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Accoudé au comptoir, le dos à la porte, il avait l’air d’un consommateur ordinaire. Mais une grande tache brune s’élargissait dans son dos, à hauteur de l’omoplate droite. Il dut sentir le regard posé sur lui. Il se retourna lentement et son regard croisa celui de l’Autrichien.

Ses deux mains étaient posées sur le comptoir. Avant qu’il ait pu esquisser un geste, Jones et Brabeck étaient sur lui et le ceinturaient. Il poussa un cri de douleur et se laissa glisser à terre. Jones le fouilla. Le long pistolet noir était passé dans sa ceinture. Et sa chemise était pleine de sang.

— Il a une balle dans le dos, remarqua Jones.

L’autre ouvrit les yeux et murmura quelque chose. Malko se pencha sur lui.

— Quoi ?

— Je regrette de vous avoir raté… Mais…

Sa voix était imperceptible. Malko vit les muscles de ses mâchoires se contracter mais n’eut pas le temps d’intervenir. Le Russe eut un sursaut, ses yeux se révulsèrent et il ne bougea plus.

— Il s’est empoisonné, dit Malko. Il devait avoir une cartouche de cyanure dans une dent. Il n’a eu qu’à serrer un peu fort…

Les deux flics arrivaient. Malko leur expliqua. Ils acceptèrent de téléphoner à la Sûreté turque. Dix minutes plus tard, le colonel était là.

Mais on eut beau fouiller le Russe de fond en comble, on ne sut même pas son nom. Personne ne le réclama et le consulat russe, interrogé, déclara qu’il n’était pas un de ses ressortissants.

Malko s’était éclipsé avec Lise.

— Je vais soigner moi-même votre nez, proposa-t-il. Et je pourrai enfin vous faire la cour !

Elle rit et accepta. Ils allèrent directement à la chambre de Malko. Il s’effaça poliment pour laisser passer la jeune fille. Il entendit un cri étouffé et n’eut que le temps de s’écarter pour ne pas être piétiné. Lise avait fait volte-face. Elle s’arrêta pile et Malko reçut une gifle qui l’assomma à moitié.

Étourdi, il jeta un œil dans la chambre et soupira. Vêtue d’une guêpière noire, Leila dansait un cha-cha-cha devant une glace.

Chapitre XX

Depuis le début de la séance, S.A.S. Malko Linge n’avait pas desserré les dents. Ses yeux jaunes étaient presque verts. Une allusion de Jones à son prochain voyage en Autriche ne lui avait même pas arraché un sourire. Quelque chose, visiblement, n’allait pas.

C’était pourtant la grande fïesta chez le consul des États-Unis à Istanbul. S’il avait osé, il aurait invité son collègue russe. Pour lui faire la nique.

L’amiral Cooper était là dans un uniforme blanc flambant neuf. Les Turcs avaient délégué une poignée de colonels dont le chef des Services Spéciaux qui s’était occupé de l’affaire en liaison avec Malko. A l’entendre, les Turcs avaient démoli tout le système d’espionnage soviétique dans leur pays. Pourtant, on n’avait rien trouvé au domicile de Doneshka, pas plus que chez ses deux complices. Il y avait bien la Fiat 1100 équipée d’un émetteur-récepteur, mais c’était une radio de marque américaine.

Dans un coin les deux gorilles bavardaient gentiment avec Malko qui les pilotait dans les boutiques de souvenirs et les aidait à acheter des babouches brodées pour leurs girls-friends. Tout ce qu’on trouvait à Istanbul, avec des pipes en écume.

Malko écoutait avec agacement le bourdonnement du consul qui le félicitait de son doigté, de sa délicatesse et de sa diplomatie.

Il ne manquait vraiment que des petits fours.

Heureusement, la réunion tirait à sa fin. Malko avait réglé avec le consul les questions épineuses que soulevait le départ de Krisantem. Les Turcs ne demandaient pas mieux que de s’en débarrasser, mais les services d’immigration de Staten Island seraient tombés à la renverse si on leur avait montré son curriculum vitae. Le consul avait dû rédiger une chaude lettre de recommandation, jurant que le Turc était à son service depuis trois ans et méritait par son sens civique et son anticommunisme viscéral de devenir citoyen américain.

