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— Tu sais tout, décidément.

— Pas encore. La question du mariage est réglée, mais il en est d’autres. Par exemple, ma mère. Pourquoi est-elle déjà de retour ?

— Incident de parcours.

— Pardon ?

— Causé par tes petits copains du F.B.I.

— Je peux en savoir davantage ?

— L’avion qui l’emmenait à Moscou a eu un problème en cours de route et a dû se poser à Berlin ; les passagers ont été provisoirement hébergés dans un salon d’accueil de l’aéroport allemand. Un agent américain est alors intervenu, il a fait demander ta mère et le gamin et les a pris en charge. Peu après, il les embarquait dans un vol pour Paris.

— Que s’est-il passé ?

— Il s’est passé que « ceux d’en face » vous surveillent comme du lait sur le feu, mon ami. Ils ont compris notre manœuvre et y ont riposté sans tarder. Je me demande si l’avarie de l’avion était réelle ou feinte, nous enquêtons à ce sujet.

— Où est ma mère en ce moment ?

Couillapine hoche la tête.

— Tu vas peut-être ne pas me croire, mais je l’ignore. Quand elle a été de retour à Paris, tes anciens amis l’ont fait sortir par une voie privée. Les camarades en surveillance devant chez toi prétendent l’avoir aperçue au cours de la nuit. Elle serait venue en taxi en compagnie de deux hommes. Elle n’a fait qu’entrer et sortir ; sans doute pour t’apporter un message ?

Il me fixe d’un air de doute.

Alors, mézigue, soucieux de jouer le jeu, je lâche du lest, mais sans préciser que j’ai chouravé le chargeur de leur caméra indiscrète. Je raconte le coup de la branchette-signal et de la boîte aux lettres secrète. Et ce qui s’en est suivi.

— M’man devait m’expliquer ses mésaventures, lui fais-je, et m’indiquer son adresse ; si elle a usé de notre petite planque au lieu de me laisser carrément un mot c’est parce qu’elle devait savoir qu’il y avait quelqu’un à la maison, c’est-à-dire Katerina. En ce moment, elle m’attend quelque part.

Couillapine crie à la comtesse Denis (ou à la mère de Paris) de renouveler nos consos. Il aime l’Alsace, mon nouveau pote. Quand « ils » passeront par là, ils tâteront du Traminer et du Riquewihr, les Cosaques, avant de nous faire le Don de leurs personnes.

— Tu as la ressource de te rabattre sur l’ambassade US, déclare Piotr. Peut-être saura-t-on te renseigner, là-bas ?

Une légère ironie perce dans ses paroles. Je reste de bois et rêvasse. Une superbe mouche bleutée vient se poivrer la gueule en pompant le vin que la vieillarde a renversé. Au bout d’un moment, elle s’envole en titubant, lourde comme un bombardier ricain allant déverser sur la Ruhr.

Je finis par tirer mon carnet de ma poche, en arrache une page.

— Regarde, fais-je.

Usant de mon stylo, j’inscris un cercle au centre de la page.

— Ici la maison du docteur Fépalov (avec Piotr, je peux user du « v », merde, c’est sa langue maternoche, après tout !).

Au-dessus dudit cercle, je trace trois petits traits surmontés d’une boule.

— Ça c’est vous autres…

Au-dessous, j’en inscris trois autres, mais avec des têtes plus larges.

— Et voici les Jaunes… Ah ! j’oubliais, pour respecter la réalité.

J’écris le mot con verticalement.

— Me voilà, moi. C’est ressemblant, non ? Bon… Dans un premier temps, les trois Russes viennent embarquer l’ami Yuri. Dans un second temps, le con ici présent, alerté, se pointe. La petite amie du Doc paraît encaisser les événements sans trop s’en formaliser. Elle trompe même le temps en trompant son vieux julot avec tu sais qui, Piotr ? Le con ! Tout de suite après, elle cherche à le faire neutraliser par un ami…

« Mais, second temps : les trois Jaunets que voici interviennent. Ils plongent l’hôtesse et son gars en catalepsie par une méthode délicate, sans doute moyenâgeuse, exécutée avec une maestria époustouflante. Ils s’apprêtent à m’en faire autant lorsqu’un vieux copain à moi qui tremble en touillant son café mais jamais quand il utilise son 7,65, me sort d’embarras. »

Couillapine fait la moue.

