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Un laps de temps évalué à une plombe s’écoule. J’ai laissé ma Pasha sur la table de chevet de ma piaule d’hôtel en partant en expédition et je suis malheureux sans heure ; heureusement que je possède la notion du temps. Il est rarissime que je me goure dans mes estimations.

Enfin, la lumière revient sur le perron et le couple réapparaît. Ils se séparent tout de suite et le motard regagne seul sa bécane.

Quand il a tiré la grille, après une caresse au vilain Médor, le voilà qui enfourche son monstre, puis le débéquille d’un coup de ventre en avant.

Démarreur !

Là, tu le sais déjà : zob ! Ça glaviote mais ne pétarade pas.

Le type réitère, et re-zob, zob, zob : nada !

Il se met alors à bricoler sa draisienne. Mais toujours ouatche ! (en anglais wouatch !).

Je sors alors de ma tire et m’approche du mec.

— Problème ? lui demandé-je.

Il se détourne pour m’affronter, toujours à cheval sur son bidet qui fait des pets.

Ma frime lui est inconnue, mais ma présence ici, et à cette heure de la noye, ne lui dit rien qui vaille. Aussi prend-il le sot parti de ne pas me répondre.

— Ce ne serait pas ce truc-là qui manquerait à votre coursier de feu, l’ami ?

Je lui présente ma main bien à plat, avec la bougie dérobée sur la paume.

Le robot pensant regarde et demeure silencieux autant qu’immobile. Sa visière teintée est relevée, malgré tout j’aperçois peu de son visage, sinon une moustache blonde, assez drue.

— Vous n’en voulez pas ? dis-je. O.K. !

Et je lance la bougie dans la propriété voisine de celle des Bergovici[9].

— Vous me cherchez ? enrage le motard.

Je m’offre la pauvreté en usage à l’école primaire, cours moyen première année :

— Non, je te trouve, mec. Ote ton casque qu’on fasse plus ample connaissance !

Il hésite, puis il a un geste lent pour dénouer sa mentonnière. Il soulève sa coupole noire avec accablement. Ensuite, l’ayant retirée, il exécute le mouvement que j’aurais accompli à sa place : il abat son casque sur mon dessus d’intelligence.

Du moins veut-il, car, je te l’ai dit : compte tenu du fait que j’en aurais fait autant, j’amorce à l’ultime instant la volte salvatrice. N’empêche que je dérouille au défaut de l’épaule et que ça m’électrise le bras gauche. Cette nuit est placée sous le signe de l’électricité, décidément.

Il se trouve légèrement déséquilibré, pas au point de chuter mais il est en position idéale pour morfler le formide coup de saton que je lui virgule dans les précieuses ridicules. Un qui encaisse un tel penalty dans le kangourou, crois-moi, il regrette de pas porter des slips de fonte. Le décasqué tombe à genoux d’abord, puis glisse sur le côté, les jambes en chien de fusil et se met à gémir vilainement.

— Excuse-moi, la motarde m’est montée au nez, lui fais-je ; je déteste les arnaques sournoises. Remets-toi, mon grand, ensuite tu répondras à mes questions.

Je dégaine son pistolet et le lui place sous les naseaux.

— Respire ! intimé-je, c’est mieux que du Guerlain. Une supposition que tu continues de jouer au con, je te fais sauter la cloison nasale. Tu reconnais le jouet, frisé ?

Car il est frisé (comme un mouton ou la chatte d’une négresse blonde). Beau gosse, bien bousculé. Il doit avoir des muscles partout où il en faut. Bronzette solaire ou U.V. ?

— Tu fais partie de la bande, toi aussi ? Tu travailles dans la blanche ?

Il continue de se tordre en gémissant.

Alors tu sais quoi ? Moi, homme de décision prompte, je sonne à la grille, déclenchant à nouveau le molosse aux dents blanches.

Scénar habituel. Lumière. La femme en robe de chambre sur le perron.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un accident ! lancé-je en transformant ma voix. Un homme à moto vient d’être percuté par une voiture.

— Oh ! mon Dieu !

Elle accourt. Ouvre la grille après avoir calmé le fauve.

