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— Mauvaise idée.

— Pourquoi ?

— Parce que dans ce cas, ils vont torturer Marilena jusqu’à ce que je leur dise où tu es.

François baisse les yeux. Évidemment… Il reprend son chemin de ronde.

— Calme-toi, prie soudain Paul d’une voix autoritaire.

— Je ne peux pas !

— Eh bien force-toi !

— Comment veux-tu que je me calme ? s’emporte Davin.

— Tu t’assois et tu attends. Y a rien d’autre à faire, de toute façon…

— Et s’il n’appelle pas, hein ?

— Il appellera. Il veut récupérer le dossier et la came. Il est obligé d’appeler. Il peut pas faire autrement.

— Et si les flics te retrouvent ?

— Et si, et si ! Pourquoi veux-tu qu’ils me retrouvent ? Personne ne m’a vu, le parking était désert.

— Comment peux-tu en être aussi sûr ?

— Ça va, fais pas chier ! s’écrie le jeune homme. Je connais mon boulot !

Il y a des phrases à éviter. François a envie de mordre.

— Je te fais chier ? Mais je suis là pour toi, pour t’aider je te rappelle !

Paul se retourne enfin, Davin encaisse un regard dont la dureté lui file la chair de poule.

— Je ne t’ai pas demandé de m’aider, souligne-t-il posément. Et j’ai comme l’impression que tu perds ton sang-froid.

Le visage de François se crispe. Oui, il perd son sang-froid. Oui, il est mort de trouille.

Hier soir, il avait l’impression qu’il serait serein face à l’échéance fatale. Qu’il trouverait le courage de l’affronter.

Mais un sentiment chasse l’autre dans un moment aussi crucial. Tour à tour fort et lâche, inconscient et raisonnable. Il ne sait plus très bien qui il est, ni ce qu’il fait en compagnie de ce jeune meurtrier.

Capable d’abattre froidement un homme désarmé à bout portant.

Dans sa tête, un mélange inextricable, une confusion insupportable. Il rêve de calme, de choses bien claires, bien tranchées, bien rangées. Ce confort qu’il a connu durant des années, qu’il avait construit pour y trouver refuge, évitant les situations dangereuses, les troubles, les dilemmes et les questions. Cette routine qui l’énervait mais qu’il regrette amèrement aujourd’hui.

— Tu peux toujours changer d’avis, ajoute Paul en pivotant à nouveau vers la fenêtre. Je ne t’en voudrai pas. Tu peux prendre un peu d’argent et partir. À vrai dire, si c’est pour te voir dans cet état, je crois que j’aimerais mieux continuer sans toi.

Soudain, François enfile son blouson et rassemble ses affaires. Comme s’il attendait le signal. Il empoche les clefs de la BM, s’approche de Paul.

— Je m’en vais. Je te laisse le portable.

Paul se dirige vers le lit, sans même le regarder. Il saisit le sac planqué dessous, y récupère plusieurs liasses.

— Prends ça, dit-il. Y a vingt plaques.

— J’en veux pas !

— C’est… C’est pas pour toi, précise le jeune homme. C’est pour Marilena. Si jamais j’y reste, je voudrais que tu lui donnes ça… Enfin que tu donnes ça à son orphelinat.

— Parce que tu crois que si, par miracle, ils lui laissent la vie sauve, ils vont sagement la ramener dans son orphelinat ? Tu rêves, Petit !

Paul baisse les yeux à son tour.

— Si tu arrives à les décider de l’épargner, ces salauds la foutront sur le trottoir, et tu le sais.

— Elle sera toujours mieux sur le trottoir que dans un cercueil.

— Tu es sûr ?

— Quoi alors ? Je dois la laisser mourir ? Prends ce fric, François. Fais ça pour moi… Tu… Tu pourras toujours essayer de la retrouver… Sinon, donne-le à qui tu voudras.

François consent à emporter l’argent. Si ça peut le soulager.

— OK. Si c’est pas pour moi, j’accepte.

— Va-t’en, maintenant.

Paul retourne face à la fenêtre. Il ne veut pas voir François déserter. Il entend, seulement. La porte s’ouvrir, puis se refermer. Lourdement.

Avec l’impression qu’un poignard s’enfonce entre ses omoplates.

Et qu’une main assassine tourne le manche, plusieurs fois.

Solitude effrayante.

Il quitte enfin son poste d’observation pour s’étendre sur le lit défait. Cette fois, il sait qu’il ne s’en sortira pas. Comme si le départ de François marquait la fin de l’aventure. Comme si son père l’abandonnait une deuxième fois.

Seul, face à une mort annoncée. Déjà écrite.

Seul, face à ses victimes qui reviennent le hanter.

Seul, comme toujours.

Puis le téléphone sonne, tout son corps tressaille, tel un morceau de cristal qui menace de se briser.

Gloire et louange à toi, Satan, dans les hauteurs Du Ciel, où tu régnas, et dans les profondeurs De l’Enfer, où, vaincu, tu rêves en silence !
Les Fleurs du mal, CXX, « Les Litanies de Satan », prière

Chapitre 23

Tel un monstrueux reptile, le fleuve rampe dans les ténèbres.

Silencieux, noirâtre. Profond.

Une obscurité totale, épaisse, ricane aux vitres de la Ford.

Paul s’engage sur le pont de Vernaison. Au loin, s’élèvent sans grâce les cheminées géantes des raffineries, verrues implantées le long du Rhône.

Il vérifie à nouveau dans son rétroviseur. Quelques rares automobilistes s’aventurent dans ce coin qui effraie même la nuit ; mais pas de BMW en vue. Et ça lui fait mal, à Paul. De se savoir abandonné. Même si c’est lui qui l’a voulu.

Même si tout est sa faute.

Un échangeur l’emporte vers une départementale qui longe les voies ferrées.

Gare de triage de Sibelin. Paysage inquiétant, béton, acier et tôle mélangés sous une voûte électrifiée.

Il ralentit, scrutant autour de lui. Bientôt, il découvre le dépôt de marchandises de la société STL.

Le lieu du rendez-vous.

Sa tombe, sans doute. Sépulture sans la moindre épitaphe.

Deux voitures sont stationnées devant ; la Mercedes grise de Bruno, la Jaguar du Vieux. Il range la Ford entre les deux beautés mécaniques, coupe le moteur essoufflé. Une faible lumière se déverse de l’entrepôt.

Ça y est, Paul est au terminus.

Terminus de sa vie.

Mais, avant le grand plongeon, avant de rejoindre Satan, il reste à honorer l’ultime contrat.

Sauver Marilena.

Il récupère sur le siège passager le sac contenant l’argent de la drogue et, surtout, le dossier et le film sur les déchets toxiques.

Maintenant, il faut se jeter dans la gueule du loup. Il est finalement soulagé que François ait renoncé à le suivre dans cette infernale dimension.

Ne pas flancher, pas maintenant. Ne pas reculer face à l’ennemi. Ne pas craindre la mort.

Ce soir, c’est mon tour.

Ce soir, je vais mourir. Et ce n’est qu’un juste retour des choses.

Il inspire profondément, se dirige vers le hangar, chrétien rejoignant l’arène où rugissent les fauves affamés. Il entend un pas derrière lui, se retourne. Bruno braque un automatique dans sa direction. Enzo ne tarde pas à apparaître dans son sillage, sortant de l’ombre comme une bête féroce. Tandis que le frère aîné le tient en joue, le cadet le fouille méthodiquement, lui confisquant son sac et son Beretta qu’il met dans son pantalon, telle une prise de guerre.