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— Je suis plus utile en singe, dit Tak. Je fais un excellent espion. Je suis bien meilleur qu’un chien. Je suis plus fort qu’un homme. Et qui peut distinguer un singe d’un autre ? Je garderai cette forme jusqu’au moment où l’on n’aura plus besoin de mes services bien particuliers.

— C’est fort louable. A-t-on d’autres nouvelles sur les déplacements de Nirriti ?

— Ses vaisseaux s’approchent davantage des grands ports que naguère, dit Tak. Ils semblent également être plus nombreux. À part cela, rien. Les dieux doivent le craindre, car ils ne le tuent pas.

— Sans doute, dit Kubera. Parce qu’à présent, il reste une inconnue. J’incline à penser qu’il est une des erreurs de Ganêça. C’est lui qui lui a permis de quitter le Ciel sans être inquiété, et d’emporter tout son matériel. Je crois que Ganêça voulait avoir sous la main un ennemi du Ciel, au cas où le besoin s’en ferait sentir brusquement. Il n’a jamais dû imaginer qu’un non-technicien comme lui saurait si bien utiliser le matériel et se créer une armée aussi forte.

— Ce que tu dis est logique, dit Ratri. Ganêça agit de temps en temps ainsi. Et que va-t-il faire à présent ?

— Laisser à Nirriti la première ville qu’il assiégera, pour étudier sa tactique offensive et évaluer ses forces. Cela, s’il peut retenir Brahma. Ensuite il frappera. S’attaquera à Nirriti. Il faut donc que Mahartha tombe, et nous-mêmes devrions aller là-bas, ne serait-ce que pour tout observer. Cela ne manquera pas d’intérêt.

— Mais vous croyez que nous ferons plus qu’observer ? demanda Tak.

— En effet, Sam doit savoir que nous sommes à sa disposition pour achever ce qui a déjà été mis en pièces, et ramasser les morceaux. Il nous faudra bouger en même temps que les autres. Bientôt, sans doute, Tak.

— Enfin ! dit Tak. J’ai toujours désiré combattre aux côtés de l’Enchanteur.

— Je suis sûr que dans les semaines à venir il y aura autant de désirs exaucés que de vœux contrariés.

— Un peu de soma ? Des fruits ?

— Non, merci, Ratri.

— Et toi, Tak ?

— Une banane, peut-être.

À l’ombre de la forêt, au sommet d’une haute colline, Brahma, assis comme la statue d’un dieu montée sur une gargouille, regardait Mahartha qui s’étendait à ses pieds.

— Ils profanent le temple.

— Oui, répondit Ganêça. Les sentiments du Mauvais n’ont pas changé au cours des années.

— C’est dommage et c’est aussi effrayant. Ses soldats ont des fusils et des armes blanches.

— Oui. Ils sont très forts. Regagnons la gondole.

— Dans un moment.

— Je crains, Seigneur, qu’ils ne soient trop forts, au point où nous en sommes.

— Que me conseilles-tu ?

— Ils ne peuvent remonter le fleuve sur leurs navires. S’ils voulaient attaquer Lananda, il leur faudrait débarquer et traverser une partie du pays.

— C’est vrai. À moins que Nirriti n’ait assez de vaisseaux aériens.

— Et s’ils voulaient attaquer Khaipour, il leur faudrait s’enfoncer encore plus dans les terres.

— En effet ! Et pour attaquer Kilbar aussi. Je te comprends jusque-là, mais où veux-tu en venir ?

— Plus ils s’enfoncent dans les terres, plus grand devient leur problème de logistique ; ils seront aussi de plus en plus vulnérables à la tactique de la guérilla.

— Me conseilles-tu de ne faire que les harceler ? De les laisser traverser le pays, prendre une ville après l’autre ? Mais ils vont se terrer jusqu’à ce que des renforts arrivent pour occuper le territoire conquis, et ils n’avanceront qu’ensuite. Seul un insensé agirait autrement. Si nous attendons…

— Regarde en bas.

— Quoi ?

— Ils se préparent à sortir de la ville.

— Impossible !

