La lune ne fait pas de zèle excessif dans son « manteau de nuages », comme l’eût écrit une dame du Fémina avec sa voilette et ses mitaines.
J’atteins l’embarcadère du grand chalet. M’en sers de débarcadère. Je constate que le hangar à bateaux est de forte dimension et qu’il jouxte la maison, aussi te parié-je une lune de miel à Venise contre une douzaine de figues de Barbarie non épluchées dans ta culotte, qu’une porte fait communiquer hangar et maison. Peut-être a-t-on négligé cette issue du point de vue alarme (j’ai l’alarme à l’œil !). Grâce à mon éternel sésame, je déponne le volet roulant du hangar. Dedans, je trouve un Riva Aquarama Special double moteur sous sa belle bâche bleue. Il est sur un berceau à roues qui permet de le mettre à la flotte ou de l’en retirer à l’aide d’un treuil électrique. Un escabeau est appuyé à la poupe de l’embarcation ; il doit servir à poser la housse de grosse toile, je suppose.
Comme deviné, il existe bel et bien une porte de communication pour accéder à la maison. Je l’inspecte minutieusement avec ma loupiote de fouille et finis par découvrir un petit trou en haut et à gauche du linteau, duquel sort un mince fil noir qui se perd dans le mur.
Me voilà marron ! Foncé !
Si j’ouvre la lourde, ça déclenche l’alerte générale, si je sectionne le fil, itou.
Perplexité du fin limier.
Comment vaincre cet obstacle ?
Rageur, je continue d’examiner les lieux et finis par observer une chose insolite. Il s’agit d’un trappon de fer fixé au ras du sol et qui doit servir, selon moi, à faire passer les tuyaux du fournisseur de mazout (j’ai un poil à ma zoute). Il mesure à peu près cinquante centimètres sur cinquante, ce qui constituerait une ouverture suffisante pour permettre au svelte San-Antonio de passer. Seulement, y a comme un hic : le panneau ferme de l’intérieur et avec un verrou très probablement. Rien de plus élémentaire qu’un verrou, mais rien de plus coriace. J’appuie sur la plaque métallique : elle bouge, car ses gonds ont du jeu. Je me dis qu’il me faudrait des outils. Je furète dans le hangar sans en dégauchir la queue d’un. Peut-être existe-t-il une trousse de dépannage dans le barlu ?
Toujours poussé vers de nouveaux Riva, j’escalade l’escabeau, dénoue les fixations de la bâche et me glisse dans la vedette (ce n’est pas la première vedette dans laquelle je pénètre). Je manque me briser deux ou trois jambes car les coussins-bain-de-soleil ont été retirés et le pont est ouvert en grand sur les moteurs.
Je relampe. Le compartiment sent l’huile. J’admire les arbres d’hélice dont les chromes brillent. Remarque, au-dessous d’eux, une sorte de compartiment de fer qui tient toute la largeur du Riva. Je n’ai pas d’explication sur son utilité. Ce container possède un couvercle coulissant que je m’empresse d’actionner. Le coffre a été étanchéifié à l’intérieur et il est rigoureusement vide.
J’abandonne ce léger mystère pour gagner le petit habitacle situé à la proue. Chiotte escamotable, réchaud incorporé, sièges modulables en couchettes, lavabo. C’est pas le confort, mais tu peux tirer une crampe quand le rafiot est à l’ancre, voire passer une mauvaise nuit à bord si tu as le sommeil solide.
Je déniche la boîte à outils de mes rêves. Elle recèle une théorie de tournevis ; j’empare le plus costaud. Me munis également d’une forte clé à molette et d’un marteau. De la sorte équipé, je retourne à la trappe (non pour m’y retirer, mais dans l’espoir de l’ouvrir).
J’engage la partie mince du tournevis du côté des gonds et frappe sur son manche avec le marteau. Je ne suis pas d’une nature bricoleuse, mais je possède de la jugeote.
La trappe de fer, bien qu’ayant une épaisseur confortable, s’écarte légèrement. J’enfile alors la clé à molette par l’ouverture pour maintenir l’écartement, puis retire le tournevis que je glisse alors côté verrou. Mon but est de faire coulisser ledit en arrière. Coton ! Tu sais combien de temps je mets pour avoir raison de cette sale bête ? Dis un chiffre ! Quel qu’il soit je dirai davantage ! Vingt minutes, mon frère ! C’est cela, la persévérance. A notre époque, l’homme qui en est dépourvu l’a dans le cul ! Et même pour l’avoir dans le cul, faut insister !
