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L’endroit favori pour les exécutions capitales.

Et Malko n’avait pas la moindre envie d’être enterré au Burundi. C’était vraiment trop loin de l’Autriche et de son château. Les mânes de ses ancêtres se retourneraient dans leurs tombes à l’idée que leur descendant reposait au cœur de l’Afrique Noire.

En vieil habitué de la Maison-Blanche, Couderc dormait déjà.

Malko, lui, n’arrivait pas à s’endormir.

Il avait beau tourner et retourner la situation dans sa tête, il ne voyait pas ce qu’il aurait pu faire d’autre. Même avec la complicité de Brigitte, s’enfuir de Bujumbura n’aurait pas été facile. Sans elle ils ne seraient jamais sortis de la ville. Or Brigitte, d’une part, n’était pas pressée, tenant à « amortir » Malko au maximum, et, d’autre part, croyait dur comme fer à l’intervention de son président.

Il laissa errer son regard sur le mur fissuré où plusieurs gros cafards cheminaient et soupira. C’était laid et triste, mais c’était encore la vie.

Le commissaire Nicoro arriva au Club des gentlemen sélectionnés un peu après 6 heures. Aristote était déjà là, enfoncé dans un grand fauteuil de cuir, un verre de J and B à la main, ses petits yeux bordés de rouge pétillant de joie.

L’œil unique de Nicoro lui rendit son sourire.

— Ça y est ? demanda Ari.

— Ça y est, monsieur Ari.

Nicoro attira à lui le fauteuil voisin et commanda son Fernet-Branca.

Ari-le-Tueur eut un froncement de sourcils :

— Pour la suite, je peux te faire confiance, damné macaque ?

C’était quand même dit gentiment.

D’ailleurs, Nicoro ne le prit pas mal.

— Comme si c’était vous m’sieur Ari.

— Bien.

Il y eut un long moment de silence. Ils étaient seuls dans le club. Le Grec termina son whisky et dit tranquillement :

— Alors, il n’y a plus qu’un petit détail à régler.

Nicoro eut un sale pressentiment, mais fit l’idiot :

— Quoi donc, m’sieur Ari ?

— Tu me les donnes quand les 40 000 dollars que tu as piqués ?

Cette fois le silence se prolongea. Nicoro réfléchissait. A aucun prix, il ne voulait abandonner l’argent à Ari. Mais il fallait gagner du temps.

— Ecoute, dit Aristote, nettement menaçant. J’ai remonté toute ta combine. Tu es un con. Tu m’en aurais parlé tout de suite, on faisait le coup ensemble et on partageait, fifty-fifty. Mais tu as besoin d’une leçon. En plus, tu as fait buter ma panthère pour rien. Estime-toi heureux que je ne te demande pas des dommages et intérêts.

Il se leva.

— Dépêche-toi de me donner ce fric. Je ne te le réclamerai pas une seconde fois.

— Je peux pas avant le procès, m’sieur Ari.

— Alors, démerde-toi pour le procès. Salut.

Sa lourde masse fit craquer le plancher et il claqua la porte derrière lui.

Chapitre XII

Une grande banderole en calicot se balançait au-dessus du Tribunal populaire portant, en lettres noires, l’inscription :

« Ne nous rendons pas honteusement ridicules. L’opinion mondiale nous regarde sous cape. »

Elle datait des premiers procès politiques de la révolution et on l’avait laissée là à tout hasard. Parce que l’opinion mondiale, le président Bukoko n’en avait que faire.

Malko, en dépit de la situation, ne put s’empêcher de sourire en voyant l’inscription. Ce mélange perpétuel de comique involontaire et de drame était épuisant pour les nerfs. Par moments, il avait l’impression de vivre un gigantesque canular… Hélas ! le tribunal était bien réel, lui, et plutôt dépourvu de bonnes intentions.

