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— La dernière fois que vous avez été malade, cela nous a coûté très cher.

— Je sais. À propos, et les armes ?

— Elles arrivent demain. Par le cargo Volga. Elles seront déchargées et entreposées dans un endroit sûr.

— Où sont-elles ?

— Je vous le dirai dans quelques jours.

— Pourquoi ?

— Nous avons besoin de vous.

— Quand ?

— Demain ou après-demain. Est-ce que tout est en ordre ?

Beyazit hésita imperceptiblement avant de répondre.

— Oui. Mais les Américains sont sur les dents, vous le savez.

— Nous n’avons pas le choix. C’est une mission importante. Quand serez-vous de service ?

— Demain soir. De dix heures du soir à huit heures et la nuit suivante aussi, aux mêmes heures.

— Bien. Je compte sur vous. Après cela, il n’y aura pas de passage avant un moment. Nous préférons garder ce précieux tunnel pour des circonstances plus graves… A propos, si un jour vous sentiez que vous êtes soupçonné, n’hésitez pas : le service que vous avez rendu à notre pays est tel que nous vous donnerions la nationalité soviétique et un grade équivalent dans l’armée rouge.

— Merci bien. Je préfère rester ici.

— Comme vous voudrez. En attendant, je vous préviendrai. Ne disparaissez pas.

Le Russe se leva. Sa tête touchait presque le plafond. Il regarda la pièce si triste et les murs sombres, et, brusquement demanda :

— Vous n’avez pas besoin d’argent ?

— Non.

C’était net et définitif. D’ailleurs Beyazit lui ouvrait déjà la porte. Les deux hommes se séparèrent sans se serrer la main. Le Russe descendit la rue sans se presser. Il avait de l’estime pour le Turc.

Dans sa petite chambre, Beyazit sortit une minuscule escalope de son paquet et alluma son réchaud à alcool. Avec du fromage blanc et des radis, c’était tout son repas.

Lorsqu’il eut fini, il se lava les mains, remit sa tunique et sortit. Il s’arrêta à la première cabine téléphonique, au coin de l’avenue Sokollu. Il y avait une jeune fille en train de parler et il dut patienter près de dix minutes.

Ensuite, il partit se promener le long du Florya Cornis, le boulevard qui longe le Bosphore. La Mosquée du Sultan, avec ses six minarets, brillait doucement dans le crépuscule. Il croisa plusieurs couples d’amoureux. Aucun ne vit les larmes dans ses yeux. Il n’aurait plus souvent l’occasion de suivre le chemin qu’il aimait tant.

Doneshka était nerveux. Tout aurait dû être fini depuis une demi-heure au moins. Sa voiture était dissimulée dans la cour d’une ferme abandonnée, sur la rive asiatique, tout près de la raffinerie BP. Il avait accompagné jusqu’à la berge les deux hommes-grenouilles et les avait aidés à s’harnacher. Ils avaient disparu sans un bruit dans l’eau noire du Bosphore.

Il regarda sa montre. 1 heure du matin. Le sous-marin aurait dû déjà être dans la mer de Marmara.

Nerveusement, il alluma une cigarette et sortit de la voiture. Le ciel était plein d’étoiles. Au loin, on entendait la rumeur d’Istanbul. Il prêta l’oreille. Près de lui, le silence était total. Rassuré, il ouvrit la portière arrière de la Fiat et souleva la banquette.

Un poste émetteur était encastré dessous. Doneshka tourna un bouton et l’appareil se mit à ronronner. Il le referma aussitôt. Dès que les hommes-grenouilles seraient revenus, il enverrait le signal au chalutier qui croisait en face, dans la mer Noire. Un innocent chalutier dont le moindre mousse était lieutenant du M.I. 5…

Il se détendit. Après tout, Beyazit était de service jusqu’à l’aube. Et si le sous-marin avait un retard important, il en serait quitte pour faire le mort, posé au fond de la mer Noire, jusqu’au lendemain soir.

