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— Entre, ordonne Bruno.

Paul pousse la porte métallique, découvre un immense labyrinthe de piles de cartons et de caisses.

— Avance !

Ils marchent vers le fond du bâtiment, jusqu’à un local aux vitres poisseuses. À l’intérieur, Paul se campe face au Vieux, installé dans un fauteuil, derrière un bureau bancal. Il fixe son ancien esclave d’un air satisfait ; le gamin affronte sans sourciller les lumières brunes qui étincellent au milieu d’un visage usé par le temps comme l’eau creuse les falaises de calcaire.

— Alors, Paulo ? Te voilà revenu au point de départ, on dirait !

Il préfère ne pas répondre. À quoi bon ?

— Et ton pote ? interroge Bruno.

— Il s’est tiré… Où est ma sœur ?

— Charmante, la demoiselle ! ironise Gustave. Un vrai petit ange, tu sais !

— Où est-elle ?

— Où est ton pote l’avocat ? reprend Bruno.

— Il s’est tiré, je te dis ! répète Paul. Il m’a laissé en plan.

— Où est-il allé ?

— Comment veux-tu que je le sache ? Il va mourir, de toute manière. Ses jours sont comptés… Et il ne sait pas grand-chose.

— Ben voyons ! ricane Bruno. Donne-le, ça vaudra mieux pour toi…

— Il m’a pas laissé d’adresse ! Il est pas cinglé, il sait que vous le cherchez.

— On va lui mettre la main dessus, annonce Bruno.

— Je m’en doute, murmure Paul.

— Et où est ma marchandise ? demande Gustave.

— Là…

Bruno dépose le sac de sport devant son père. Il en extirpe le dossier qu’il vérifie rapidement. Les Pelizzari semblent ravis de voir revenir vers eux ces preuves encombrantes qui se sont trop longtemps baladées dans la nature. Et qui alimenteront bientôt un bon feu de cheminée.

Puis Bruno découvre la mallette pleine de billets. Passé l’étonnement, il foudroie Paul du regard.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— J’ai vendu la came, bien avant que tu m’appelles.

— Y a combien ?

— Un million.

— Tu plaisantes, j’espère !

— Non. Un million, répète Paul.

— Un million ? s’étrangle le Vieux.

— Ouais, cent briques, acquiesce Paul.

Bruno le plaque contre la cloison du bouge infâme. Les vitres menacent de s’écrouler.

— Tu te fous de notre gueule, en plus ? Tu sais combien devait nous rapporter cette dope ? Cent briques, c’est presque le prix qu’on l’a payée !

— Eh bien comme ça, vous rentrez au moins dans vos frais !

Bruno le maintient contre le mur, écrasant sa gorge avec l’avant-bras. Des rictus nerveux éperonnent son visage.

— Lâche-le, ordonne Gustave.

Le fils desserre son étreinte à contrecœur, Paul reprend sa respiration. Bruno met quelques secondes à recouvrer son flegme légendaire.

— C’était pas notre marché, Paulo, rappelle-t-il d’une voix sinistre.

— J’y peux rien. C’est tout ce que j’ai…

— Et tu penses que ça va nous suffire ?

— J’ai descendu le type ! Desrovières… Ça doit bien valoir quelque chose, non ?

Gustave allume un cigare, étend ses jambes rhumatisantes.

— Du beau boulot ! admet-il en souriant. Je vois que t’as pas perdu la main ! Dommage que t’aies voulu raccrocher… T’étais vraiment fait pour ça, mon garçon.

— Où est ma sœur ?

— On verra ça plus tard… Où est ma came ?

Paul réalise que c’est une chance d’avoir vendu la drogue. Il a encore de quoi marchander. De quoi gagner un peu de temps.

— Où est ma came ? répète le Vieux.

— Où est Marilena ?

Gustave soupire. Il sait que le Petit peut résister à tout. Aux coups, à la torture. Ça pourrait durer des heures. Or il a envie de rejoindre son lit douillet.

