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— Il me faut partir à présent. Merci. Merci de ta bénédiction.

Il se détourna vivement pour sortir de la pièce.

— Attends, dit Kubera. Tu as parlé de Yama. Où est-il ?

— Demandez-le à l’Auberge de l’Oiseau de Feu à Trois Têtes, dit Tak avant de sortir. Si vous avez vraiment besoin de le trouver. Il vaudrait peut-être mieux que vous attendiez qu’il vienne vous voir.

Et Tak partit.

Quand Sam arriva au palais de Kâma, il vit Tak qui descendait à la hâte l’escalier.

— Tak, bonjour ! lança-t-il, mais l’autre ne lui répondit qu’au moment où il arriva près de lui. Il s’arrêta brusquement, s’abrita les yeux, comme d’un soleil trop fort.

— Bonjour, Monsieur !

— Où vas-tu, Tak ? Es-tu si pressé ? Tu viens d’essayer ton nouveau corps et tu vas déjeuner ?

— Oui, Siddharta, fit Tak avec un petit rire. J’ai rendez-vous avec l’aventure.

— C’est ce qu’on m’a dit. J’ai parlé à Olvegg hier soir… Que tes voyages soient heureux.

— Je voulais vous dire que j’étais sûr de votre victoire. Je savais que vous trouveriez la bonne solution.

— Ce n’a pas été la bonne solution, mais une solution, tout simplement, et elle ne vaut pas grand-chose. Ce ne fut qu’une petite bataille, Tak, et ils auraient tout aussi bien réussi sans moi.

— Je parlais de tout ce qui s’est passé depuis le début. Vous avez joué un rôle dans tout ce qui a préparé cette victoire. Votre présence était nécessaire.

— Sans doute, sans doute. Il y a toujours quelque chose pour m’attirer près de l’arbre qui va être frappé par la foudre.

— Le destin, Monsieur.

— Plutôt d’accidentels sentiments humanitaires et quelques erreurs qui ont bien tourné.

— Qu’allez-vous faire à présent, Seigneur ?

— Je ne sais pas, Tak, je n’ai encore rien décidé.

— Voulez-vous venir avec Olvegg et moi courir le monde ? Et chercher l’Aventure ?

— Non, merci, je suis las. Je vais peut-être demander ton ancien poste et devenir Sam l’Archiviste.

— J’en doute, fit Tak en riant, je vous reverrai un jour, Seigneur. Pour l’instant, au revoir.

— Au revoir… Attends…

— Quoi ?

— Non… rien… un instant quelque chose en toi m’a rappelé quelqu’un que j’ai connu autrefois. Non… ce n’était rien. Bonne chance !

Il lui serra l’épaule et partit.

Tak s’éloigna en courant.

L’aubergiste dit à Kubera qu’ils avaient bien un client correspondant à cette description, au deuxième, la chambre sur la cour. Mais qu’il valait mieux peut-être ne pas le déranger.

Kubera grimpa au deuxième.

Personne ne répondit quand il frappa. Il essaya d’ouvrir la porte. Elle était fermée de l’intérieur. Il frappa à grands coups. Entendit enfin la voix de Yama.

— Qui est là ?

— Kubera.

— Va-t’en.

— Non. J’attendrais jusqu’à ce que tu ouvres.

— Un instant, alors.

Au bout d’un moment il entendit qu’on soulevait une barre. La porte s’entrouvrit.

— Tu ne sens pas l’alcool, alors il s’agit d’une fille.

— Non, dit Yama. Que veux-tu ?

— Voir ce qui ne va pas et t’aider si je le peux.

— Tu ne peux rien.

— Qu’en sais-tu ? Je suis un magicien moi aussi – mais d’une autre sorte que toi.

Yama réfléchit, puis ouvrit grand la porte.

— Entre.

La petite fille était assise par terre, entourée de divers objets. Elle avait à peine dépassé l’enfance et serrait contre elle un petit chien marron et blanc. Elle regarda Kubera avec de grands yeux effrayés, jusqu’à ce qu’il fît un geste. Alors, elle sourit.

— Kubera, dit Yama.

— Ko-bra, dit la petite fille.