Il se trouvait dans un petit bâtiment situé lui-même dans le parc du Palais présidentiel. C’était plus facile Pour juger à huis clos. La situation n’était pas brillante. Ça faisait quatre jours qu’ils avaient été arrêtés de nouveau. Cette fois Nicoro ne perdait pas de temps.

Brigitte Vandamme avait remué ciel et terre. Rien à faire dans les ambassades. On lui avait répondu poliment que c’était un crime de droit commun et qu’il n’était pas question d’intervenir dans les affaires privées d’un Etat indépendant. A la rigueur on pourrait toujours avertir la Ligue des Droits de l’Homme, si elle payait le câble.

Côté C.I.A., Malko savait mieux que personne qu’il n’y avait rien à faire. Ce qui lui arrivait faisait partie des risques du métier. « Too bad », dirait David Wise, c’était un type utile. Jamais, même pour lui sauver la vie, ils ne révéleraient que Malko était en mission.

Quant à Bukoko, il faisait le mort ; Brigitte n’arrivait pas à le voir. Certainement, il craignait Nicoro et se souciait peu de se mettre en travers de ses projets pour un Blanc qu’il ne connaissait même pas.

« Enfin, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir », se dit Malko.

Un des gendarmes qui l’encadraient lui donna un coup de pied pour le faire lever. Le président du tribunal faisait son entrée.

En guise de toge, il portait un boubou brodé du tambour sacré burundien, et une toque blanche. Ses deux assesseurs étaient en boubou. Les trois hommes paraissaient s’ennuyer prodigieusement. Ils avaient la même tête ovoïde, sans expression, avec des cheveux crépus et très courts.

La salle était presque vide. Quelques jeunes en uniforme vert et blanc du J.N.K., venus voir Couderc, une poignée de badauds noirs, prévenus par le téléphone arabe, et les intéressés.

Au premier rang, Brigitte Vandamme, son orgueilleuse poitrine moulée dans un chemisier émeraude, l’œil étincelant et la croupe avantageuse. Son regard embué ne quittait pas Malko. Celui-ci flottait un peu dans son costume d’alpaga noir ; il n’était pas bien rasé, mais son regard doré était toujours aussi séduisant.

Derrière Brigitte, Aristote mâchait un cure-dents, son énorme masse de graisse écrasant une chaise minuscule. Ses petits yeux bordés de rouge avaient une expression ironique et satisfaite. Son éternel costume bois de rose était taché et froissé.

Nicoro arriva le dernier, sanglé dans une tunique jaune qui lui donnait l’air d’un canari. Il se mit à côté de Brigitte et la salua, mais la Belge l’ignora.

Aucun journal n’avait parlé du procès et deux policiers en civil gardaient la porte du tribunal. Nicoro ne tenait pas à avoir trop de publicité.

Le greffier, un gringalet vêtu à l’européenne d’une chemise et d’un pantalon se leva et commença à lire l’acte d’accusation d’une voix monocorde. Malko frémit en entendant le détail de ses crimes. Le malheureux Couderc n’était pas mieux loti. Derrière ses lunettes il clignait des yeux comme un hibou surpris par le jour.

L’acte d’accusation terminé, le président s’adressa à Malko, en excellent français :

— L’accusé a-t-il quelque chose à déclarer ?

— Je suis innocent. Il s’agit d’une machination montée contre moi, dit Malko. Si vous osez me juger ce sera une parodie dont vous répondrez devant les pays civilisés.

Le président haussa les épaules et appela Nicoro d’un signe de la main. Celui-ci franchit la barre et s’assit tranquillement à côté du président. Il y eut un long conciliabule en swahéli. Brigitte tendait l’oreille cherchant à comprendre ce qu’ils se disaient.

Silencieusement, elle envoya un baiser à Malko.

Brusquement, ce dernier se désintéressait du procès. Il était 2 heures de l’après-midi et la chaleur lourde envahissait la pièce. Pris d’une douce somnolence, Malko aurait donné n’importe quoi pour pouvoir s’étendre.