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— Pour me dépanner. C’est entre lui et moi… Il se débrouillera pour la refourguer. C’est pour ça qu’il lui a fallu du temps ; pour trouver le pognon et commander les faux papiers.

— T’es sûr de lui ? Sûr qu’il ne va pas te trahir ? Révéler à Pelizzari où nous nous planquons ? Le prévenir que nous sommes de retour sur Marseille ?

— Non, assure Paul. Alex et moi, c’est pour la vie. Jamais il ne me vendra ! Il sait que je ne l’ai pas balancé quand on s’est fait choper par le Vieux… Il a une dette envers moi. Jamais il ne me trahira.

— Je l’espère.

— T’en fais pas pour ça. Dis, François… T’as dû visiter plein de pays toi, non ?

— Quelques-uns, reconnaît modestement François.

— Lequel t’as trouvé le plus beau ?

Davin prend le temps de réfléchir.

Des images, des endroits, des paroles. Un album entier de photos-souvenirs.

Le visage radieux de Florence.

Il hésite. Pourtant, la réponse est déjà sur ses lèvres.

— L’Inde.

— L’Inde, c’est vrai ?

— Oui… C’est le pays qui m’a le plus touché.

— Alors nous irons en Inde, conclut Paul en se mettant debout.

François le dévisage d’un air déconcerté.

— Je croyais que tu voulais découvrir les îles !

— Je te fais confiance. Si tu dis que l’Inde c’est beau, nous irons en Inde.

— Tu sais, Tahiti, c’est bien aussi !

— Je m’en doute. Mais j’irai plus tard. J’irai après…

— Après quoi ? demande François en souriant.

Il réalise alors que ça veut dire après toi. Après ta mort.

Son sourire s’estompe lentement. Paul s’en rend compte, il lui flanque une tape dans le dos.

— On y va ?

— Où ?

— Ben en Inde !

— Maintenant ?

— Oui, maintenant ! J’ai le fric, les faux passeports ! J’ai tout ce qu’il faut. J’aimerais juste qu’on fasse un détour… Je dois aller récupérer Marilena.

— En Roumanie ? Tu… tu vas t’y prendre comment ?

— J’en sais rien. S’il faut, je braquerai l’orphelinat ! Mais je te jure que je vais la sortir de là… Depuis le temps qu’elle m’attend.

François se lève à son tour et se cale face à la fenêtre.

Partir. À l’autre bout du monde. Avec ce gosse.

Non, avec ce tueur à gages.

Abandonner définitivement ce qui reste de sa vie.

Mais que reste-t-il de sa vie ?

— Ça va pas ? s’inquiète le gamin.

— Je sais pas…

— T’as peur de partir ? Y a quelqu’un qui va te manquer, ici ?

François cherche.

En vain.

Personne. Il n’y a plus personne. Plus rien.

Florence a disparu, ses parents aussi. Il n’a ni frère, ni sœur. Et n’a jamais eu de véritable ami. À part Paul.

— Et toi ? interroge Davin. Personne ne va te manquer ?

— Ben non, puisque je vais récupérer Marilena ! C’est la seule personne qui me manque… Tu sais… J’ai jamais cessé de penser à elle. Je lui ai écrit, quelques fois. Je lui ai promis qu’un jour, j’apparaîtrai derrière les grilles… Je lui ai même envoyé une photo de moi, pour qu’elle puisse me reconnaître lorsqu’elle me verra ! Et j’ai reçu des photos d’elle, en retour… Elle a dû changer, depuis ! Ça fait bien deux ans que j’ai pas eu de nouvelles photos.

François se remémore les paroles de la serveuse sur l’aire d’autoroute.

Faire le tour du monde. Profiter de ceux qui me sont chers.

Concilier les deux…

Je vais mourir dans les bras du Gange. Mourir dans les bras de Paul.

Ça semble soudain moins terrifiant. Pourtant, c’est la même fin.

