La cloche de nouveau sollicitée file sa branlée tocsine dans les grondements hideux de la tempête.
Je ne lui réponds pas. Je joue ma vie sur une impression de flic : celle qu’il n’y avait que deux arcans là-haut.
Je m’élève aussi rapidos que mes biscotos me le permettent. Pas commode à cause du constant frémissement de la corde terminée par une cloche en délirade, que mon escalade paraît chatouiller, et qui se trémousse éperdument.
Mais je progresse pourtant, galvanisé par un impétueux besoin d’en finir, et de triompher. De faire la lumière sur ces confus événements, combien troublants et déconneurs.
Je sue, je tremble de fatigue.
Mais parviens à bout d’ascension.
Un balancement pour me permettre d’atteindre le plancher et zou, me voici arrivé. Quel chahut ! L’enfer sonore ! La tempête hurle et les cloches bourdonnent. On ne sait plus où l’on est, ni comment on va empêcher ses oreilles de saigner. Je repère et avise une lampe à glomifuge bousmuré, c’est-à-dire qu’elle répand une clarté invisible à partir de trois mètres de sa source. Dans sa zone de rayonnement l’on y voit comme en plein jour, mais au-delà de sa limite d’indice fonctionnel à périphase latente, l’obscurité se reforme. Dans le territoire d’éclairement, sont rassemblés des instruments d’optique extrêmement chiadés ; lunette à infra-rouge thermo bédolé, viseur d’obtupération concave filandrosique à sermique cavilloné, petafineur d’extrême justesse modulé, et, le fin des fins de la technicité allemande, prix Nobel du bricolage au Bazar de l’Hôtel de Ville : un bourratoire mémorable inversé, grâce auquel, par nuit noire, tu peux mater tout l’horizon comme en plein soleil. Je rive mon œil aux viseurs : un vrai régal. L’île entière m’est offerte. Et il suffit que j’actionne un clitougnard de réglage pour grossir tel ou tel détail, le rendre présent au point de remarquer des comédons sur la frime de gens évoluant à des centaines de mètres de là.
Donc, ici se trouvait bien le P.C. des gens qui ont neutralisé Pinuche.
L’ayant constaté, je m’apprête à redescendre lorsqu’un très léger bruissement me parvient au cours d’une accalmie de tempête. Cela ressemble à une plainte. Tellement que ça doit en être une. Je murette de-ci de-là et autre. Et découvre, tu sais quoi ? Non, alors, si je m’attendais. Ecoute, je vais te faire rire : une immense nasse à langouste, ou bien à homard, ou à je ne sais trop quoi, mais longue de deux mètres, en fort grillage. Et à l’intérieur se trouve un gonzier baïonnette au canon, je veux dire bâillonné jusqu’au menton. Tout à l’albuplast. Une largeur de main, de belle main bûcheronne, pas de la paluche branleuse de sous-chef de burlingue à la préfecture, attention !
Pour dépêtrer cet encagé, faut des pinces, vu que les goulets de la nasse sont orientés sens contraire à l’issue, tu ne l’ignores pas, ou plus. Mais j’ai pas de pinces, moi. Je ne suis ni ferblantier ni homard. Tout ce que j’arrive, c’est, en cigognant les mailles du grillage à hauteur de la bouche du prisonnier, à lui arracher son albuplast. Qu’ensuite je traîne le pauvret dans le rond de clarté glomifuge bousmuré.
Ce qui me permet de reconnaître le camarade Tango, plus nanère que nana, et mort que vif, en sanguinolence, ongles arrachés, figure bosselée, complètement pété, avarié de toute part, de la quille à la dunette, avec plein de voies d’eau. Vagissant, en semi-asphyxie. Les fringues en lambeaux. Des yeux comme des gastéropodes, brandis au bout de laides tuméfiances, et mi-ouverts, sanglants comme l’étendard levé ; tout ça… Affreuseté d’homme démantelé, en cours de destruction sauvage.
— Tanguy, ma pauvre loque, je balbutie.
