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Je me lève comme je peux pour gagner la barre en réprimant les pires embardées.

— Hé, dites donc, Maumau.

Faut glapir pour se faire entendre par-dessus le mugissement des flots, ceux pires encore de Béru et du moteur.

— Oui ?

— Vous connaissez quelqu’un à Ploumanac’h, qui ait l’accent parisien ?

— L’accent parisien, c’est quoi ? il demande Maumau Bidick.

— Par exemple, un Parisien pour dire « C’est moi », dit « c’est mouâ ».

Le pilote se penche pour laisser déferler un nouveau paxif d’embruns à travers ma frime.

— Non, je vois pas. A part Tanguy Liauradéshome qui habite Paris depuis vingt ans…

Tango ! Toujours lui. Tango qui a cassé la gueule du commandant hier et qui serait allé le tirer des toiles sur le coup de minuit. Tu trouves ça logique, técolle ?

Tu t’en fous, hein ?

— Nom de Dieu ! hurle soudain Maumau Bidick. Regardez ce que vous me faites faire avec vos conneries !

Je regarde.

Je vois rien, parce que je vois trop. A moins de cent mètres (j’sais pas comment on dit ça en langage maritime) se dresse une formidable masse noire. Elle se dégage de la brume, de l’écume, de l’incessante barrière d’eau toujours dressée, toujours écroulée et debout de nouveau. Un barlu. Formide, kolossal ! On s’y précipite. Le Maumau file toute la barre à droite. Il engage à bloc les manettes de gaz. Mais on vire molo, trop dans le sirop. La masse se précipite à notre rencontre.

Le barde avait raison, les gars : l’Apocalypse est commencée.

CHAPITR SEPT

JEANNETON PRIT SA FAUCILLE… LA RIRETTE, LA RIRETTE

— Sautons ! crie Le Guennec.

— Ça passe ! rectifie Maumau Bidick.

On aurait voulu sauter, on se serait fait torchonner de première. Là, on est soulevés de mer et portés à des zéniths : le remous du navire qui nous a captés et nous valdingue. Tout autre que notre pilote n’aurait rien pu faire. Lui, si. Parce que Maumau, c’est l’as des as, le suprême, le king. Il a un self-contrôle fantastique. Les manœuvres qu’il procède, impossible de te les décomposer, car mézigue je n’ai que le permis A. Mais c’est du tout grand art. De la maestria, si tu veux qu’on sorte des termes adéquats et concomitants. Je sais qu’à une seconde donnée, il a foutu au point mort. Je me rappelle ensuite d’un saut vertigineux dans le fluide. Puis d’un rush formide de son barlu. Et la masse sombre a paru s’écarter de nous autres, nous livrer passage. Et on s’est retrouvé aux prises avec l’océan houleux. On a pris du champ, considéré la masse effroyable de ce gigantesque pétrolier gris sombre. Un drapeau rouge à sa poupe. Le drapeau soviétique, frappé de la faucille et du marteau, en jaune doré. Des matafs s’affairaient sur le pont infini. Ils ne nous prêtaient pas la moindre attention.

La brume se faisait de plus en plus épaisse.

On est restés un moment la bouche cousue, à se récupérer les pensées, à se décoincer l’anus brusquement soudé par la trouillance. Y avait que Maumau qui chantonnait comme à une partie de pêche.

— Eh ben, mon vieux, a résumé le sagace Bérurier.

On n’a rien ajouté de plus. On ne trouvait pas, n’en éprouvions pas le besoin.

Simplement, notre pilote a déclaré :

— M’étonnerait qu’on puisse rentrer ce soir si la brume continue de s’épaissir pareillement. Il faudra coucher à Nichemar’h.

On était prêts à pieuter n’importe où ; tu parles !

