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— Mais les habitants de la maison ? fit Lise horrifiée.

— On les a évacués cette nuit.

Rêveuse, la jeune Suédoise regardait le capitaine du cargo en conversation animée avec un capitaine turc qui demandait poliment si, en Russie, les tracteurs sont équipés de mitrailleuses lourdes.

Et, de toute façon, c’est très, très difficile de monter un tracteur rien qu’avec des pièces de mitrailleuses.

— Venez, conclut Malko. La représentation est terminée ! Il faut…

Il ne termina pas sa phrase.

— A plat ventre !

Lise le regarda avec des yeux ronds. Il y eut un curieux sifflement. Malko saisit la jeune fille par le bras et lui fit un croche-pied.

Les deux gorilles, docilement, se laissèrent tomber. Krisantem s’accroupit le long du parapet du pont.

Un autre sifflement fit bruisser l’air à l’endroit où était la tête de Malko une seconde plus tôt.

— Mais, bon Dieu, on nous tire dessus, gueula Brabeck. Instantanément, l’artillerie fut dehors. Brabeck avec un superbe Colt 45 magnum nickelé, Jones avec son Colt militaire et même Krisantem avec sa vieille pétoire.

Stupéfaite, la foule s’amassait autour du petit groupe. Imaginez cinq personnes se mettant à plat ventre place de l’Opéra, à midi… Les Turcs se demandaient si ce n’était pas une nouvelle secte religieuse en mal d’adeptes, lorsqu’une femme aperçut les revolvers. Elle poussa un cri perçant en désignant Brabeck du doigt.

Aussitôt, ce fut la débandade. Les badauds se regroupèrent dix mètres plus loin.

Un éclat de pierre sauta du pont derrière Jones. Il tira, instinctivement.

— Sur quoi tirez-vous ? cria Malko.

Brabeck ne répondit pas, confus. Il avait tiré comme ça, au jugé, vers le ciel. La situation commençait à devenir délicate. Les balles ne pouvaient venir que de la petite place avant le pont. Mais elle grouillait de monde. Il y avait des voitures en stationnement, les étals d’un petit marché, une foule de passants…

Ça pouvait venir aussi d’une des fenêtres des maisons bordant la place.

— On peut pas rester comme ça, fit Brabeck.

— Si on se lève on va se faire tirer comme des lapins, répliqua Malko.

Un autre sifflement, suivi d’un long miaulement. La balle avait ricoché sur le trottoir.

— Nom de Dieu de nom de Dieu, fit Jones.

— Couvrez Lise, ordonna Malko.

Pour ça, le gorille ne connaissait qu’une méthode qu’on lui avait apprise au F.B.I. Il rampa jusqu’à la jeune fille et se laissa tomber sur elle, la couvrant de son corps. Lise poussa un hurlement et se débattit, mais les 90 kg de l’Américain la clouaient solidement sur l’asphalte.

Elle aurait dû être flattée : c’était la protection réservée aux chefs d’État. Mais le choc lui avait un peu râpé le nez contre le trottoir, et le gorille était d’un lourd…

Mètre par mètre, les quatre hommes scrutaient la place. Le tueur était là. Et comme il utilisait certainement un silencieux, il pouvait les aligner à son aise.

Brabeck se redressa légèrement pour voir derrière une rangée de marchandes de quatre-saisons. Son chapeau s’envola de sa tête et il replongea précipitamment.

— Essayons de nous éloigner en rampant, proposa Malko. Autrement, on ne s’en sortira jamais.

Ils amorçaient leur reptation quand Jones gémit :

— Oh, c’est pas vrai !

Martial, moustachu et solennel, le flic du carrefour s’avançait vers eux en balançant une matraque.

— Qu’est-ce que vous foutez là ? cria-t-il. Levez-vous et partez.

— On tire sur nous, essaya d’expliquer Malko.

— Et vous vous foutez de moi en plus, gueula le moustachu.

Soudain, il aperçut les armes. Ça le cloua sur place. Mais il était courageux.

— Lâchez vos armes et levez-vous, ordonna-t-il.