Je suis en nage (et en âge de me marier) quand le panneau s’écarte, mais quel triomphe ! Ma pugnacité exemplaire me vaut toute mon estime (et peut-être un peu de la tienne ?). Je me coule par l’ouverture et atterris dans un sous-sol aux murs carrelés comme ceux d’une buanderie. D’ailleurs c’en est une. Des machines à laver sont alignées contre les cloisons. J’en compte sept, ce qui me paraît beaucoup much pour une seule demeure, fût-elle vaste. On se croirait chez un marchand d’appareils ménagers.
Tu sais le flair exceptionnel de Lord San-Antonio ? (Si un gonzier mérite l’ordre de la Jarretière, c’est bien moi, non ?) Qu’est-ce qui me pousse à ouvrir la porte vitrée d’une des machines ? Tu sais pas ? Moi non plus, mais que veux-tu, c’est ça, le flair. A l’intérieur de l’appareil, se trouve une accumulation de petits sacs de toile. Je file un coup de tournevis dans l’un d’eux et, comme tu t’y attends déjà, une poudre blanche en coule. Ça a la consistance de la farine, la couleur de la farine mais ça n’est pas de la farine. Oui, mon pote : de la blanche ! Pur fruit. Si les sept machines à laver sont pleines, y en a là pour une fortune.
Compris : le Bergovici joli fait le trafic entre la France et l’Helvétie avec son beau Riva d’acajou. Il est plaisant, le plaisancier.
A présent que j’ai frappé à la bonne trappe, il s’agit de retrouver Toinet.
Le plus dangereux reste à faire !
A pas de loup-cervier (j’aime ce mot composé), je quitte la fausse buanderie pour longer un couloir blanchi à la chaux (de Pise). Je passe devant une cave à vin, puis devant un carnozet[7] d’où s’échappent encore des remugles fromagesques.
Je m’apprête à poursuivre ma route quand je perçois brusquement des sanglots.
Voilà qui est inattendu. Troublant, même.
Je tends l’oreille. Ce bruit triste provient d’un renfoncement de l’escalier au fond duquel s’ouvre une porte basse. Elle comporte des verrous, extérieurs cette fois, et que j’actionne délibérément. Une forte odeur de fauve m’agresse.
Les sanglots ont cessé. Le Célèbre[8] braque sa loupiote dans ce piège à rats nauséabond, et alors, le tonnerre me choirait sur la cabèche que je m’en ferais un chapeau !
Tu sais qui je découvre là ?
« Toinet ! » vas-tu t’écrier, en mec simpliste qui ne cherche jamais midi à quatorze heures.
Zob ! mon drôle.
Dans cette geôle d’infortune sans aération et qui mesure deux mètres sur deux au plus, se trouvent Alexandre-Benoît et son fils Apollon-Jules.
Ils sont dûment (et indûment) enchaînés, les malheureux.
C’est le petit poussah qui chiale. Il ne gueule pas car on leur à plaqué une bande de sparadrap large comme l’autoroute du Soleil sur le groin.
Je m’agenouille auprès d’eux pour les délivrer. De forts cadenas verrouillent les chaînes. Tu sais que j’en ai rien à secouer, aussi sont-ils libérés en moins de temps qu’il n’en faut à un horloger pour mettre son cul en montre.
— Fermez vos gueules quand j’aurai ôté vos bâillons ! recommandé-je, sinon ça chiera des bulles carrées.
Mais en ce qui concerne Apollon-Jules, autant prêcher une tortue de mer.
Dès que son museau est opérationnel, il se met à bieurler :
— J’ai faim ! Je veux une choucroute garnie avec beaucoup de lard gras et des pommes de terre !
7
Local généralement en sous-sol ou extérieur dans lequel, en Suisse, on fait raclettes et fondues en buvant du vin blanc, du kirsch, et en se racontant des witz (je ne garantis pas l’orthographe de ce mot qui signifie « blagues »).