Выбрать главу

— La vieille était là ?

— C’est elle qui me confectionnait les sandwichs.

— Et son assistant, le demeuré ?

— Aussi, il soutirait du vin dans des petites bouteilles.

— Donc ni l’un ni l’autre n’a pu te piquer l’enveloppe ?

— Non.

— La perte de cette enveloppe n’est pas grave, dit Le Guennec. Puisque vous connaissez le correspondant de votre ami (il montre Pinuche au sol), vous n’avez qu’à lui demander des instructions !

Il tapote le poste émetteur.

Et il n’aurait pas dû.

Alors là, pour ne pas devoir, il n’aurait franchement pas dû, l’officier de police Le Guennec, fonctionnaire consciencieux, bien noté, ombrageux de caractère, certes, mais ne marchandant point sa peine. Père de plusieurs enfants dûment conçus le samedi soir. Propriétaire d’une Renault 14, d’un F4 avec réfrigérateur et télé couleurs, d’un livret de caisse d’Ecureuil garni du maximum autorisé, d’un appareil photographique Nikon. Marié à une dame croulante d’avoir mal maternisé ; breton depuis peu après la formation du Massif Armoricain.

Ah ! là là ce qu’il n’aurait pas dû !

Car le fait de tapoter ce poste déclenche tout un processus (et non pas procès-suce comme d’aucuns se figurent — de con) dont voici les grandes périodes.

Primo, une forte détonation se produit qui brise les vitres, meurtrit nos tympans et disloque l’appareil. Secundo, des éclats de j’sais-pas-quoi fouettent à toute volée le bénouze du policier à l’hauteur de la braguette. Le Guennec se met à hurler comme : un beau diable, un putois, à la lune, avec les loups, à la mort, le vent, des freins mal réglés. Tertio, le brave collègue dénoue presto sa ceinture, tombe son futal, et on exclame d’horreur en voyant son slip rouge de sang. Haché, brûlé, en lambeaux. Fiévreusement, il s’en défait.

Quelle vision dantesque, et même dantonesque, bien que ce soit la tronche qu’on ait sectionnée à Danton. Tout dans les couilles, Majesté ! Ça confiture mochement sous sa jauge à chaglatte, Le Guennec ! Un magma de misère. Une de ses burnes pendouille au bout d’un long filament, pareille à un yoyo à bout de course.

— Je t’en prille, Le Guennec, gronde Bérurier, d’vant une jeune fille, déballer ta panoplie, j’sus pas d’accord. C’est pas parce qu’t’endolores des siamoises qu’y faut chiquer les guesibitionisses ; ou alors va aux gogues t’remett’ de l’ordre dans les éprouvettes.

Mais notre cher collègue n’est pas conditionné pour une leçon de morale.

— Mes couilles, mes couilles ! il sanglote.

— Et alors, tes couilles ! tonne Béru, d’abord, fais-moi l’plaisir d’pas employer l’futur vu qu’y t’en manque une et que l’aut’ j’te l’échangerais pas cont’un paquet d’Ariel. Marie-Marie, tu voudrerais bien m’faire l’plaisir d’te retourner, que c’est pas un spectac’ pour une jeune fille d’ton éducance.

Le maire décide qu’il faut ranimer le toubib coûte que coûte et s’active, armé d’un seau d’eau et d’un torchon. On étend Le Guennec sur le plancher. C’est le vrai boulevard des allongés, cette carrée. L’hosto de campagne. On joue « Verdun terre brûlée », ce soir, dans l’île de Nichemar’h…

Tout se complique. A mesure qu’on avance, le sol cède sous nos pinceaux, mes camarades. Ça canne, ça saute, ça tempête. Cette île, c’est mon Saint-Hélène.

— Viens avec moi, Maumau.

— Où ça ?

— Ailleurs.

Il n’ergote pas, boutonne sa vareuse délavée, me file le train.

— J’y vais aussi, décide Marie-Marie.

— Non, la môme, toi tu restes à surveiller les blessés et aider le docteur à se dessoûler ! aboie le Molosse.

La musaraigne secoue la tête.

— Il me fatigue, ce sac à oncle, dit-elle : il s’imagine toujours que j’ai huit piges !

