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— François, tu m’entends ?

— Oui.

— Je vais te sortir de là… Je vais te sauver !

— C’est trop tard, Petit… Je vais mourir.

François se raccroche à ce visage angélique. À ces yeux gris, tristes, noyés. À cette voix qui lui intime l’ordre de tenir.

De ne pas l’abandonner.

À cette voix qui hurle.

— Nu !

Enfin, il comprend ce que ce mot signifie. Non.

Puis il sombre, doucement. Rassuré.

Mission accomplie.

« Souviens-toi que le Temps est un joueur avide Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi. Le jour décroît ; la nuit augmente ; souviens-toi ! Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.
« Tantôt sonnera l’heure où le divin Hasard, Où l’auguste Vertu, ton épouse encor vierge, Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !), Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! »
Les Fleurs du mal, LXXXV, « L’Horloge »

Chapitre 25

Dix-huit jours.

Dans cet endroit sans âme, sans soleil, sans sourire. Sans aventure ni mésaventure.

Dans cet endroit vide.

François n’a pas d’affaires à rassembler. Il n’a plus rien, d’ailleurs. Juste les vêtements qu’il portait à l’usine, gracieusement lavés par l’hôpital. Ils ont presque réussi à enlever le sang qui les maculait, c’est déjà ça.

Il a encore du mal à bouger son épaule gauche et une douleur l’étreint à chaque fois qu’il inspire. Pourtant, le toubib n’a cessé de crier au miracle. La balle s’est logée au-dessus du cœur. Par chance, elle n’a touché ni les artères, ni la colonne.

Un miracle ? Encore un mauvais coup de la tumeur, plutôt ! Elle veut s’approprier ma mort, ne laissera rien lui voler la vedette ! Pas même une bastos de gros calibre…

En quittant la chambre, François ressent un violent vertige. Certainement parce qu’il ne s’alimente quasiment plus. Ils lui ont collé une perfusion, bien sûr, mais ont renoncé à le faire changer d’avis quant aux traitements anticancéreux. Têtu, le père Davin…

Hier soir, le chirurgien est passé. Vous êtes en état de sortir, Maître. Traduction : Puisque vous refusez notre science, allez mourir ailleurs, s’il vous plaît. Ici, ça ferait désordre.

François descend aux admissions. Même l’ascenseur pue.

Pendant dix-huit jours, il n’a fait que dormir, souffrir. Et penser à elle. À cette chose qui ronge méthodiquement son cerveau.

Je vais mourir.

Mais tu ne m’auras pas, salope. C’est moi qui vais décider où et quand. Et surtout, comment.

Les seuls bons moments, c’est lorsqu’il songe au Petit. Qui se dore déjà la pilule dans les îles.

J’espère qu’il pense à moi, de temps en temps… Comme on se remémore les bons souvenirs. Ou les conneries de jeunesse.

Il s’assoit face à l’employée. Il a encore son portefeuille, ses papiers, sa carte Vitale, quelques centaines de francs. Une existence légale.

Les flics l’ont cuisiné, bien sûr. Ils se sont acharnés, même. Revenant plusieurs fois à l’assaut.

Mais François ne leur a pas révélé grand-chose et les a dirigés vers diverses fausses pistes, les laissant patauger au milieu de l’impressionnante collection de cadavres. Au milieu de la mare de sang.

Il a juste raconté comment il a pris un gamin en stop, un soir aux abords de Lyon. Un jeune qui s’appelle Paul. Et que, de fil en aiguille, il l’a suivi jusque devant cette société d’import-export. Il a tout de même balancé le trafic de déchets toxiques orchestré par Pelizzari et ses fils. Il a parlé de l’assassinat de la journaliste, aussi. Mais sans preuve…

Les poulets ont fini par laisser tomber ce mourant qu’une tumeur fait délirer, sans doute. À moins qu’ils n’aient reçu l’ordre de ne pas fouiner plus avant dans cette macabre affaire.

Malgré tout, François est placé sous contrôle judiciaire. Un juge d’instruction devrait bientôt le convoquer. Il a même interdiction de quitter le territoire.

Quitter le territoire ? Mais c’est la vie, qu’il va quitter François. Il n’a pas encore décidé de quelle manière mais ce sera pour aujourd’hui.

C’est la seule chose dont il est sûr.

Se jeter du haut d’un immeuble, sous un train ou dans le Rhône. Se faire percuter par un trente-huit tonnes, se pendre dans une chambre d’hôtel, s’ouvrir les veines.

Les options ne manquent pas. Le plus tôt sera le mieux.

La jeune femme a enfin terminé sa besogne, elle lui rend ses papiers.

Bonne journée, monsieur Davin.

Ma dernière journée.

Il traverse le hall, les vitres s’écartent. Il s’arrête un instant pour respirer l’air vicié de Lyon. Il s’appuie contre un pilier. Ça tangue.

Il aurait dû sortir plus tôt, en finir plus tôt. À quoi bon se laisser soigner quand on va mourir ?

Il tente quelques pas, s’arrête encore.

S’il est resté si longtemps ici, s’il n’a pas signé de décharge pour sortir, s’il n’a pas sauté par la fenêtre, c’est parce qu’il espérait. Il l’espérait.

Qu’il vienne le voir, une dernière fois. Qu’il lui sourie. Qu’il vienne lui dire adieu, avant de partir.

Mais non, Pavel n’est pas venu. Il ne reviendra jamais.

Et il a raison.

Il n’est plus seul, maintenant. Il a retrouvé les vestiges de sa famille. Sa liberté, aussi. N’a aucune raison de faire marche arrière pour récupérer un piéton étalé au carrefour…

François a peur, parfois. Peur que les cousins italiens n’aient flairé la trace du gamin. Car ils doivent le traquer, à leur tour.

Non, Paul est trop débrouillard pour ça… Il est au soleil, déjà. Sur les plages de ses rêves !

Davin se remet en marche, direction la sortie. Direction la mort.

Avant, il a envie d’un café dans un bistrot, même pourri. Besoin d’entendre des voix, des rires, même gras. Voire le son d’une télé. Un soupçon de vie avant la mort.

Il marche vers le grand portail. Au milieu du défilé d’ambulances.

Soudain, une main se pose sur son épaule. Il sursaute, se retourne.

— Bonjour, Maître Davin.

François reste muet. Trop ému pour articuler la moindre syllabe. Ses lèvres tremblent. Le gamin le serre dans ses bras. Une étreinte puissante. De longues secondes pendant lesquelles François étouffe de bonheur.

— Ta voiture est dehors… Tu viens ?

Ils cheminent lentement, côte à côte. François n’a pas prononcé un mot, encore. Pourtant, tant de choses qu’il a envie de dire… Trop, sans doute.

Il vacille, sur le point de s’évanouir. Paul le soutient, étaye ce corps affaibli.

— On est presque arrivés… Tu te sens mal ?

— Tu es revenu pour moi ?

— Tu croyais vraiment que j’allais partir seul ?