D’en bas, me monte l’organe flûté de Marie-Marie (en anglais Mary-Mary) :
— Antoine ! ! ! ! !
— Oui, ma gosse, que se passe-t-il ?
— Ici, rien, mais je voulais savoir pour toi.
— Tout est O.K.
— Tu aurais pu me rassurer ! Il me semble t’entendre parler.
— Je parle à un copain.
— Et moi, qu’est-ce que je deviens en attendant ?
— Va chez la mère Trutrude annoncer qu’il y a eu du grabuge et qu’on vienne par ici avec des lampes, des brancards et des tenailles.
J’écoute décroître son pas léger.
— Tango, tu m’entends ? Je suis le commissaire San-Antonio.
— Moui moui, il glapatouille à travers sa purée de lèvres.
— C’est les deux rigolos qui t’ont arrangé de cette manière ?
— Non.
— Qui, alors ?
— L’océan.
— Tu veux essayer de me raconter ?
— Vous n’avez rien à boire ?
— Non, mais on s’occupera de toi d’ici pas longtemps. Affranchis-moi en attendant.
— Vous affranchir de quoi, commissaire ?
— Ta présence ici, entre autres.
— Ça faisait partie de mon boulot.
— Quel boulot ?
Il geint dans sa nasse, ce grand triton. Et puis il marmonne :
— M’faites pas jacter pour le plaisir, commissaire, j’ai les lèvres gercées.
— Je te fais jacter pour me mettre au parfum.
— Vous n’allez pas dire que vous ne savez rien ?
— Je ne sais rien.
— Qu’est-ce que vous foutez ici, en ce cas ?
— Ça, fiston, ce sont mes oignons.
Il rouscaille, Tango-la-Nitro.
— J’en ai plein le cul de ces giries de merde. On m’y reprendra à chiquer les héros au service de la France !
— Au service de la France ?
— Enfin de la Poule, ça revient au même, non ?
— Explique.
Alors, en termes plus hachés que ses pauvres labiales, il me livre le récit ci-dessous dont tu voudras bien prendre connaissance sans faire des taches de graisse sur les pages, ni y déposer des crottes de nez, selon ta bonne habitude, parce que t’as beau circuler à bord d’un Sanantonio, c’est pas une raison pour t’y comporter en campingeur dégueulasse, comme si tu bivouaquais au bord de la Nationale 7. Et qu’à force, ça me crispe le cervelet autant que le rectum de voir mes polars tout meurtris de mépris, avec la couvrante arrachée, les pages froissées et plus cornées que ta pomme, et constellés des souillures qui composent la palette de ta pauvre vie foutrique.
Or, donc, il s’est passé dans l’existence de Tango l’événement que voici, deux points à la ligne :
Récemment, il a participé au cassement de la banque Zébulard, là que le big coffiot a été craqué aussi aisément que la tirelire à musique de ton petit garçon. Au cours de cette opé, deux gardiens de la paix (en anglais « of the peace ») se sont fait étaler comme des quilles alors qu’ils se livraient à une ronde malencontreuse, ces veaux. Quelques jours plus tard, la bande a été partiellement arrêtée, entre autres Tango. Lui, jamais armé, n’a pas dessoudé les archers bien sûr, son job consistant uniquement à tutoyer les C.F. ; pourtant il était assuré, compte tenu de sa complicité, d’écoper de cinq à dix piges aux assiettes. Alors que, fort contrit, il se laissait aller aux noires amertumes dans sa cellotte de Fresnes, un monsieur lui a rendu visite pour une petite causette. La description qu’il me donne dudit me permet de reconnaître le Vieux.
Mylord le Boss lui a proposé un marché pas ordinaire. Un coup de main en deux temps, à réaliser pour le compte de la Maison France, mais de manière occulte. Motus ! La grande boucle, quoi qu’il advienne. Si foirade, tant pis pour les os à Tango. La première partie de l’opération consistait à faire sauter le phare de la Pointe du Chaz. La seconde, plus cotonne, terriblement risquée, à dynamiter le gouvernail d’un bateau soviétique dans la nuit qui suivrait.
L’épopée, quoi !