Pourquoi a-t-il accaparé ce coin de rémission, Lambrumé ? Cinq mille mètres de verdure oubliée par le diable, et hop, il se les goinfre pour y construire son clapier grand standinge, y creuser sa piscine…
Mais ! Attends, bouge pas, qu’aspers-je ? Une silhouette noire, luisante, traverse la propriété de Gildar Lambrumé. Dommage que je n’aie pas apporté les jumelles. Cette silhouette est, dirait-on, celle d’un individu portant un équipement de motocyclard. Il est coiffé d’un casque blanc, à heaume, traversé d’une large bande noire. Il sort de la propriété et je cesse de le voir. Un bref moment s’écoule. Une moto avec lui dessus fonce sur la route sinueuse qui serpente à travers la lande grise et mauve. Je redescends. Le yeut’nant, Béru et le vieux loup-garou de mer accumulent les objets qui jonchent le sol sur les lieux de l’explosion. Ils ont tendu une corde prise dans le canot pour interdire l’accès des lieux à la foule qui rapplique, sombre et psalmodiante comme une procession de pénitents espagnols. J’avise un grand jeune homme sur une Yokohama 350 à culbutage frénétique incorporé. Il est grand, blond et con à bouffer des huîtres sans les ouvrir.
— Dis donc, l’ami, je suis le commissaire de police, ça t’ennuierait de me reconduire à Ploumanac’h Vermoh ?
— Oh, oui, qu’il me dit, je viens juste de venir.
Sans tenir compte, je me mets à califourchon sur l’arrière du siège.
— Eh bien, comme ça, tu viendras juste de repartir, dis-je en le désarmant d’un clin d’œil. T’es un grand garçon, t’as le droit de vote, je te réquisitionne.
— Tourne à droite !
J’ai dû hurler pour me faire entendre malgré le grondement de son monstre nippon.
Il ralentit.
— Mais ça mène à la propriété du ministre ! objecte l’aimable adolescent.
— Justement, j’aimerais aller l’admirer de près.
Docile, il oblique sur le chemin secondaire qui se faufile entre les genêts non encore fleuris. Le ciel s’abaisse mochement, plein de laides boursouflures. On dirait le chapiteau d’un cirque qu’on se met à démonter. Cela produit des poches, de lourdes arabesques. Je remonte le col de mon veston. J’ai froid, tout à coup. Un intense besoin de soleil m’investit. Je donnerais vingt ans, dans une île grecque, n’importe laquelle, et y bouffer du fromage aigre en regardant le bleu et le blanc environnant.
— C’est là, fait le grand niais motorisé.
Je saute du siège. Il m’imite et cale son engin sur sa béquille. Une petite porte arrondie flanque la maison fermée. Elle est percée dans un long mur blanc aux pierres çà et là apparentes. Une simple poussée la fait s’ouvrir.
— Eh bé, elle n’a rien d’un château-fort, sa gentilhommière à votre ministre de mes deux ! remarqué-je.
Le crétin à monture japonaise rigole.
— C’te porte, jamais é ferme. Y a toujours quéqu’un à l’ouvrir.
— Ah bon ?
— Comme le ministre vient presque jamais, c’t’ici qu’on baise, les jeunes, dans la cabane de la piscine. Y a tout le confort.
— Quelqu’un s’occupe de l’entretien, je suppose ?
L’évocation du personnage auquel je m’intéresse le fait rigoler blanc.
— C’est sûr.
— Tu peux m’indiquer son nom ?
— C’est le barde Delar’r et sa bonne femme, l’Anaïs. Il s’occupe d’un tas de trucs dans le pays. Tout le monde lui confie des choses à faire, mais il les fait quand y lui tombe un œil.
— Alors, pourquoi s’adresse-t-on à lui ?
— Pour se mettre bien. Quand il est en pétard après quelqu’un, il va en chanter du mal par les rues.
Curieux racket. Faudra que j’aille saluer ce bonhomme, et lui filer un petit bouquet pour qu’il propage les mérites du nouveau commissaire.
En attendant, je pénètre dans le vallon heureux accaparé par Gildar Lambrumé, ministre pour assurer son standinge. Ministre de quoi ? Il ne m’en souvient. Un ministre, ça n’est plus qu’un sous-main, le mercredi, sur la grande table du Conseil à l’Élysée. Jadis, on savait leurs noms, les ministres, on les appelait Excellence ou j’sais pas. Ça effervesçait quand ils condescendaient quelque part. Ils disaient des blabla que la presse écrivait religieusement. Y en eut un, ministre des sports, qui inaugurant un stade, dit à un organisateur qui le priait d’attendre la course du cent mètres avant de se retirer : « Je veux bien assister au départ, mais je ne pourrai pas rester jusqu’à la fin ! ». Authentique, c’est consigné dans les annales. A présent, tu mates un gonzier à la téloche. Un présent-tentateur annonce qu’il est ministre de cecicela, puis se met à l’appeler Dunœud, ou Chemoldu. T’avais seulement jamais retapissé sa frite, avant. Et tu ne la reverras jamais. Lui il dit doctement que « compte tenu des données fondamentales du problème… » te cite quelques chiffres pas comprenables. Bref, trois petits tours de con et puis s’en va. Happé par l’oubli dès qu’il a mis le pied dehors, ce pauvret enfrileusé. Juste un instant, pour Antenne 2 ou consœur. Qu’on voye l’ô combien il est farouchement inexistant, l’apôtre. Ministre par inadvertance, au pied levé, le pied étant lui. Bleu croisé, cravate. Il est venu faire le pontife. Mais il n’est vraiment ministre que pour son armoire à glace. Là qu’il s’aime librement, s’appelle Monsieur le Ministre à la Quantité de la Vie, à la Conjonction de Coordination, de la Saleté Publique à la Condition féminine d’en sortir. Ministre des Démangeaisons. Secrétaire dans tous ses états, d’Etat. Et ta sœur ! Etat-frère. Et t’as le bonjour d’Alfred. Un caprice ! Ministre, c’est de la chirurgie esthétique politique. Ça sert juste à tirer la peau d’un gouvernement. C’est éphémérique. L’en réalité, gouverner ça dépend d’une pincée d’hommes, des qui se savent par cœur et qui usinent en secret. Et le ministère n’est que littérature !
Le barde Delar’r et sa mégère ne se cassent pas, question ménage. Dans l’appentis jouxtant la piscaille, on dénombre trois mille deux cent quatre-vingt-quatre préservatifs farcis, car la Bretonnette est pas encore sur orbite question de la pilule. Ça vient doucement dans les bocages et le long des grèves chateaubriennes. Quelques slips oubliés ont servi de chiftir à d’autres baisants. Y a du bouton nacré de-ci par-là.
Mézigue, je te causais d’indices, y a guère. Voilà que je tombe en arrêt de volée devant la pistoche. Elle est bordée de dalles de granit rose. A un certain endroit, quelques-unes de ces dalles sont mouillées, alors que le reste est sec.
Me faudrait un récipient.
Je retourne à la construction. Tu penses qu’il ne reste plus une goutte de rien du tout dans les boutanches d’apéro. Ç’a été sifflé depuis lulure, au grand mépris ministériel. Les découilleurs qui se redonnaient du tonus après leurs crampettes. Je déniche une bouteille de coca, je la rince au robinet de la douche, puis l’emplis avec l’eau de la piscine et la bouche de mon mieux à l’aide d’un tampon de papelard. La glisse dans ma poche intérieure de veste afin qu’elle reste droite.