— C’est ma fille, dit Yama. Elle s’appelle Murga.

— Je ne savais pas que tu avais une fille.

— Elle est arriérée. Le cerveau…

— Congénital, ou effet d’un transfert ?

— Transfert.

— Je comprends.

— C’est ma fille, Murga.

— Oui.

Yama s’agenouilla à côté d’elle et prit un cube.

— Cube, dit-il.

— Cube, répéta la petite.

— Cuiller, dit-il en lui tendant un autre objet.

— Cuiller, répéta-t-elle.

— Balle.

— Balle.

Il reprit alors le cube et le lui tendit.

— Balle, répéta-t-elle.

Yama laissa tomber l’objet.

— Aide-moi, Kubera.

— Oui, Yama. S’il y a un moyen, nous le trouverons.

Il s’assit à côté de lui et leva les mains.

La cuiller devint comme vivante, essence de ce qu’était une cuiller, le cube fut un cube vivant, la balle une entité vivante et la petite fille rit. Le petit chien lui-même semblait étudier les objets avec intérêt.

— Les Lokapalas ne sont jamais vaincus, dit Kubera. Et la petite fille prit le cube, le regarda longtemps avant de le nommer.

On sait que Varuna revint dans la Cité Céleste après la bataille de Khaipour. Le système des promotions dans les rangs du personnel céleste commença à décliner à peu près à la même époque. Les Maîtres du Karma furent remplacés par les Gardiens du Transfert, et leurs fonctions furent indépendantes des temples. On redécouvrit la bicyclette. On érigea sept sanctuaires bouddhistes. Le palais de Nirriti fut transformé moitié en musée, moitié en pavillon de Kâma. La fête d’Alundil continua d’être célébrée tous les ans, et ses danseurs sont sans rivaux. Le bosquet pourpre est toujours là, entretenu par les fidèles.

Kubera resta avec Ratri à Khaipour. Tak partit avec Olvegg dans le char de la foudre pour une destination inconnue. Vichnou régna sur le Ciel.

Ceux qui adressaient leurs prières aux sept Rishis les remercièrent de la bicyclette et de l’avatar opportun du Bouddha, qu’ils nommaient Maitreya, ou Seigneur de Lumière. Soit parce qu’il pouvait lancer des éclairs, soit parce qu’il se retint de le faire. Certains continuèrent à l’appeler Mahasamatman, et dirent qu’il était un dieu. Quant à lui, il préférait encore supprimer Maha-et atman de son nom et se fit toujours appeler Sam. Il ne prétendit jamais être un dieu. Mais, bien entendu, il n’affirma jamais le contraire. Les circonstances étant ce qu’elles étaient, admettre l’un ou l’autre n’eût été d’aucun profit. D’ailleurs, il ne resta pas assez longtemps avec son peuple pour justifier des jeux théologiques. On raconte plusieurs histoires contradictoires sur le jour et la façon dont il disparut.

La seule chose commune à toutes les légendes est qu’un grand oiseau rouge à la queue trois fois longue comme le corps, vint un jour à lui, au crépuscule, tandis qu’il se promenait à cheval sur le bord du fleuve.

Il quitta Khaipour le lendemain avant le lever du soleil et on ne le revit jamais plus.

Certains affirmèrent que l’arrivée de l’oiseau et son départ ne furent pas liés. Il n’y avait là qu’une coïncidence. Il partit pour chercher une paix anonyme sous la robe safran parce qu’il avait achevé la tâche pour laquelle il était revenu en ce monde et parce que, disent-ils, il était déjà las du bruit et de la renommée de sa victoire. L’oiseau lui rappela peut-être à quel point est éphémère l’éclat de ces choses-là. Ou peut-être ne fut-ce point nécessaire, s’il avait déjà pris sa décision.

D’autres disent qu’il ne reprit pas la robe jaune, mais que l’oiseau était un messager des Puissances de l’Au-delà qui le rappelaient à la paix du Nirvâna, pour connaître à jamais le Grand Repos, la béatitude éternelle, et pour entendre les étoiles chanter sur les rivages de la grande mer. On dit qu’il est au-delà du Pont des Dieux. On dit qu’il ne reviendra pas.