Apercevant le mec à terre, elle se jette sur lui en clamant :

— Léo ! Léo ! comme une paonne appelant son paon, ou une conne son con.

— Poisson d’avril ! lui lancé-je alors en me relevant. L’accident se résume en un coup de pied dans les parties basses, ma chère hôtesse, qui ne devrait pas entraîner une impuissance définitive.

Elle m’identifie et bredouille :

— Encore vous !

— Bien qu’aimant les adverbes, je fais des réserves sur le mot « encore », souvent péjoratif, lui dis-je. Maintenant qu’on se connaît pour bien se pratiquer, vous savez qu’il est impératif de répondre à mes questions, la belle. C’est qui, ce nuiteux ?

— Mon amant.

— Compliment ; il est beau gosse. Dans un plumard avec juste sa montre-bracelet, il doit valoir le détour. Comme vous étiez dans un foutu marasme, vous lui avez téléphoné de venir vous consoler ?

— C’est juste.

— Il travaille avec votre fine équipe familiale ?

— Non, pas du tout.

— Que fait-il dans l’existence, en dehors de l’amour ?

— Il est médecin.

Je brandis l’étrange pistolet à crosse pliante :

— Et ça, c’est son stéthoscope ?

— Je ne sais pas.

— Je l’ai déniché dans sa trousse. Vous trouvez la chose logique ?

— Demandez-lui !

Je regarde le mec qui vient de se dresser sur un coude, preuve que sa burnoplastie est en bonne voie de guérison.

— Il paraît que je dois vous poser la question à vous, docteur ?

— J’ai un permis de port d’arme, dit le gars en haletant encore un peu. Je fais des visites de nuit dans une banlieue difficile d’Annemasse.

— Si on vous attaquait, vous auriez le temps, croyez-vous, de prendre votre trousse dans les fontes de la moto et de récupérer cette étrange seringue de Pravaz ?

— Une arme est une chose qu’on finit par oublier quand on exerce ma profession.

Je demande à la fille :

— Quel est votre prénom ?

— Esther.

— Comédie en 3 actes et en vers de Jean Racine, érudié-je inapropos. Dites-moi, Esther, le beau Léo est au courant des activités de votre famille ?

— Non.

— Quelles activités ? demande le médecin.

M’est avis que je viens de foutre une nouvelle fois la vérole dans l’existence de la dame Esther. Je ne suis pas la belle rencontre du mois que lui promettait la gentille Elizabeth Teissier dans ses horoscopes de Télé 7 Jours. Mais enfin, chacun sa merde, non ?

Je reste un moment à considérer le couple, en proie à des sentiments mitigés. Impossible de me forger une conviction précise. Je flotte dans des incertitudes brumeuses. Mais que puis-je faire pour sortir de ce marasme ?

Qu’est-ce que tu me dis, bouffi ?

D’aller me coucher ?

Très bien, j’y vais.

LA VÉRITÉ RENTRE

DANS LA BOUCHE DES ENFANTS

C’est en revenant de la salle de bains pour la première miction de la journée que j’aperçois le billet glissé sous ma porte. A en-tête de l’hôtel, il émane (céleste) de Bérurier.

Il dit :

Sana,

Vu qu’tu dors comm’ un poing fermé, j’sors faire un bout d’enquête av’c le môme. On se retrouvera sur les couilles d’midi pour jaffer. La bise.

Béru

Il est dix plombes of the morning et une ancillaire promène son aspirateur en laisse dans le couloir. Assez rude, la fille, car elle file des coups dans les lourdes comme si elle tenait à éveiller les clients qui en écrasent encore.

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9

J’ai appelé ces personnages Bergovici, mais au cas où il y aurait de vrais Bergovici que ça gênerait, je suis prêt à les rebaptiser autrement, même à les affubler d’un patronyme à la noix comme Durand, Dard ou Martin. Moi, les noms, je m’en tamponne le coquillard. Je les mets pour qualifier, mais je pourrais aussi bien numéroter mes héros. Ça donnerait :

— Pourquoi me regardes-tu comme ça ? demanda Un.

— Parce que je t’emmerde, répondit Douze.

Quatre, qui les écoutait, haussa les épaules.

Etc.