Et il voulut prendre son revolver dans son étui. Le geste martial, il fit sauter la pression et se sentit tout bête : comme d’habitude, sa femme avait remplacé son pistolet réglementaire par une petite bouteille de thé. Parce qu’il avait la gorge fragile.

Il n’eut d’ailleurs pas le temps de s’appesantir sur le problème : avec un hurlement, il s’effondra à côté de Malko, une balle dans le tibia.

Sur le pont, c’était la panique. La circulation était complètement arrêtée des deux côtés. Beaucoup de gens étaient descendus de leur voiture et contemplaient à distance respectueuse l’étrange groupe de gisants.

Les piétons aussi avaient stoppé. L’opinion générale était que c’était un film ou de la publicité. Et on trouvait ça très drôle. Comme on n’entendait aucun coup de feu, personne ne pensait à un danger quelconque. Le numéro du flic fut trouvé très réaliste.

Les cinq, eux, commençaient à trouver le temps long. Lise surtout qui suffoquait sous les kilos disciplinés de Jones.

C’est Malko qui fit évoluer la situation. Depuis un moment, il « photographiait » la place de gauche à droite, enregistrant tout ce qui pouvait paraître suspect. Sa mémoire étonnante lui faisait apparaître chaque détail, d’un examen à l’autre.

— Il est dans la Fiat noire, dit-il soudain. Derrière le marchand de pastèques, juste à côté du tramway.

Il avait reconnu la Fiat noire qu’il n’avait vue qu’une fois, presque de nuit. Mais, d’où il était, il voyait la calandre légèrement enfoncée. Et, à travers l’étal du marchand de pastèques, il entrevit la silhouette d’un homme lisant son journal au volant. Le journal bougea un peu : une balle passa au-dessus de leurs têtes.

Jones et Brabeck avaient vu aussi, maintenant.

— On y va, fit Brabeck.

D’une détente puissante, il plongea jusqu’au milieu du pont, entre deux voitures arrêtées. Il était dans un angle mort. En deux enjambées, il gagna l’autre trottoir et commença à progresser vers la voiture noire.

Jones suspendit son 357 magnum entre ses dents par l’anneau de sa crosse et se souleva doucement au-dessus de Lise. À quatre pattes, il avança vers la tête du pont.

Krisantem le suivit. Lui aussi, il avait un compte à régler. Et un sérieux.

Les trois hommes arrivèrent ensemble à l’entrée de la place. Mais l’homme dans la voiture aperçut Brabeck. Il tira dans sa direction, très vite, trois fois, et sauta de la voiture. Par miracle, les trois projectiles se perdirent.

L’Américain n’osa pas riposter. A cette distance, il n’était pas sûr de le toucher. Et il y avait du monde autour.

L’homme s’enfuyait vers le haut de la place, se faufilant dans la foule dense du marché. Ses trois poursuivants avaient trente mètres de retard. Aucun n’osait tirer. C’était un coup à se faire lyncher.

Soudain, l’homme bifurqua. Durant deux secondes, il se détacha, seul, sur un mur.

Les trois armes partirent en même temps. Jones eut le temps de tirer quatre coups. L’homme chancela et reprit sa course pour disparaître dans une petite ruelle.

Prudemment, ses trois poursuivants s’avancèrent. Malko et Lise arrivaient en courant, essoufflés. Lise saignait du nez.

— Je crois que je l’ai touché, dit Krisantem. Il ne peut pas aller bien loin.

Tous les cinq, ils s’engagèrent dans la ruelle. À chaque porte, Krisantem questionnait. Personne n’avait vu entrer un étranger correspondant au signalement de Doneshka. Ils arrivèrent au bout de la ruelle. Elle était barrée par deux policiers turcs.

Eux non plus n’avaient vu personne. Et ils étaient là depuis une demi-heure…

— On ne peut pas laisser ce type en liberté, fit Jones. Il est armé, gonflé et capable de n’importe quoi. Il ne s’est quand même pas volatilisé.

— Fouillons tout, proposa Krisantem.

Ils reprirent la ruelle en sens inverse. Il y avait un petit café, tout de suite à gauche. Malko y jeta un coup d’œil et il le vit.