La pensée que Beyazit puisse le trahir ne l’effleura même pas. Il savait que pour ce jeune groupe d’officiers fanatiques, il représentait à la fois de l’argent et des armes. Quel beau tour joué aux Américains ! D’une pierre deux coups. Pour tromper son impatience, il décida d’aller jusqu’à la barque, point de repère des hommes-grenouilles. Il ferma soigneusement la voiture et partit.

Il n’y avait personne au bord de l’eau. Mais, de là, il pouvait apercevoir les lumières du poste de surveillance où travaillait Beyazit.

La petite pièce où l’officier turc aurait dû se trouver seul était pleine de monde. Derrière lui, il y avait les deux gorilles de la sécurité. Malko était assis à côté, devant une tasse de café intacte. Plusieurs officiers turcs faisaient la navette entre la pièce et le reste du bâtiment.

L’amiral Cooper était dans un coin, devant un poste de radio à ondes courtes servi par un civil. Celui-ci commença à prendre des notes, puis tendit le papier à l’amiral.

— Ça y est, dit ce dernier. Ils ont intercepté les deux autres. Neutralisés. Ils sont partis au-devant du submersible.

Malko n’osa pas demander ce que voulait dire « neutralisé » par vingt mètres de fond.

Cooper se mordait les lèvres d’énervement.

— Si ça marche, c’est le plus beau coup qu’on aura jamais fait, S.A.S.

— Et nos types à nous, qu’est-ce qu’ils vont devenir ? interrogea Malko.

— Ils sont volontaires. Et, en principe, ils auront le temps de se retirer du tunnel. Sinon…

Cela jeta un froid.

— Vous entendez quelque chose ? demanda Cooper à Beyazit.

— Rien pour le moment. J’ai eu l’approche, puis le Sub a dû s’arrêter au fond pour attendre les « guides ». Cela ne devrait pas tarder.

— Pourvu qu’ils n’aient pas un code !

— C’est le seul risque. Mais de toute façon, c’est prévu. Nos hommes agiront en conséquence N’oubliez pas que nous sommes dans les eaux territoriales turques.

Beyazit leva la main.

— Attention ! Tous se turent.

— Il a remis son moteur en route. Il avance.

La tension devint intolérable. La moindre erreur pouvait se solder par une catastrophe. Et le Bosphore grouillait de monde cette nuit-là. En plus, des équipes spéciales chargées du travail proprement dit, il y avait dix groupes de snipers avec chacun deux hommes munis d’émetteur radio et de fusils infrarouges, disséminés de chaque côté du barrage. Au cas où il y aurait des survivants, ou si les Russes s’étaient méfiés.

Il avait été impossible d’arrêter le trafic maritime pour ne pas donner l’éveil, et un quelconque cargo pouvait arriver au mauvais moment.

— Il va s’engager sous le barrage, annonça Beyazit.

Ils étaient tous autour de lui car il était le seul à posséder des écouteurs. Les secondes passaient.

Et soudain, un grondement sourd fit trembler la pièce. Beyazit retira ses écouteurs. Cooper regardait intensément les aiguilles du tableau de contrôle qui sautaient dans les cadrans. Plusieurs bruits sourds se firent encore entendre, puis le silence retomba.

C’était – théoriquement – fini.

— Stoppez le trafic sur le Bosphore, ordonna le colonel turc. Annoncez à tous les navires qu’une mine du barrage est remontée à la surface et qu’il faudra quelques heures pour la récupérer.

Un Turc partit aussitôt.

— Vous voulez venir ? demanda Malko à Beyazit.

— Non.

Le Turc n’avait pas bougé depuis l’explosion. Machinalement, il prit la tasse de café froid posée devant lui et la but.

Tous les autres quittèrent la pièce.

La nuit était claire. En file indienne, ils s’engageaient dans le sentier menant au bord de l’eau. Avant d’arriver au Bosphore, ils se heurtèrent presque à une silhouette qui montait vers eux : c’était le capitaine March.

Il alla droit à Cooper.