Avec ça…

Cooper s’approcha de Malko.

— Encore bravo, S.A.S. Je ne pense pas que nos amis recommencent jamais…

— Ils tenteront autre chose.

— Peut-être, mais vous leur avez porté un coup sévère. Malko cessa de jouer avec son dollar d’argent et planta ses yeux d’or dans ceux de l’officier.

— Puisque vous êtes si content de moi, Amiral, si je fais quelque chose de très mal, vous me couvrirez ?

L’amiral rit.

— De très mal ? Vous voulez enlever votre danseuse du ventre ?

— Non, c’est plus grave que ça.

L’autre se rembrunit.

— Vous parlez sérieusement ?

— Oui.

Heureusement leur conversation passait complètement inaperçue dans le brouhaha.

— Est-ce que ce n’est rien de… déshonorant ?

— Rien. Mais cela peut vous gêner.

— Tant pis ; dans ce cas, je vous couvre. Pour moi, vous êtes l’homme qui a vengé le Memphis.

— Je vous remercie, Amiral.

Malko s’inclina légèrement. Puis il se dirigea vers le colonel Liandhi qui bavardait avec le consul.

— Colonel, je voudrais vous parler. Il avait volontairement élevé la voix. Les conversations s’arrêtèrent. Flatté, l’officier turc se redressa et tira sur son dolman. Malko le regardait avec un air bizarre.

— Colonel, j’ai une commission pour vous. De quelqu’un qui ne peut la faire lui-même.

Un peu surpris Liandhi répondit :

— Mais, je vous en prie, mon cher, faites. Personne ne vit partir la main de Malko. Mais la gifle claqua sur la joue du Turc comme une serviette mouillée. La seconde imprima sur sa joue gauche la même marque rouge.

Il faut être juste, le colonel avait de bons réflexes. L’écho de la seconde gifle n’était pas mort qu’il avait le pistolet au poing. S’il avait été armé, Malko était mort.

Mais le geste du colonel ne s’acheva pas. Il resta bêtement, la main sur la culasse de son arme, photographié à bout portant par les Colts de Jones et de Brabeck qui, eux, étaient armés. Il leur avait fallu deux secondes pour traverser toute la pièce. De vrais missiles.

— On se le paie ? proposa aimablement Jones.

Il y eut du remous parmi les Turcs. Brabeck fit décrire un arc de cercle à son canon nickelé et annonça paisiblement :

— Le premier qui fait semblant de se gratter est mort. Dites sérieusement, ce sont des phrases qui calment. Le consul, par contre, frisait l’apoplexie. Il se précipita sur Malko.

— Vous êtes fou ! Cet officier, c’est un des meilleurs de l’armée turque.

— Peut-être, mais c’est une ordure. Le diplomate sursauta sous l’injure.

— Qu’est-ce qui vous permet de dire cela ? C’est un allié et un ami.

— Vous vous souvenez de Beyazit ?

— Le lieutenant traître ? Oui. Et alors ?

— Il avait un frère. Emprisonné et condamné à mort par le gouvernement actuel. Beyazit a accepté de nous aider à une condition : que l’on libère son frère. Le colonel Liandhi ici présent, en avait pris l’engagement. Moi, j’avais donné ma parole d’honneur.

— Eh bien, je suis sûr que le colonel a fait le nécessaire.

— D’une certaine façon, oui. Le frère de Beyazit a été fusillé ce matin.

Le diplomate pâlit. Le colonel, qui n’avait pas dit un mot, parla d’une voix étranglée :

— Je n’ai pas pu faire autrement… La sécurité du pays l’exigeait. Je réclame à ce monsieur des excuses immédiates ou j’en référerai à mon gouvernement.

À ce moment, l’amiral Cooper s’approcha.