L’île de Nichemar’h, seules les cartes détaillées en causent, vu qu’elle ne mesure qu’un kilomètre et demi de long sur un de large. Elle est particulièrement verdoyante, à cause du cousin germain du Gulf Stream qui passe à moins de vingt-cinq centimètres de ses côtes. L’on y élève les meilleures vaches laitières du monde et de ses dominions. Y pousse un arbre unique en son genre : le tintouin, au bois légèrement ambré, célèbre pour sa résonance harmonieuse. Il sert à confectionner des castagnettes. La plupart des gens s’imaginent que les castagnettes sont fabriquées en Espagne. Quelle erreur. Celles qu’on vend aux touristes-conkodaks sans doute, mais les castagnettes de concert proviennent toutes de Nichemar’h. La troisième ressource (thermale) de l’île réside dans l’élevage de la langouste à pinces que les Danois appellent humer, variété des plus rares, à la carapace bleutée.

C’est donc dire que l’îlette de Nichemar’h est prospère. Grâce à son beurre, à ses castagnettes et à ses langoustes à pinces, elle peut se permettre d’avoir un maire chiraquien et un caré lefèvrien, plus les trois chaînes couleur et une piscine chauffée.

L’unique port de l’île est enchanteur, voilà, le mot est lâché.

Protégé par une baie naturelle, il est bordé de ravissantes maisons blanches, aux volets bleus et aux toits d’ardoise. Tu te croirais ailleurs. C’est au point qu’en abordant, on se demande ce qu’on vient faire ici.

L’île comporte cent vingt-deux habitants et demi (il s’y trouve un homme rendu tronc par un treuil malencontreux — la mer rit de mon treuil).

Quelques coquets magasins : Céline, Cartier, Dior, Saint-Laurent, fermés en cette basse saison, plus une épicerie-buvette. C’est à icelle que nous nous rendons, toute affaire cessante, aussitôt qu’amarrés à une bitte grosse commak.

La tenancière est une dame âgée, avec les cheveux teints en bleuclématite, et une couche de fards plus épaisse que le crépi de son établissement. C’est la vieille bourlingueuse en retraite, pompeuse de matafs à Amsterdam, virago de bar à Abidjan, épongeuse d’épaves à Sydney, repue, fanée, battue, échappée de véroles exotiques, qui eut des amants meurtriers, qui se voûta dans les cyclones, et puis revint d’où elle était partie, revint pour s’y regarder mourir en buvant le dernier, l’avant-dernier, l’antépénultième et les autres à la santé de son cul hors d’usage et de ceux qui s’y fourvoyèrent un instant. Revint pour contempler sa terre d’accueil, près de l’église, là où son père, sa mère l’attendaient peinardos de tous leurs os apitoyés.

La chère brave femme, la chère vieille vieille, tout embourrasquée encore, et moisissante déjà dans ses remugles de foutre mal torché, chère chérie d’hommes, à tout jamais coquette, à toujours salope. O salope à user les instants ! O digne salope ! O sainte salope que nous devons vénérer, et louer, et sanctifier de notre respect. Salopissime dame, ma gentille, ma petite fille mal guérie ; donne à boire pêle-mêle le rhum et ton passé.

Je lui ris de tout mon être, un grand rire frère-z’humain, qu’elle reçoit, et comprend, et qui la rend heureuse l’espace de mes trente-deux dents, montrées et ravalées.

La voici en plein été. Elle se regarde. Elle me rit aussi, de ses trente-deux dents qu’elle dépose pieusement, le soir venu, dans le verre où l’on mettra à tremper un jour le rameau de buis chargé d’embénir sa dépouille.

— D’où vous v’nez, les gars, par ce temps de merde ?

— Ben, du continent, répond Maumau Bidick qu’elle connaît bien, mais elle avait besoin qu’on lui confirme.

— T’as des chambres, j’espère, Trutrude ?

— Faudra vous tasser, les gars, je mettrai des matelas par terre car l’une des trois que je possède est occupée pour une girle-scout.

Elle est joyce d’avoir du monde. Elle a la voix embrumée par l’alcool et le tabac. La voici qui allume une cigarette d’un geste voyou.

— Vous bouffez ici ?

Bérurier, passionné par la question, s’approche vivement.

— Vous auriez-t-il les moiliens d’nous faire une omelette aux œufs, dans vot’ gourbi, la mère ?

Elle se marre.