Et elle nous rejoint dans la tourmente.

CHAPITRECHA ONZE

L’ÉPOPÉE

Elle est en limouille de noye, la mère Trutrude. Vaporeuse, dans les rose saumon ; parée pour la manœuvre, comme si un noctambule blasé était susceptible de se pointer pour la calcer au saut du lit, la grand-mère pipeuse. Les radasses détellent jamais complètement. Elles s’accrochent à des galanteries de leur haute saison, quand elles soutiraient à pleins seaux les matous en chaleur. Ses cheveux bleus moussent, nimbant sa old tronche de lady des bordels.

— Pardon de vous réveiller, jeté-je.

— Je ne dormais pas, je vous attendais ; tiens, la petite est avec vous, je l’ai entendue se lever et je me demandais où elle pouvait bien aller…

Elle sourit pincé, ayant omis d’enfourner son râtelier. Sa bouche écarlate, toute plissée, ressemble à un coquelicot fané.

— Vous êtes tout trempés, les gars. Je vous prépare un grog ou un vin chaud ?

Maumau répond qu’un grog lui conviendrait au poil. Notre hôtesse biche en geignant une casserole cabossée sous son bar, allume un réchaud Butagaz. Elle est toute joyce de nous. N’a pas sommeil. Les vieilles n’ont jamais sommeil. Ou alors ça les prend peu avant de mourir, comme une langueur de printemps, une grande mollesse abandonnante. Elles se mettent à roupiller à fond, pour s’essayer à la mort. Et elles comprennent que ça ira, et alors elles meurent sans encombre.

— Trutrude, lui dis-je, je suis dans la béchamel jusqu’au menton, et elle fait des grumeaux, et elle est tiédasse, pouâh !

Elle me mate un coup, tout en laissant dégueuler son flacon de rhum dans sa casserole.

— Eh ben, mon fils, change-toi les idées : t’as une mignonne souris sous la main.

Je cueille Marie-Marie par la taille. Sa hanche est frémissante, avec une chaleur de lit.

— Merci du conseil, dis-je, mais avant de songer au bonheur, il faut liquider le turbin. Vous pouvez m’aider, Trutrude, et c’est parce que j’en ai le sentiment que je vous ai fait lever.

Elle rigole, canaille :

— T’aider, ça dépend à quoi fiche, garnement. Il fut un temps, je t’aurais fait oublier jusqu’à ta date de naissance. Mais je ne suis pas plus appétissante, à présent, que la poubelle que je traîne sur le pas de ma porte le matin.

Je la laisse déguster ses sous-entendus fripons puisque c’est tout ce qui lui reste. J’en rajoute en lui assurant qu’elle est encore rudement sexy et que des nières de son gabarit ne sont jamais bonnes pour la casse.

— Vous pouvez m’aider à piger quelque chose qui m’échappe, Trude, et à alpaguer quelqu’un qui m’échappe plus encore que le quelque chose. Pour tout vous dire, il se trouve à Nichemar’h, au moment où nous parlons, un ou plusieurs loustics capables de tout et en particulier du pire. Des gens qui ne sont pas vus, qui surveillent toutes les allées et venues, tous les faits et gestes et qui frappent à leur convenance lorsqu’ils le jugent opportun.

Bien dit, non ? Tu croirais lire un chapitre de « Fantômas ». Manque même pas le bruitage sinistre de la tempête qui fait « hou haou ou » dans tous les orifices qui se présentent.

— C’est pas marrant, mon gars, conclut-elle. Cela dit, je ne vois guère comment je pourrais l’aider à découvrir tes loustics.

— Par votre jugeote, ma Trutrude. Ici, vous êtes la vigie, pour ainsi dire. Vous voyez tout et tout le monde. Votre estaminet est le cœur du pays. Tout se passe entre ces quatre murs. Ce que vous ne voyez pas, vous pouvez le deviner, grâce à votre intelligence et à votre psychologie. Le problème est le suivant : comment des gens venus d’ailleurs peuvent-ils se planquer et tout voir ? Car, fatalement, ces gens ne sont point des natifs d’ici. La population de l’île est paisible. A l’extrême rigueur, on pourrait admettre une complicité, mais les actions de commando sont le fait d’autres gens.