— Brahma, tu oublies que Nirriti est un fanatique, un fou. Il ne veut garder ni Mahartha, ni Lananda, ni Khaipour. Il veut détruire nos temples et nous tuer. Et dans ces villes, il ne se soucie que des âmes et non des corps. Il traversera le pays en détruisant tout symbole de notre religion qu’il rencontrera, jusqu’à ce que nous décidions d’aller nous battre. Si nous ne bougeons pas, il enverra probablement des missionnaires en pays conquis.

— Mais il nous faut faire quelque chose.

— Alors, il faut l’affaiblir au fur et à mesure de son avance. Et frapper quand il sera assez faible ! Donne-lui Lananda, et Khaipour si nécessaire et même Kilbar et Hamsa. Et écrase-le quand il sera suffisamment faible. Nous pouvons nous passer de ces villes. Combien en avons-nous détruit nous-mêmes ? Je suis sûr que tu ne saurais le dire !

— Trente-six, fit Brahma. Rentrons au Ciel et je réfléchirai à tout cela. Si je suis ton conseil et s’il se retire avant d’être trop affaibli, nous aurons perdu beaucoup.

— Je veux bien parier qu’il ne le fera pas.

— Ce n’est pas à toi à jeter les dés, Ganêça. C’est moi qui décide. Et regarde, ces maudits Rakashas sont avec lui ! Partons vite avant qu’ils ne nous découvrent.

— Oui, il vaut mieux !

Ils tournèrent leurs slézards vers la forêt.

Krishna posa sa flûte quand on lui amena le messager.

— Alors ?

— Mahartha est tombée.

Krishna se leva.

— Et Nirriti se prépare à marcher sur Lananda.

— Les dieux s’apprêtent-ils à la défendre ?

— Non. Ils n’ont rien fait.

— Viens avec moi. Les Lokapalas vont se réunir.

Krishna laissa sa flûte sur la table.

Ce soir-là, Sam se tint sur le plus haut balcon du palais de Ratri. La pluie tombait autour de lui, comme des clous glacés portés par le vent. À sa main gauche, un anneau de fer brillait avec un éclat d’émeraude.

Des éclairs zébraient sans cesse le ciel.

Il leva la main et le tonnerre gronda sans fin ; on eût dit les cris d’agonie de tous les dragons de l’univers.

La nuit recula quand les esprits élémentaires de feu vinrent devant le palais de Kama.

Sam leva ses deux mains jointes, et ils s’élevèrent dans les airs, unis en un seul, et planèrent dans l’obscurité.

Il fit un geste, et ils volèrent au-dessus de Khaipour, d’un bout de la ville à l’autre.

Puis ils tournoyèrent, se désunirent, et dansèrent avec l’orage.

Il baissa les mains.

Ils revinrent devant lui.

Il attendit, immobile.

Le temps de cent battements de cœur, il vint et lui parla dans la nuit.

— Qui es-tu, pour commander aux esclaves des Rakashas ?

— Va me chercher Taraka.

— Je n’obéis pas aux ordres des mortels.

— Alors regarde les flammes de mon être véritable, avant que je ne te lie au mât de ce drapeau pour aussi longtemps qu’il restera debout.

— Enchanteur ! Tu es vivant !

— Va me chercher Taraka.

— Oui, Siddharta, que ta volonté soit faite.

Sam frappa dans ses mains et les esprits élémentaires bondirent vers le ciel et la nuit de nouveau ne fut plus que ténèbres autour de lui.

Le seigneur du Puits d’Enfer prit une forme d’homme et entra dans la pièce où Sam était assis seul.

— La dernière fois où je t’ai vu, c’était le jour de la Grande Bataille, déclara-t-il. Par la suite, j’ai appris qu’ils avaient trouvé un moyen de te tuer.

— Comme tu vois, il n’en est rien.

— Comment es-tu revenu en ce monde ?

— Yama m’a rappelé. Celui qui est vêtu de rouge.

— Grand est son pouvoir en vérité.

— En tout cas, il s’est révélé suffisant. Comment vont les Rakashas ces temps-ci ?