Il songe à son père. Pourquoi n’étais-je pas là quand il est mort ? Pourquoi ne lui ai-je pas tenu la main au moment où… Parce que je n’ai pas voulu m’absenter trop longtemps du bureau. Parce qu’il aurait fallu prendre des jours et des jours de congé. Que j’aurais pris trop de retard dans mon boulot, que ça aurait contrarié les patrons pour qui je bossais.

Voilà pourquoi. C’est aussi cruel et cynique que ça.

Comment ai-je pu ? Comment ai-je pu être aussi salaud ? Comment ai-je pu faire ça à mon propre père ?

— Fais tes bagages ! lance Paul.

— J’ai pas de bagages, rappelle François en souriant. Toi non plus, d’ailleurs.

Tout juste rassembler quelques affaires éparpillées dans la chambre.

Partir les mains vides.

En quelques minutes, ils sont prêts. Ils abandonnent l’hôtel, descendent dans le parking souterrain où patiente la fidèle allemande. Mais au moment où François démarre, son portable sonne. Appelant inconnu. Il hésite et, finalement, décroche.

— Maître Davin ? demande une voix rauque.

— Oui ?

— Surtout, ne raccroche pas.

— Mais… qui est à l’appareil ?

— Paulo est à côté de toi ?

Son cœur entame une descente en rappel vertigineuse. Il met le haut-parleur.

— Oui, il est là.

— Il peut m’entendre ?

— Oui…

— Salut, mon garçon !

Paul a reconnu cette voix si familière. Celle qui donne les ordres. Celle qui a guidé cinq ans de sa vie.

La voix du dresseur.

La voix de Bruno Pelizzari.

— Écoute-moi bien, Paulo : on veut récupérer ce qui nous appartient… Alors on te propose un marché.

Paul arrache le téléphone des mains de son ami.

— Quel marché ? J’veux pas de marché. Va te faire foutre !

— Tu as tort de le prendre sur ce ton, mon garçon… J’ai en face de moi une charmante gamine, vraiment très jolie ! C’est fou comme elle te ressemble. C’est comment déjà, son petit nom ?… Marilena ! Oui, Marilena. Dis bonjour à ton frère, petite !

Les deux hommes retiennent leur respiration. Ils subissent de plein fouet les hurlements terrifiés d’une enfant.

— C’est rien ! ajoute Bruno en riant. C’est juste Enzo qui s’amuse avec elle… Tu m’écoutes toujours, Paulo ?

Paul n’a même pas la force de répondre. Son interlocuteur suppose que ça veut dire oui.

— Alors voilà ce que je te propose : un échange. La marchandise contre ta sœur. C’est honnête comme deal, non ?

Paul retrouve brusquement la parole.

— Si tu la touches, je te massacre ! hurle le jeune homme. Toi, ton frère, ton père et ta mère ! J’vous arrache les tripes !

— Du calme, Paulo… Du calme, mon garçon ! Si tu refuses de coopérer, on s’occupe d’elle et, crois-moi, tu ne la reconnaîtras pas… Tu n’as pas été raisonnable, mais je suis sûr que maintenant tu vas redevenir bien sage. Alors voilà le programme : toi et ton pote, vous allez reprendre le chemin de Lyon. Je ne sais pas où vous êtes en ce moment, et je m’en balance. Mais vous avez intérêt à vous magner ! Pour pas qu’on perde patience et qu’on calme nos nerfs sur ta frangine, tu piges ? Je vous rappelle en fin d’après-midi. Je te donnerai les instructions à ce moment-là… Bon voyage, Paulo.

Il raccroche, laissant Paul figé au milieu du désastre.

Non, ils n’ont pas abandonné. Seulement changé de stratégie, trouvé le moyen de faire plier leur adversaire. Le pire des coups bas.

Paul penche la tête en arrière, ferme les yeux.

— C’est pas vrai, murmure-t-il. Mais c’est pas vrai…

François, abasourdi, ne sait pas trop quoi dire. Alors il dit n’importe quoi.

— On devrait appeler la police !