— Quelque chose me dit que pour toi, il n’aurait pas été question de catalepsie.

— Tu crois ?

— N’oublie pas que tu es flic, Antoine. Un témoin flic est différent d’un autre.

Je hoche la tête.

— Les deux Jaunes restant embarquent le stock de cassettes, moins une. Troisième temps, les trois Russes ramènent le bon docteur chez lui et font le ménage : le gros acupuncteur mort est embarqué, comme l’est mon ex-femme, la vitre brisée et le tapis sanglant sont remplacés, le voisin curieux a un accident. Et la vie reprend, simple et tranquille, comme disait Verlaine. Reste simplement le con qui cherche sa maman et des explications. Pauvre con, va. Il ne te fait pas un peu de peine, Piotrounet ? Je devine en toi un homme d’acier, mais un cœur d’or. Tu couperais le zizi de ton géniteur si tes supérieurs te le demandaient, mais tu partagerais tes blinis avec un pauvre ; je me trompe ?

Couillapine met sa main sur ma nuque. Eh, dis, il irait pas à la rondelle, à force de démonstrations amitieuses, le beau blond ?

Il déclare, en tapotant ma page de carnet gribouillée :

— Ton schéma est amusant, Antoine ; pourtant il y manque un élément important.

— Crois-tu ?

— J’en suis convaincu. Et sais-tu ce qui manque ? Le message dont le chauffeur de Katerina t’a chargé pour Yuri Fépaloff.

Il est certes plus pénible de remonter à la manivelle le rideau de fer d’une quincaillerie en gros que de réfléchir à toute vitesse, et pourtant, la promptitude de ma pensée, sa fulgurance, me plongent dans un état de fatigue infinie.

« Ainsi, mon vieux Sana, nous y voici donc ! » s’écrie mon subconscient avec la voix du général de Gaulle. Mes clignotants passent au rouge.

Je me dis : « Le chauffeur ne s’est pas mis à table complètement, à Moscou. Ou s’il l’a fait, les agents soviétiques d’ici tiennent à vérifier son exactitude. Une réponse, vite, et la bonne ! Si tu te goures, l’artiste, si tu te goures, on va te faire chier des lames de rasoir ! »

Ma foi, que mon sub prenne donc ma relève. Qu’il débloque à sa guise, je ne veux pas le savoir.

— Il a prétendu que Fépaloff était son frère, biaisé-je.

— Ce n’est pas le cas. Ensuite ?

Il a vraiment un très beau visage, Piotr Couillapine. Harmonieux et énergique ; et c’est vrai, ce que je lui disais à l’instant, il semble simultanément implacable (sa femme n’y est pas arrivée) et compatissant.

Mon sub, se voyant nanti d’une carte blanche se met à faire la folle.

— Il m’a chargé de dire à son pseudo-frère que la page 606 était arrachée.

Ici, je n’ouvre pas de parenthèse, puisqu’il pleut, mais je crois utile de te rappeler que la véritable teneur du message était : « La page 428 est arrachée. »

Ne me reste plus que d’attendre la suite.

Piotr regarde ses mains comme s’il avait des projets pour elles mais qu’il renonce à les réaliser. Il finit par user de la droite pour vider son verre.

— Tu continues de prétendre ne pas avoir visionné la cassette que tu nous as fait livrer ? demande-t-il en ayant l’air de recompter sa note d’hôtel.

— En effet.

— Rina prétend que tu as vu un film en sa compagnie, durant la nuit.

— Je te l’ai dit moi-même.

— Oui, mais elle assure que tu l’as visionné en version… heu… normale ?

Place à mon sub ! Moi, grand lâche, je le laisse se dépatouiller.

J’entends le général deux gaules répondre à ma place :