Il adresse un signe à Enzo, qui disparaît dans la gueule obscure et fétide du hangar. Paul l’entend passer un coup de fil. Puis il revient bien vite.

— Elle arrive.

Le cœur de Paul s’emballe. Elle arrive… Marilena arrive !

Dans un mutisme macabre, les quatre hommes attendent. Seulement quelques minutes. Dix, à tout casser. Paul est debout contre le mur, dans un angle, les bras derrière le dos. Le Vieux n’a pas quitté son fauteuil, Bruno s’est assis sur le bureau, Enzo sur une caisse. Droit d’aînesse oblige.

— Tu croyais que je ne savais pas pour ta frangine, hein ? balance soudain Gustave. Tu crois pouvoir me cacher des choses, Paulo ?

— Y a longtemps qu’on est au courant ! ajoute Bruno. On sait que tu lui envoyais un peu d’argent et des lettres… On a même trouvé une photo d’elle dans ton appart.

Paul se maudit en sourdine. Il a commis des erreurs impardonnables. Qui le conduisent là, aujourd’hui.

— Alors, on a envoyé une équipe dans ton pays de merde pour la récupérer. Et on a laissé deux types là-bas, des fois que tu te pointes à ton tour pour aller la chercher… Mais heureusement, ce con d’avocat s’est décidé à allumer son portable !

La porte de l’entrepôt grince, des pas fendent ce silence étouffant.

Marilena, encadrée par deux molosses.

Pour Paul, un choc.

Terrible.

Elle a tellement changé, tellement grandi ! Elle est devenue une jolie jeune fille, à présent. Beaucoup trop maigre, mais… Son visage respire encore l’enfance malheureuse. Paul l’aurait reconnue entre mille. Ses yeux, eux, sont toujours les mêmes. Deux grandes alcôves bleues, magnifiques et tendres.

Lorsqu’elle voit son frère, les traits de Marilena se détendent, son regard s’illumine. Elle se jette dans ses bras, en hurlant son prénom. Il la serre contre lui, la décolle du sol.

— Bunã Ziua, Marilena, murmure-t-il. Ce mai faci ?

— Bine… Dar sunt obositã !

— Mã bucur sã te vãd !

— Unde suntem ?

— Eh ! gueule Bruno. Parlez français, OK ?

— Je lui demandais si ça allait, explique Paul en la reposant par terre. Elle me dit qu’elle est fatiguée, me demande où elle est…

Il repousse gentiment sa sœur, récupère ses larmes sur son pouce.

— Ne t’inquiète pas, Marilena. Ça va aller…

— Bon, ça suffit ! décrète Gustave. Tu l’as vue, alors maintenant, sortez-la d’ici !

Les deux hommes de main veulent s’emparer de la gamine, Paul recule en la tenant derrière lui.

— Où vous l’emmenez ?

— À l’abri. Tu préfères qu’elle reste là pour assister à la suite, Paulo ?

Il renonce. Mais Marilena refuse de le lâcher.

— N’aie pas peur… Tout va bien, maintenant. Je viens te chercher bientôt.

Les chiens de garde l’emportent enfin. Le Vieux retourne à son obsession.

— Bon, t’as vu ta frangine ? Tu as pu constater qu’on ne l’a pas maltraitée ? Alors dis-moi où est ma came.

— Vendue, j’te dis ! Sinon, où j’aurais pris tout ce fric, hein ?

— À qui ?

— Je connais pas son nom. J’ai branché un dealer, il a contacté son patron. J’ai vendu aussi vite que je pouvais, au premier qui m’a fait une offre.

— Tu l’aurais pas plutôt fourguée à Alexandru, ta came ? soupçonne Bruno.

Le visage de Paul ne trahit rien.

— Je suis pas cinglé ! L’échange s’est passé à Montpellier. Mais le nom du mec, j’en sais foutrement rien !

— Tu veux que je rappelle mes hommes ? Qu’ils ramènent la petite ?